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Théâtre de Berne
Berne : “Tosca“

La distribution est de qualité, mais le décor laisse songeur...

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 15 décembre 2011

par Eric POUSAZ

Après la création suisse de Wut, le Théâtre de Berne navigue à nouveau dans de eaux plus calmes avec sa nouvelle production de Tosca, conçue pour plaire à tous les publics et assurer quelques belles recettes à la caisse…

Il serait pourtant difficile de trouver une justification dramatique quelconque à la mise en scène complètement déjantée d’Anthony Pilavachi ; calculé pour plaire au public par ses côtés démagogiques, le travail de ce réalisateur fait en effet fi des indications du livret pour les remplacer par d’autres, d’esprit tout aussi mélodramatique, qui ne font tout simplement pas sens dans le contexte. Cela commence par le décor spectaculaire mais privé de toute justification théâtrale de Markus Meyer : mal pratique avec ses portes qui s’ouvrent difficilement et ses espaces scéniques mal définis, il est en plus dominé par une vaste fresque du Jugement Dernier pendue à l’envers.

La direction d’acteurs est à l’avenant : qu’ajoute par exemple au premier acte la présence d’un Sacristain qui passe la main avec une lenteur calculée dans les cheveux d’un bel enfant de chœur pour rappeler certains scandales récents qui ont secoué l’Eglise ? Et pourquoi doit-on faire voir dans tous leurs détails les tortures infligées à Cavaradossi au 2e acte ou le strip-tease forcé de Tosca dont les habits sont arrachés par un Scarpia trop libidineux pour refreiner ses instincts ? Quant à l’exécution du héros au 3e acte devant une assemblée d’hôtes en robes longues et smokings entourant de quelques paparazzi activant furieusement leurs appareils de photo à flashes multiples, après la ridicule apparition de l’enfant du geôlier qui récite un devoir scolaire à son gentil papa sur l’air du pâtre de l’introduction orchestrale, elle ajoute le point final à la stupidité d’une approche qui privilégie le sensationnalisme à la lecture intelligente des prolongements potentiels du livret.

« Tosca »
© Stadttheater Bern

La distribution, par contre, est de qualité et fait grande impression dans le petit théâtre bernois. Le ténor un brin engorgé de Luis Chapa en Cavaradossi n’est peut-être pas au goût de tout le monde, surtout qu’il construit tout le personnage sur le chant en force en maîtrisant mal un vibrato trop large, mais il délivre sa musique avec aplomb et passe superbement la rampe. Le soprano charnu et sombre de Gabriela Georgieva convient bien au rôle de Tosca et traverse toute la fourchette des émotions de cette femme jalouse et gratuitement maltraitée avec une aisance presque désinvolte, fort belle à entendre. Le baryton puissant jusqu’à la brutalité de Carlos Almaguer convient à merveille au personnage sadique de Scarpia ; on peut certes imaginer une interprétation plus subtile de ce chef de police pervers, mais il serait difficile de reprocher un quelconque manque d’engagement physique ou vocal à cette écœurante personnification du Mal.

Les rôles secondaires sont tous tenus par des chanteurs magnifiques de présence dramatique alors que le chœur s’acquitte de sa brève intervention dans le Te Deum avec un enthousiasme qui transfigure le final du 1er acte pour en faire un grand moment de mélodrame musical. Srboljub Dinić dirige avec un goût marqué pour les contrastes un Orchestre Symphonique bernois en grande forme et permet ainsi à l’auditeur de redécouvrir diverses finesses d’instrumentation trop souvent noyées sous les décibels dans d’autres approches plus ouvertement dramatiques. Un grand moment musical de la saison qui vient débuter…

Eric Pousaz

(à l’affiche jusqu’au 23 février)