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Musée des Beaux-Arts de Berne
Berne : “Six Feet Under“

Le Musée des Beaux-Arts de Berne propose une passionnante exposition consacrée à notre relation aux gisants.

Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 15 juillet 2007

par Bertrand TAPPOLET

Surfant sur la vague du succès de la série américaine Six Feet under mettant en scène une famille de fossoyeurs et leurs récits parallèles, le Kunstmuseum de Berne propose une passionnante exposition consacrée à notre relation aux gisants. Où la mort et sa représentation apparaissent consubstantiellement liées à l’histoire de l’art.

À l’ère de la téléréalité, de l’intimité qui pose, s’expose, repose et prend la pose, du blog et de l’instantanéité de l’information en réseau, va-on vers une nouvelle visibilité de l’univers de Thanatos ? Ou le refoulé, étrange alliage d’attrait et de répulsion veine-t-il toujours nos sociétés policées qui tendent à évacuer toujours plus rapidement la mort et le défunt ? « La peur de la mort ne fait pas mourir la mort », dit une chanson bambara du Mali.

Traces
L’exposition Six Feet under se décline en six chapitres et fait le choix de brasser large les cartes de la mort. Ce sont des représentations d’ici et d’ailleurs du XVIe siècle à l’extrême contemporain en privilégiant les figures étendards de l’histoire de l’art, de Ferdinand Hodler et sa Mort de Valentine Godé-Dorel (1915) et son masque mortuaire creusé de traits crispés à The Morgue (1992) du photographe et peintre américain Andres Serrano. Des oeuvres intimistes, silencieuses ou inquiétantes qui peuvent aussi représenter, au gré des sensibilités de chacun, un étalage difficilement soutenable de cadavres carbonisés, amputés, aux plaies béantes. Le nom de chaque photo hyperréaliste correspond à la cause de la mort subite.
L’approche de l’exposition est transversale et télescope les époques. Ainsi le chapitre d’ouverture traite-t-il de Cadavres, têtes de mort et squelettes. C’est le devenir charogne de l’éphémère anatomie humaine à laquelle se confrontent des artistes aussi divers qu’Andres Serrano, Jean-Frédéric Schnyder, Ferdinand Hodler, Karl Stauffer-Bern ou Stefan Balkenhol. C’est la décomposition et le squelette post mortem qui s’affiche. Schynder créée une sorte d’automate-pantin à partir de fil de fer et bouchons de liège dans une réalisation qui sait dire tout à la fois la force et la fragilité flottante d’une armature charpentant l’humain. La dimension totémique est explorée par le remarquable travail de Balkenhol. Le plasticien taille dans le vif à partir de l’écorce d’un tronc d’arbre pour vriller jusqu’à son cœur secret révélant un fossile ossifié, une sorte d’arbre à squelette humain, probable résonance du mythique et biblique arbre de vie. C’est de tératologie, d’horreur plus que de douleur dont il est question dans le travail photographique de Joel-Peter Witkin qui renvoie plus à la peinture gothique des martyres et à l’ambigüité du sadomasochisme qu’à la tragédie des tortures et des corps suppliciés d’un siècle génocidaire, le XXe. En incorporant des fragments de peintures repris aux maîtres, il échafaude des natures mortes, en partant – avancent d’aucuns – de bribes de cadavres mêlés à des terrestres nourritures ou à des fleurs. Par cette association, l’artiste fait résonner au sens littéral, organique, le genre indument appelé ailleurs “Nature morte”.

Côte à côte
Après le contenu, le contenant déployé dans la partie Cercueils, tombes et larmes. Si l’expression métaphorique de coexistence avec les morts se conçoit dans les NDE notamment, elle n’implique pas une cohabitation de facto dans l’architecture urbaine et le vécu, comme l’ont mis en lumière notamment les études de Michel Vovelle et Philippe Ariès. Les morts sont effacés, recyclés au terme de rituels qui s’achèvent par l’inhumation ou la crémation, voire la dissémination des cendres. En Occident, la dernière demeure reste encore essentiellement le cercueil, nouvelle enveloppe d’écorce capitonnée du corps. La mort d’un enfant donne lieu à une traduction en contre-jour d’une présence, une personne en devenir qui n’a pu arriver à terme avec l’artiste mexicaine Teresa Margolles. Dans un cube en ciment, elle a vitrifié le corps d’un foetus mort-né que la mère n’a pas pu ensevelir, faute de moyens. Margolles lui a imaginé une sépulture mouvante, un lieu de mémoire évacuant tout monumental.

Mort fantastique
La section Hommages – morts adorés et adulés s’axe autour de représentations de défunts qui furent chers à des vivants au point que ceux-ci souhaitent s’unir à des corps que la vie a désormais déserté. Témoin la vidéo d’Aïda Ruilova qui montre le réalisateur Jean Rollin, l’un des pionniers du renouveau du cinéma fantastique à composante érotique, dans les années 70, gisant dans son dernier sommeil. Une jeune vestale endolorie par sa plainte tente de s’unir au macchabé étendu sous elle. De sujet romantique en vogue au XIXe siècle, La Mort de l’artiste prend des teintes surréalisantes voire bunuéliennes dans le travail performatif d’Ana Mendieta. S’y mêle le cultuel et une appréhension de l’écriture des pierres que n’aurait pas reniée l’écrivain français Roger Caillois. Rejouant peut-être le geste biblique de Lazare revenu d’entre les morts, l’artiste cubaine se fait ensevelir sous un lit pierreux au cœur de plusieurs nécropoles. De cet ars moriendi ou ce memento mori, seule émerge le visage. Puis son corps bouge comme manipulé par un montreur invisible ou des puissances surnaturelles. Le manteau de pierre se désagrège alors et le corps dénudé apparaît progressivement.

Après la mort
Au chapitre Mort et lifestyle, l’artiste genevois John Armelder s’intéresse à l’héraldique, à la sémiologie et à la signalétique liée à la tête de mort dans notre contemporain. De l’indication alertant sur la présence de substances toxiques au courant musical gothique. Il réalise un ready-mady sous forme de tapisserie pariétale reproduisant la métaphore de la tête de mort jusqu’à la transcender par la série et la reproductibilité. Ultime partie, La Vie après la mort croise dans les parages de la résurrection, de la réincarnation et autre métempsycose.
Très riche en résonnances et en transversalité avec l’ethnologie, l’ethnographie, l’ethologie, l’histoire culturelle des mentalités et l’art contemporain comme champ majeur de la production symbolique notamment, Six Feet under manque néanmoins souvent d’une dimension ludique et d’un humour distancié voire décalé. Ironie grinçante et savoureuse que l’on croise dans certaines installations contemporaines non retenues ici.

Bertrand Tappolet
 
Kunstmuseum, Berne. Jusqu’au 21 janvier 2007.

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