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Musée de l’Elysée, Lausanne
Lausanne, Musée de l’Elysée : Controverses

Avec Controverses, une histoire juridique et éthique de la photographie, le Musée de l’Elysée propose une exposition associant la photographie et le droit.

Article mis en ligne le avril 2008
dernière modification le 3 juin 2008

par Sylvia MEDINA-LAUPER

Le Musée de l’Elysée a mis sur pied une exposition au confluent de deux modes d’expressions qui, habituellement, ne s’associent qu’en cas de conflit ; la photographie et le droit. Le résultat c’est Controverses, une histoire juridique et éthique de la photographie, une plate-forme de réflexion qui réunit 80 clichés aux qualités esthétiques indéniables mais dont le contenu défraya – ou défraie encore – la chronique juridiques, médiatique ou morale. A voir du 5 avril au 1er juin.

La volonté de Daniel Girardin, le conservateur du musée, et de Christian Pirker, les deux commissaires et co-instigateurs de l’exposition, est de mettre en perspective la pluralité des opinions face à un cliché ; Peut-on montrer le portrait d’une fillette en train d’agoniser dans l’eau après un séisme en Colombie ? Peut-on révéler aux médias un charnier à Timisoara, même s’il est créé de toute pièce ? Peut-on dévoiler les fantasmes sacrilèges autant que sadomasochistes d’un certain Mapplethorpe ?

Le pouvoir de la photographie
Toutes ces controverses émanent d’une envie bien légitime de rendre justice aux valeurs du bien et du mal, du vrai et du mensonger. Une photographie, plus que tout autre support d’expression, « produit du sens, beaucoup de sens », or si son pouvoir est tel c’est parce qu’elle bénéficie d’une « présomption de vérité, à savoir la présomption d’un enregistrement objectif et neutre du réel. Elle dispose donc d’un fort pouvoir probant et d’une force de conviction inégalée. Compte tenu de ce pouvoir, la réalité objective sera parfois mise en scène ou travaillée pour servir le message de l’image ». Et c’est bien cette question implicite du pouvoir de la photographie qui dérange. Son pouvoir de dénonciation, son pouvoir de provocation, son pouvoir idéologique, politique, philosophique est au cœur de cette exposition.
Pour Christian Pirker, avocat de profession, les conflits ou les polémiques qui se jouent autour d’une photographie sont révélateurs des tensions sociales, à la manière d’une radiographie de la société. Sa profession n’est pas anodine, puisque comme son métier l’exige, il s’agit d’exprimer, voire même de défendre des valeurs adverses aux siennes. Une simple photo, controversée en l’occurrence, est capable de cristalliser les différentes morales ou convictions coexistantes en un lieu et à un moment donné. « En confrontant une photographie à son histoire, nous pouvons comprendre une époque, une culture, des individus ». Malgré un code pénal unique, le sens de l’éthique n’est ni monolithique, ni statique. Ce qui résulte de la controverse, c’est que malgré une idéologie dominante, malgré que des arguments ont été retenus comme étant plus convaincants, subsiste le doute cartésien. Grâce à ce doute, et considérant qu’il existe toujours d’autres arguments pertinents, la controverse relance sans cesse le débat. C’est également ce goût pour la relativité et pour la tolérance que le Musée de l’Elysée a voulu mettre en avant.

Polémique
Afin d’étayer la polémique, la scénographie de l’exposition se compose de légendes explicatives accompagnant chaque cliché. Ce sont des témoignages, des décisions judiciaires, des articles de périodiques, etc… L’image suscite l’interrogation et son texte invite le visiteur à plonger dans toute la polémique créée par elle. Un catalogue d’exposition bien sûr illustré, a été conçu avec minutie et reprend tous ces textes parfois trop dense pour être lu durant la visite.
Cette histoire juridique et éthique de la photographie se trouve, comme l’écrit si bien M. Girardin « au carrefour exact de deux droits inaliénables : celui de la liberté d’expression et celui du droit à l’image et à la vie privée de toute personne représentée ». La photographie renseigne non pas seulement sur le sujet qu’elle représente – par exemple le baiser de l’Hôtel de Ville de Robert Doisneau –, mais plus largement sur la permissivité que l’on accorde soit au droit public, soit au droit privé ou individuel. Si l’on songe aux années 80 et 90, marquant l’avènement de la pensée unique, celle du politiquement correct et du respect de l’individu plutôt que celui de la collectivité, on comprend mieux le changement opéré par une certaine censure qui ne dit pas son nom.
Après Mai 68 et son interdiction d’interdire, la libre expression artistique est à nouveau confrontée à une morale publique émanant plus de groupes de pression souvent conservateurs que de la société en général. C’est le cas des religieux de tous bords, qui peinent à tolérer des images bibliques détournées, sauf si celles-ci leurs sont bénéfiques en terme de publicité. C’est encore le cas pour les lobbies financiers ou politiques, comme par exemple en Russie lorsque le Ministre de la Culture, Alexandre Sokolov, interdit en octobre 2007, la photographie Policiers s’embrassant, Ere de la miséricorde sous prétexte que c’est « une honte pour la Russie ».

Les artistes photographes peuvent prétendre se constituer en cinquième pouvoir, celui de l’image, car « Créer une image qui interpelle, qui critique ou qui transgresse une norme est une prise de pouvoir. Ceux qui contrôlent les images en les diffusant ou en les censurant » détiennent le pouvoir. Le photo journalisme d’investigation n’a aujourd’hui de place que dans certaines exposition engagée, il a disparu des journaux en faisant une place grandissante aux clichés people rapportant plus. « On pouvait voir le Viêtnam dans tous les journaux des années 60, on ne voit rien de la Tchétchénie d’aujourd’hui ». Le but de cette exposition, on l’aura compris, est donc d’ébranler les certitudes plutôt que de conforter le visiteur dans le prêt à penser. Dans cette même optique, l’exposition ne tente pas de convaincre du bien fondé de telle ou telle manière de penser, mais de montrer que les morales sont fluctuantes et s’adaptent aux besoins des différentes époques.

Sylvia Medina-Lauper

« Controverses, une histoire juridique et éthique de la photographie ». Musée de l’Elysée, du 5 avril au 1er juin 2008. Tél. : 021 / 316. 99. 11, www.elysee.ch
Le livre de Daniel Girardin et Christian Pirker, Controverses, une histoire juridique et éthique de la photographie, Actes sud, 2008, est en vente au Musée de l’Elysée et dans toutes les bonnes librairies.