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Musée Barbier-Mueller, Genève
Genève, Musée Barbier-Mueller : Fleurons

Une exposition-anniversaire qui offre une sélection d’œuvres parmi les préférées des propriétaires.

Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 4 août 2007

par P.J. MARCZELL

Jean Paul et Monique Barbier-Mueller organisent la fête du 30e anniversaire
de leur musée autour d’une exposition centrée sur les ‘arts premiers’ d’Afrique et d’Océanie (Indonésie comprise).

Aménagée dans les salles entièrement rénovées, la manifestation rassemble 150 pièces chères aux propriétaires, en privilégiant celles dont le nom du découvreur et les collectionneurs célèbres sont connus. Nombre d’institutions et de sociétés commerciales dont les activités s’inscrivent dans le domaine esthétique, s’y associent. Cette mobilisation se conforme au désir du couple à l’honneur, qui tient beaucoup à ce que les œuvres qu’il aime circulent et deviennent visibles pour autant de monde que possible.

Rayonnement
En quoi la présentation actuelle diffère-t-elle d’un précédent (« L’Homme et ses masques ») qui reste présent dans notre mémoire ? Dans chaque cas, le partenariat du Musée Jacquemart André augmente le rayonnement d’une sélection individuelle. Mais à présent, à la place d’un éminent homme de lettres de haute culture vivant presque en ermite penché sur les biens d’une famille appréciée, c’est un directeur de musée nullement réfractaire aux mondanités qui puise dans un vaste stock, le sien propre. Aussi, ses options se restreignent-elles dans l’espace et dans le temps à deux continents, alors que son regard s’étend largement au-delà du domaine des masques.
Nous y revoyons ainsi des œuvres devenues désormais emblématiques (artefacts g(o)uros de la Côte d’Ivoire, tabouret bamun/foumban du Cameroun, par exemple…) mais aussi d’autres, d’acquisition plus récente, voire des ‘inédites’. L’évolution du patrimoine en question indique une poussée vers l’Océanie à partir du fonds embryonnaire légué par M. Josef Mueller, le père de Mme Jean Paul Barbier. Ce dernier s’explique : « Sans posséder les motivations géniales et impures des surréalistes (la littérature ne fait pas bon ménage avec les arts plastiques), j’aimais la méchanceté des sculptures de Nouvelle-Guinée, et les inventions parfois délirantes propres à des îles comme la Nouvelle-Irlande ou les Salomon. » Sans doute, les bonnes occasions d’achat ont pu jouer un certain rôle dans un tel tropisme, notamment dans les années 1980 auprès des musées d’ethnographie de Dresde, de Leipzig et de Budapest. Etant entendu que les Saxons peuvent toujours se rassurer qu’il en faudrait beaucoup plus pour pouvoir rivaliser avec l’offre océanique du Musée de Dahlem (Berlin, ancien secteur US) ou avec l’héritage historiquement prestigieux du Volkerkundemuseum (d’origine universitaire) de Göttingen (Basse-Saxe).

Sensations
Pour davantage de précision, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le festin qui nous est servi donne une idée tronquée des avoirs artistiques Barbier-Mueller accumulés au cours des trois dernières décennies puisqu’il y manque le volet précolombien mis gratuitement à la disposition de la ville de Barcelone jusqu’en 2015 ; les cessions à certains hauts lieux spécialisés parisiens nous privent également de nombre de sculptures nigérianes, des bijoux d’Insulinde, des tissus indonésiens… Les prélèvements qui nous sont livrés donnent néanmoins plus de sensations que nous ne pouvons digérer d’un seul trait.
Réplique ou convergence de goûts, la vedette de la commémoration qui nous provoque de son affiche est un sceptre « au cavalier » en alliage de cuivre haut de 61,5 cm, daté du XIIe ou du XIIIe siècles. Il représente un roi ou un grand noble et provient d’Ifé. A l’occasion de sa réouverture et de son exposition inaugurale en 2000/2001, le Musée Dapper a fait grand cas d’une figure équestre similaire mais plus petite, chapeautée d’un casque plus compliqué et plus lourd, alors qu’elle appartient à des tiers (le Detroit Institute of Arts). Riches en attributs très codés de toute évidence, les deux témoignent des arts de cour raffinés du royaume de Bénin dont l’aire s’est située dans la zone forestière au sud de l’actuel Nigéria. La découverte de ces types d’« antiquités du Bénin » ont transformé en Europe la vision de l’Afrique, menant vite à d’âpres interrogations sur leur caractère régional et sur leur nature.
Autre statue particulièrement chargée de signification, mais cette fois-ci en bois, la sculpture d’une femme agenouillée baga de Guinée-Conakry atteste un moment analogue dans la prise de conscience ‘moderne.’ En effet, elle a appartenu à Maurice de Vlaminck, (oui, le peintre ‘fauve’, 1876-1958) qui s’est intéressé activement à son marché entre 1805 et 1820. Sa poitrine opulente, ses scarifications faciales, ses colliers et bracelets ornant sa nudité à plusieurs niveaux et sa coiffure délicatement élaborée la rattachent à une typologie prisée par des associations féminines volontiers anti-sorcières. Elles ont décoré, de préférence, les tambours à caryatides. Déhanchement en moins, leur qualité quasi-pneumatique rappelle la spiritualité mêlée de sensualité de pas mal de créations plastiques indiennes du sud [notamment cholas, dont nous avons pu admirer encore récemment des spécimens jalonnant cinq siècles (du IXe au XIIIe) à la Royal Academy of Arts de Londres]. Ou conviendrait-il mieux d’évoquer à ce propos le statuaire kalinga de l’Orissa actuel ?
Toujours sur le plan de la beauté fonctionnelle, les reliquaires issus du Cameroun, du Gabon et de la République du Congo, les « objets-force » du Kongo et les boîtes anthropomorphes en écorce mangbetu rencontrées dans leur proximité relative, nous intriguent autant que les éléments décoratifs de pirogues (proues et pagaies des Iles Salomon (Mélanésie) ou de Malekula (Nlles Hébrides, Mélanésie). Pour abréger, il semblerait que les visiteurs de musées de Genève pourraient se régaler de plus de trésors d’art premier qu’ils ne leur est permis d’intégrer à leur imaginaire, sinon à leur emploi du temps.

PJ Marczell

Jusqu’au 30 septembre 2007.