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Komische Oper de Berlin
Berlin : “Fidelio“

Etonnante mise en scène de Fidelio à la Komische Oper.

Article mis en ligne le juillet 2010
dernière modification le 14 août 2010

par Eric POUSAZ

La Komische Oper de Berlin est connue pour ses mises en scène décapantes. Pourtant, comme vient de le démontrer la nouvelle production de Fidelio, il y a des limites à ne pas dépasser. Faire jouer l’entier de l’opéra sur la scène d’un théâtre en démolition, dominée par un immense container et traversé régulièrement par des ouvriers chargés de lourds sacs en plastique, c’est faire peu de cas de la musique. La provocation va jusqu’à la suppression de l’ouverture (Beethoven en a tout de même composé quatre !!!), remplacée par le bruit vrillant de perceuses utilisées pour démonter les lampes de cristal des loges…

La chose en serait restée là, même si la bronca publique qui a suivi la dernière note de l’ouvrage a atteint un volume de décibels rare dans ce théâtre habitué à toutes les audaces. Mais, irrité par les libertés qu’a prises le metteur en scène, le directeur de la musique a claqué la porte au lendemain de la première : une longue interview parue dans la presse faisait publiquement état de sa révolte devant un spectacle qui respecte aussi peu les données de base de la partition. Ajoutez à cela que la distribution ne comprend aucun, mais vraiment aucun chanteur capable de rendre justice à la musique !... Le spectateur est en droit de se demander ce qui justifie une telle supercherie, car il y a vraiment tromperie sur la marchandise lorsqu’un homme de théâtre retouche une partition jusqu’à la rendre méconnaissable.

Fidelio ou l’esthétique du container
Dans le journal de l’institution, Benedikt von Peter indique qu’il veut dans sa mise en scène rendre justice à l’historicité du sujet. Fidelio et Florestan apparaissent ainsi en costumes d’époque, telles des figures du passé enfarinées par la poussière du temps qui passe. Jaquino, Rocco ou Pizarro par contre ressemblent à de petits fonctionnaires actuels, voire à des yuppies dont les conditions financières se seraient soudainement détériorées. Leur jeu de scène est à l’avenant : ils se rient de tout, passent leur temps à jeter des parties de leur vêtement avec violence sur le sol ou caracolent tels des débiles mentaux sur un cheval de foire pendant la marche qui sépare les premier et deuxième actes (La version choisie ici est celle de 1805 en trois actes, qui a connu l’échec à la création et a été ensuite lourdement remaniée par le compositeur). A tout moment, les ouvriers chargés de la destruction de ce lieu de représentation se rappellent à notre bon souvenir en amenant des éléments de décor qu’ils jettent aux ordures, voire en faisant sortir du container des personnages que l’histoire a impitoyablement écartés, comme ces soldats napoléoniens qui surgissent dans le final du II.

L’utopie d’un monde meilleur est déraisonnable de nos jours, semble vouloir nous dire le metteur en scène ; mais a-t-on besoin de monter Fidelio pour le prouver ? Car la musique, elle, ne met pas de distance entre la victoire du Bien et la punition du Mal. Benedikt von Peter aurait dû s’en aviser et choisir un opéra contemporain comme 1984 de Lorin Maazel, par exemple.

La quatrième représentation de la série s’est jouée devant un public clairsemé : les réactions molles des spectateurs manifestaient une lassitude que les nombreux articles dépréciatifs publiés dans les quotidiens ont contribué à renforcer. L’indigence vocale des solistes, les nombreuses inexactitudes des instrumentistes et les constants bruits de chantier du plateau n’ont pas contribué à élever le débat. Un tel spectacle devrait être retiré de l’affiche, car il est tout simplement indécent d’oser prétendre, au plan musical comme scénique, que l’on joue Beethoven ce soir-là. (Représentation du 14 mai)

Eric Pousaz