Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Musée Rath
Genève : Post Tenebras Luxe

Au Musée Rath, des artistes genevois livreront leur vision du luxe à travers vingt installations. Entretien avec l’artiste et commissaire, Donatella Bernardi.

Article mis en ligne le septembre 2009
dernière modification le 29 septembre 2009

par Julie BAUER

Du 26 août au 27 septembre se tiendra au Musée Rath l’exposition Post Tenebras Luxe. Des artistes genevois livreront leur vision du luxe à travers vingt installations. L’artiste et commissaire, Donatella Bernardi, nous a reçu dans l’atelier de Zorro & Bernardo à l’Usine, afin de nous présenter le concept de l’exposition et sa définition du luxe.

N’est-il pas paradoxal de réfléchir sur le luxe alors que nous nous trouvons en pleine crise ?
A Genève il y a eu des pertes d’emplois, mais les consommateurs de luxe n’ont pas ou peu ressenti la crise. Celle-ci a aussi contribué à marquer des écarts, ce sur quoi le luxe se base avant tout. De plus, il ne faut pas oublier que les squats sont nés en temps de crise. La crise ne veut donc pas forcément dire restrictions.

Comment est née l’idée de cette exposition ?
Cette exposition est le fruit d’un mandat du Département de la culture de la Ville de Genève. Le but est de mettre en valeur la scène artistique genevoise contemporaine. C’est pourquoi l’exposition est réservée aux artistes locaux de Genève et elle s’adresse à eux. Étant donné son paramètre local, le thème que j’ai proposé est donc local. Le luxe est, en effet, une particularité genevoise qui se décline sous plusieurs formes.

Selon vous, qu’est-ce que le luxe à Genève ?
Il y a plusieurs sortes de luxe, par exemple l’import / export, la banque protestante, les visions de Rousseau et de Voltaire, la scène artistique genevoise, la création d’institutions, le monde alternatif. Lorsqu’on part de Genève et qu’on y revient, les liens tissés entre la bourgeoisie, la scène alternative et les institutions apparaissent très clairement. Ce sont des mondes qui se confrontent et se mélangent. Aujourd’hui, on pourrait considérer qu’il n’y a plus de classes sociales. Tout est mélangé. Par contre, tout le monde utilise les codes de la bourgeoisie. Le fait de squatter est un luxe, car cela offre un gain de temps et d’espace. Il n’y a pas besoin de rechercher de l’argent pour payer un loyer. On peut expérimenter la vie communautaire et avoir l’intelligence de créer sa propre structure. La population des squats est essentiellement composée de bourgeois, et non pas de prolétaires. Il en va de même avec l’équipe de l’Usine. Ce sont des gens qui ont reçu une certaine forme d’éducation qui leur a permis de se révolter contre leurs parents, d’avoir le temps de penser. Les artistes de cette exposition ont tous vécu la vie de la scène alternative genevoise. Que ce soit au Rhino, à La Cave 12 ou à l’Usine ouverte en 1989. De ce fait, ils sont tributaires des modèles qui les entourent. Sylvie Fleury, John Armieder ou Fabrice Gygi sont également des figures emblématiques qui font boule de neige. Les artistes de Post Tenebras Luxe illustrent cette thématique du luxe en étant ce qu’ils sont.

Comment sera organisée l’exposition ?
Il y aura 18 installations disposées dans l’enceinte du Musée Rath ainsi que trois portraits d’Henriette Rath : son frère, sa sœur et un autoportrait. Ceci est dû au fait que l’exposition parle des Rath, de leur génération qui oscille entre une vision rousseauiste et voltairienne. Il me paraissait donc normal de leur consacrer une place. L’exposition est très historique et anachronique, car elle parle de traditions vieilles de deux siècles et, particulièrement, du XIXème siècle. Outre les installations qui se trouveront à l’intérieur du Musée, un candélabre de la Place Neuve et plusieurs magasins de chaussures de luxe serviront de support. L’exposition sera conçue de manière à laisser beaucoup d’espace et de vide entre les différentes installations. Elle permettra aux visiteurs de réfléchir au luxe et aux différentes facettes de celui-ci.

Pouvez-vous nous décrire quelques installations ?
Tout d’abord, dans le hall d’entrée, une peinture murale inspirée du titre d’un film japonais, Suicide Club, accueillera les visiteurs. Cela témoigne que l’ennui est le luxe suprême. Les gens sont tellement gâtés qu’ils se suicident. Ce phénomène semble être une adéquation avec les pays riches puisqu’à Genève comme au Japon, le taux de suicide est particulièrement élevé. Ensuite, parmi les installations, nous pouvons citer un DJ en porcelaine, ce qui illustre le fait qu’à Genève, les DJ n’utilisent pas les platines de la même façon que dans d’autres villes. Un cabinet de curiosité sur le thème de la poule illustrera les sujets liés au savoir-faire raffiné et à la prostitution, un grand arbre à chat symbolisera les déviances de la domestication, et un travail sur l’assassinat de Sissi l’Impératrice qui représente à la fois une grande consommatrice d’hôtels de luxe ainsi qu’une métaphore de l’aristocratie tuée par l’anarchisme. Enfin, un diamant noir offrira un jeu de ténèbres et de lumières et une stèle funéraire placée dans la salle de projection démontreront que le luxe n’est pas forcément quelque chose de lumineux. Il n’a pas à l’être.

Comment avez-vous précédé pour sélectionner les artistes ?
Pour participer, il fallait simplement être vivant et donner son argent à Genève, c’est-à-dire, payer des impôts et être inscrit à l’Office Cantonal de la Population. Nous avons reçu pas moins de 156 candidatures d’artistes de tous âges et provenant de tous horizons. Au final, nous en avons retenu vingt.

Le Musée Rath est-il l’endroit idéal pour accueillir une telle exposition ?
Il est intéressant de souligner que le Musée Rath est le premier Musée des Beaux-Arts de Suisse et que son existence est étroitement liée à l’artisanat du luxe à Genève. Cependant, le choix de ce Musée pour cette exposition est le fruit d’une volonté politique. En effet, nous sommes plus habitués à exposer l’art contemporain dans des lieux tels que le MAMCO ou le CAC. Le Musée Rath n’est pas un bâtiment du XXème siècle, il a été mal rénové. A l’intérieur a été installée une sorte de deuxième peau pour donner l’impression que l’espace est carré. C’est, en quelque sorte, un décor.

Propos recueillis par Julie Bauer

Exposition « Post Tenebras Luxe », Musée Rath, du 26 août au 27 septembre 2009
Livre : « Le luxe à Genève de la Réforme à nos jours : approches historiques et visuelles autour du Musée Rath ». Textes de Donatella Bernardi, Christophe Chazalon, Vincent Chenal, Noémie Etienne, Grégoire Extermann, David Ripoll, et Corinne Walker, édition Labor et Fides.