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Lyon : Biennale 2007

Quelques mots sur la Biennale de Lyon 2007, sous-titrée “L’Histoire d’une décennie qui n’est pas encore nommée“, à voir jusqu’au 6 janvier 2008.

Article mis en ligne le novembre 2007
dernière modification le 12 avril 2011

par Bertrand TAPPOLET

Les concepteurs annoncent une idée séduisante, un jeu en réseau avec deux ensembles : 60 commissaires élus pour choisir chacun l’artiste de la décennie en cours et 14 artistes nominés pour présenter une œuvre représentative de cette décennie. Une manière de prendre à contre-courant les us et coutumes du marché de l’art et des expositions collectives.

D’où ce constat d’éclatement, de complexité parfois labyrinthique et abstruse dont certains artistes plasticiens font leur "sensorium". Pour mettre en lumière des espaces anxiogènes représentatifs d’un dressage des corps et d’une possible résistance des esprits.

Comment faire l’histoire ? 
Au seuil de cette Biennale, plusieurs axes se dégagent : l’histoire, la mémoire, l’actualité et l’oubli, et leur “présentification”. « Jorge Luis Borges dans La Bibliothèque de Babel nous décrit fort bien l’enthousiasme euphorique des peuples pour la réunion enfin réalisée de tous les livres dans la bibliothèque. Puis il décrit le désarroi de tous devant ces ouvrages introuvables sous l’effet de l’accumulation, souligne Thierry Raspail, directeur artistique. La Biennale depuis sa création en 1991 s’est toujours efforcée d’être avant tout une exposition, c’est-à-dire d’émarger dans la colonne historienne. Depuis 2003 elle s’est engagée sur le terrain de la temporalité, mot valise aussi générique que malléable, c’est-à-dire plastique, qui eut d’abord pour objet moins de rendre compte de l’actualité que d’essayer d’en cerner les composantes. Ce fut C’est arrivé demain en 2003 puis L’expérience de la durée en 2005. »
Quant aux deux concepteurs, Stéphanie Moisdon et Hans Ulrich Obrist, « Ils ont répondu globalité à la globalisation, intrigue à l’histoire, récit d’anticipation au présent, jeu à la mécanique de la sélection, et polyphonie à l’actualité », souligne Raspail.

Art contextuel
« La frontière entre l’art et la vie doit rester aussi fluide, aussi indistincte que possible », relève l’artiste américain créateur du happening Allan Kaprow. Art du temps présent et actualité se mêlent dans le travail du Sud-africain James Webb : une plongée en apnée dans un inquiétant tunnel obscur, qui reste d’une constante et traumatisante efficacité. Webb condense ici un maximum de phobies primaires (peur panique du noir, du vide, contexte utérin et claustrophobique). L’accès à cette camera oscura se fait par un sas, une porte suivie d’un rideau. Plongé dans une pénombre qui coupe de presque tout repère visuel habituel, le spectateur est tendu vers tout ce qui peut lui servir d’indication pour sentir, comprendre, saisir. Au fond, un monolithe sous la forme d’une plaque noire rétro-éclairée. Le boyau obscur tressaute d’un bruit assourdissant et dérangeant d’une cavité minière à broyer les corps. C’est l’empreinte sonore constituée par les cliquetis de l’ascenseur de la mine d’or la plus profonde du monde. Cette descente dans les entrailles de la terre insuffle une oppression kinesthésique à couper le souffle. The Black Passage est à vivre comme une expérience où obscurité-lumière, apparition-disparition, sont les interfaces d’une seule et même chose : l’avènement à soi-même et au monde. L’Afrique du Sud compte plusieurs centaines de mines d’or, de platine, de charbon ou de diamants, qui constituent l’une des principales ressources du pays. Depuis le début de l’année, de 16 à 20 personnes y ont trouvé la mort chaque mois, jusqu’au cauchemar vécu cet automne par 3200 mineurs bloqués jusqu’à 30 heures à deux kilomètres sous terre. « Chaque homme est un abîme, on a le vertige quand on se penche dessus », faisait justement dire à son Woyzeck le dramaturge allemand Georg Büchner.
Le tandem américano-cubain Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla fait pétarader jusqu’à la nausée, dans les contreforts d’un bunker, des marches militaires ou des hymnes de GI’s. Pour faire œuvre de déconstruction dans la marche à la guerre justifiée par la nécessaire pacification du monde et la lutte anti-terroriste, deux leitmotivs qu’embouchent inlassablement les grandes puissances. Le duo plasticien installe une relation dynamique entre ce qui est visible et ce qui ne l’est pas, dans le marquage d’un territoire notamment. Rien de surprenant dès lors à ce que ce "Fort Alamo de béton", ou "bunker musical" dénommé comme de juste "Clamor" rappelle tant les bases US en Afghanistan et en Irak. Le paysage est décrypté comme une zone de confrontation, d’intersection entre deux espaces, d’invasion ou d’exclusion, morcelé par des réseaux invisibles mais complexes, de frontières politiques, communautaires ou de représentations mentales. « Nous aimons les idées et actions qui remuent et déconstruisent l’ordre des choses. Ou qui présentent ou représentent ce qui manque ou ce qui a été omis : des idées qui transforment ces structures normatives qui empêchent les gens de s’engager pleinement dans la matrice sociale », souligne le duo artistique. Forts d’une approche à la fois ludique et critique, Allora et Calzadilla, créent un corpus d’œuvres qui relève du conceptuel, du poétique et du subversif.

Le Mexicain Erick Beltran fait montre d’une réelle fascination pour la sélection de la langue et des images et leur utilisation médiumnique et graphique. Ce qui l’intéresse ? La sélection autant que les leviers sociaux, économiques, culturels, éthiques et politiques qui motivent producteurs et distributeurs de cette « novlangue » orwélienne. Il recouvre de peinture noire des panneaux, des abribus, des affiches en y ajoutant des slogans évoquant le kaléidoscope des haines sans cesse retourné par les droites extrêmes : "mort aux gros", "sales africains", "sales français", "mort aux immigrants". Une critique malaisante et troublante des figures archétypales du rejet de l’Autre.

Bertrand Tappolet

Biennale de Lyon, jusqu’au 6 janvier 2008
Site : www.biennale-de-lyon.org