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Musée Jenisch, Vevey
Vevey : Marguerite Burnat-Provins

Rétrospective

Article mis en ligne le 6 janvier 2021
dernière modification le 26 avril 2021

par Vinciane Vuilleumier

L’artiste et écrivaine Marguerite Burnat-Provins est à l’honneur dans les salles du musée Jenisch, et quel plaisir d’apprendre à la connaître ! La rétrospective présente le talent protéiforme et prolifique qu’elle a mis au service de ses créations pendant près de soixante ans : le spectateur pourra se délecter autant devant ses portraits et ses affiches, que devant ses poèmes et ses délicates déclinaisons végétales.

Née à Arras en 1872, elle montera à Paris au début des années 1890 pour réaliser des études d’art, et ses productions articulent avec beaucoup de finesse les différents courants stylistiques de l’époque, Japonisme, Art nouveau et Symbolisme. Elle s’installe à Vevey en 1896, suite à son mariage avec l’architecte Adolphe Burnat. Très active, elle enseigne, réalise des livres d’art novateurs et acclamés par la critique, entame sa carrière littéraire et établit au numéro 50 de la rue d’Italie une boutique d’art et d’artisanat.

Sa rencontre avec le peintre Ernest Bélier lui fait découvrir les paysages valaisans, et elle capture en portraitiste confirmée les personnalités qu’elle y rencontre. L’année 1907 représente un premier bouleversement : elle rencontre l’ingénieur Paul de Kalbermatten et en tombe éperdument amoureuse. Le divorce qui s’ensuit marque la fin de ses années suisses, et elle exprimera parfois à demi-mot la douloureuse rupture d’avec son pays d’adoption.
Sa carrière sera dès lors marquée par de très nombreux voyages, tout autour du globe, de l’Égypte au Brésil. L’année 1914, quant à elle, marque un tournant décisif dans l’œuvre de Marguerite Burnat-Provins : assaillie de visions fantasmagoriques, elle se met à produire en série des portraits d’êtres imaginaires, parfois moitié-homme moitié-bête, des êtres qui s’imposent à elle, et qu’elle nomme Ma Ville. Œuvre monumentale comptant près de 3000 dessins, elle concentre sa production visuelle de 1914 jusqu’à la fin de sa vie en 1952.

Les lignes et l’imagination...
L’exposition prend le parti de marquer spatialement cette rupture : la première salle est dédiée à la première partie de son œuvre, la deuxième est toute entière articulée sur le projet « Ma ville ». Cela rend d’autant plus perceptible les profondes différences entre ces deux volets de la production de l’artiste : jusqu’au début de la guerre, Marguerite Burnat-Provins met ses talents de dessinatrice au profit d’imageries traditionnelles, dominées par la figure féminine et les ornementations végétales. La délicatesse de son dessin met à l’honneur le portrait des personnes dont elle croise la route : le très doux visage de la jeune fille au tricot ou celui, parcheminé, d’une vieille dame. Elle fait également preuve d’un talent d’observation et de composition remarquable dans les élégants motifs floraux qu’elle réalise durant la première décennie du siècle.

Dès 1914 cependant, l’imaginaire prend le pas sur l’observation : le crayon ne saisit plus sur le vif les motifs qui se donnent à l’œil, mais capture, d’un trait assuré, les formes hybrides et pleines de caractères que génère son imagination électrisée. La galerie de portraits aux noms cryptiques, parfois poétiques, parfois satyriques, ne laissera aucun spectateur indolent : à l’extrême simplicité des moyens plastiques du crayon rehaussé parfois de quelques lavis, s’associent la force vive de l’imagination, la clarté saisissante des formes, les propositions fascinantes d’un imaginaire surpeuplé.

... un festin pour les yeux
Et si les yeux se repaissent des mille plaisirs visuels qu’offrent les œuvres de Burnat-Provins, ils ne laissent pas d’admirer les cadres incroyables qui accompagnent celles-ci. Si l’œil tend à les ignorer dans l’espace du musée, l’histoire de l’art, autant que les artistes, n’ont pas cessé de thématiser le cadre depuis quelques décennies – et le cadre, avec Marguerite Burnat-Provins, ne se laisse ni oublier, ni déplorer comme une frontière cruelle entre le monde de l’œuvre et le monde du spectateur. Les quelques magnifiques et imposants exemplaires en bois de la première salle encadrent les portraits dessinés et leur offrent une monumentalité qui fascine : ici, le cadre n’essaie pas de se faire discret, il sert l’œuvre bien au-delà de sa dimension pratique d’accrochage. Non, ici, le cadre rehausse, offre une profondeur, une majesté même. Quel plaisir d’admirer d’un même regard l’œuvre autant que son écrin !
Et la première salle n’est pourtant qu’un maigre préambule, lorsqu’on porte ses regards sur les cadres de la seconde salle : les œuvres de Ma Ville ne sont pas simplement encadrées, elles sont prolongées par le cadre. Est-ce bien juste de le formuler comme ça ? Il semble plutôt que l’œuvre est le tout – l’image en son cadre – car là, le ruban rouge flotte dans l’espace blanc du papier, passe le seuil imperceptible, et flotte encore, flotte toujours sur le métal brillant du cadre.
Recommandation d’une visiteuse éblouie : à savourer en plusieurs visites.

Vinciane Vuilleumier

Prolongation jusqu’au 11 avril 2021