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Trois expositions pour célébrer un génie de la renaissance
Colmar & Karlsruhe : Matthias Grünewald
Article mis en ligne le février 2008
dernière modification le 2 février 2008

par Régine KOPP

Trois institutions muséales ont réuni leurs efforts pour créer un événement exceptionnel qui permet de découvrir la quasi-totalité des œuvres de Matthias Grünewald, génie de la Renaissance septentrionale.

Trois expositions pour présenter un panorama artistique d’une époque en pleine mutation et mettre en valeur la personnalité et les spécificités de ce génie fascinant qu’était Grünewald, contemporain de Dürer, de Holbein l’Ancien de Léonard de Vinci ou de Michel-Ange.
A la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe, l’exposition s’intitule Grünewald et son temps et propose – avec près de 160 œuvres, dont une vingtaine dues à Grünewald – une vision d’ensemble du talent singulier de l’artiste confronté à celui des artistes contemporains, en abordant deux thèmes essentiels : les représentations de la Passion du Christ ainsi que la technique picturale très élaborée de la grisaille.
Sous le titre Regards sur un chef-d’œuvre, le musée d’Unterlinden de Colmar en Alsace, qui a la chance de conserver le célèbre retable d’Issenheim, consacre pour la première fois en France une exposition – reconnue d’intérêt national – à son auteur Matthias Grünewald, se concentrant sur la genèse du retable avec la présentation de dessins préparatoires.
Le Cabinet des arts graphiques des musées de Berlin est le troisième partenaire qui présentera du 13 mars au 1er juin 2008, pour la première fois, l’ensemble de la production graphique de Grünewald.

Karlsruhe : Grünewald et son temps
Le musée de Karlsruhe est le musée allemand qui possède le fond le plus significatif de Grünewald. Seules de rares œuvres du maître, toutes d’inspiration religieuse, sont parvenues jusqu’à nous : 25 panneaux peints et 35 dessins. Sur la carrière et la vie de l’artiste, il existe encore de nombreuses zones d’ombre. Celui qui se fait appeler Matthias Grünewald, nom donné par son premier biographe Joachim von Sandrart en 1675, s’appelle de son vrai nom Mathis Neithart Gothart, né entre 1475 et 1480 à Wurtzbourg et mort à Halle en 1528. Il a travaillé au service des princes électeurs de Mayence, mais ne signait que rarement ses œuvres et, le cas échéant, se contentait de ses initiales MG et N liées entre elles.
Conçue par Dietmar Lüdke, conservateur en chef pour les maîtres anciens au musée de Karlsruhe, l’exposition est une pure merveille de rigueur, d’intelligence et de raffinement. Pour les dix salles qui composent le parcours, une scénographie très aérée et toujours pertinente dans ses juxtapositions nous fait découvrir l’intensité dramatique et la force expressive de l’univers pictural de Grünewald. Si la première salle est consacrée aux copies du maître, à sa vie et son époque mais aussi à la redécouverte et à la réception de son œuvre, les deux salles qui suivent sont organisées autour de la peinture de grisaille et aux différentes formes de monochrome du début du 16° siècle. Une technique employée également dans les dessins rehaussés, les impressions en clair obscur.

Les quatre panneaux du retable Heller représentant les saints – Saint Laurent, Saint Cyriaque, Elisabeth de Thuringe et une martyre inconnue – sont peints selon cette technique et constituent l’une des œuvres essentielles de Grünewald dans laquelle se lit sa virtuosité. Dispersés au 18° siècle, ils sont à nouveau, pour la première fois, réunis. Une deuxième section, comprenant les salles 4 à 7, s’attache à présenter la représentation de la Passion du Christ, thème qu’il illustra avec une force dramatique. Là aussi, il s’agit d’une grande première pour le retable de Tauberbischofsheim dont les deux panneaux sont de nouveau réunis et présentés tels qu’ils étaient dos à dos : Le Christ en croix et Le Portement de la croix (1523/1525) déploient un pathos qu’aucun autre artiste de l’époque n’a utilisé. Tout autour, des œuvres d’autres artistes contemporains comme Albrecht Altdorfer ou Lucas Cranach, ont été réunies sur ce même thème mais la comparaison donne clairement l’avantage aux innovations audacieuses de Grünewald. « Avec ses buccins de couleurs et ses cris tragiques, avec ses violences d’apothéoses et ses frénésies de charniers, il vous accapare et il vous subjugue ; en comparaison de ces clameurs et de ces outrances, tout le reste paraît aphone et fade », tel est le sentiment ressenti et transcrit par Huysmans à propos de l’art de Grünewald.
Après tant de violence dramatique et de souffrance représentée, le visiteur traversera une salle de dessins et de gravures, consacrée à ce même thème mais traités à chaque fois de manière différente par les artistes : Le Christ en croix (Vers 1520), tout en souffrance côtoie Le Christ en croix d’Albrecht Dürer (vers 1523) dessiné dans les dimensions idéales. Une salle est consacrée aux études du détail et de l’expression. Que ce soit Le buste de femme éplorée aux mains jointes (vers 1515) ou L’enfant en train de crier (1520), ces dessins montrent la minutie du travail sur la physionomie et mettent en avant les émotions jusqu’à leur paroxysme. Des esquisses de visages qui préparent le visiteur à la vision de la saisissante Plainte de Madeleine, une copie d’après une œuvre disparue de Grünewald (1648), une composition exceptionnelle, dans laquelle on voit le crucifié représenté de profil, devenu en quelque sorte anonyme – une audace, pour l’époque – et le visage de Madeleine criant. Dans la même salle La déploration du Christ (vers 1525) provenant de la collégiale d’Aschaffenburg et commandité par l’évêque de Mayence témoigne également des procédés novateurs de Grünewald qui, en ne montrant que les mains de Marie, recourt à un raccourci osé.
L’exposition se termine sur l’explicitation du thème de la ferveur religieuse, permettant de situer les œuvres de Grünewald dans leur contexte culturel de l’époque, et de souligner la diversité des moyens de diffusion de la production imprimée. Cette exposition exemplaire est aussi un projet transfrontalier qui se poursuit à 150 kilomètres de Karlsruhe, au musée d’Unterlinden à Colmar, où se trouve l’œuvre maîtresse : le fameux retable d’Issenheim de Grünewald.

Colmar : Regards sur un chef-d’œuvre
Le retable d’Issenheim du musée d’Unterlinden fait partie de ces joyaux du patrimoine mondial, comme l’est la Chapelle Sixtine de Rome. Et c’est du monde entier que les visiteurs viennent admirer cette œuvre, réalisée vers 1512-1516 par Matthias Grünewald pour les panneaux peints et Nicolas de Haguenau pour les parties sculptées. L’œuvre est une commande pour la préceptoire des Antonins à Issenheim, qui était connue pour soigner le mal des ardents, dit aussi feu de saint Antoine, une maladie mystérieuse qui provoquait des crises hallucinatoires, provoquées par la présence d’ergot de seigle dans la farine. Néanmoins ce polyptique serait tombé dans l’oubli, s’il n’avait été qu’une simple image pieuse. En réalité, il s’agit d’une œuvre de qualité exceptionnelle, d’une profonde spiritualité, un chef-d’œuvre de l’âge d’or de la Renaissance allemande, qui s’inscrit dans ce courant réaliste qui apparaît vers le milieu du 15°siècle et concerne ces artistes, dits primitifs rhénans, dont font partie Baldung, Cranach, Dürer, Holbein et bien sûr Grünewald.
Leur manière de travailler bouleverse les modes de représentation. Non seulement les visages des personnages sont plus expressifs, les artistes étant plus attentifs à l’anatomie, mais aussi les paysages à l’arrière plan fourmillent de détails, l’étude des arbres et de la végétation étant des préliminaires incontournables. Il n’y a qu’à regarder le panneau de La rencontre de saint Antoine et de saint Paul du retable d’Issenheim, dans lequel les personnages se fondent dans la nature luxuriante qui les entoure. La nouvelle manière de dessiner – puis de peindre – se lit aussi dans le traitement des étoffes. Les draperies offrent aux artistes l’occasion de montrer leur virtuosité.

Et c’est bien le mérite exceptionnel de cette exposition de nous montrer toutes ces innovations, en nous présentant d’une part, l’œuvre graphique de Grünewald composé de 29 feuilles, utilisées recto verso, avec un total de 37 dessins. Tous ces dessins, essentiellement au fusain, sont des études de personnages ou de drapés, pour la plupart conçus en lien direct avec le retable. Comme l’Etude de bras et de main pour saint Sébastien (vers 1512, Dresde, Staatliche Kunstsammlung) que l’on appréciera dans toute sa splendeur, ou cette composition très originale du Manteau d’un roi agenouillé, escorté par deux anges (vers 1516, Berlin, Staatliche Museen), ou cette Etude pour la Vierge de l’annonciation (vers 1510, Berlin, Kupferstichkabinett) à laquelle on ne peut rester insensible, tant le raffinement dans le rendu d’un manteau finement plissé dans un tissu léger, est éclatant.
Aux côtés des dessins préparatoires relatifs au retable, la curatrice et conservateur en chef du musée Pantxika de Paepe a pu réunir d’autres trésors, dessins d’autres artistes germaniques de la fin du 15° siècle, début 16° siècle : Altdorfer, Baldung, Cranach, Dürer, Holbein. Une confrontation qui permet de mieux cerner l’originalité de Grünewald. Dessins regroupés en quatre sections : la fonction du dessin dans l’art de la Renaissance germanique, les drapés, les paysages, les compositions religieuses. Le prêt du musée du Louvre, Draperie pour une figure assise (vers 1495) de Léonard de Vinci, montre sans équivoque que c’est vers l’Italie que nous conduisent les drapés de Grünewald, et plus particulièrement vers Léonard de Vinci. Sur ce point de la représentation des tissus, l’artiste se démarque radicalement de la manière traditionnelle de traiter les étoffes dans les ateliers de peintres au nord des Alpes. L’ample robe de la Vierge de la Nativité n’a rien à voir avec la rigidité des drapés flamands, abstraits à force d’être stylisés. Même si un voyage de Grünewald en Italie reste une conjecture, le peintre a une connaissance intime de la manière de peindre une draperie comme le faisait Léonard et rend la peinture de Grünewald encore plus proche de l’art italien.
Une dizaine de dessins de paysages, pour la plupart signés par Albrecht Altdorfer, à la luminosité contrastée, sont caractérisés par la virtuosité du pinceau et de la plume. Dans Le Christ au mont des Oliviers (1509), Altdorfer cherche à accentuer l’effet de profondeur et les personnages se fondent dans la nature environnante. Et comment ne pas être séduit par Paysage au soleil couchant (1522), ses jeux de couleurs et de lumières sont si modernes et nous font songer aux soleils couchants des impressionnistes !

Sans prétendre épuiser le sujet, cette première exposition en France consacrée à Grünewald, mettant en lumière le contexte de la commande et les étapes de l’élaboration du retable, a été l’occasion d’organiser plusieurs colloques réunissant des experts internationaux, pour entreprendre de nouvelles analyses stylistiques et mener des investigations sur la chimie des pigments. Le centre de recherche et de restauration des musées de France y a même été associé, se déplaçant avec tout son matériel, y compris l’indispensable laser. Quand bien même ces analyses ont apporté de nouvelles réponses pour une meilleure connaissance de ce chef-d’œuvre, beaucoup d’autres mystères subsistent.

Régine Kopp

Informations pratiques :
l Staatliche Kunsthalle Karlsruhe,
Tél. : +49 721 926 35 75, www.kunsthalle-karlsruhe.de
Une navette a été mise en place entre Karlsruhe et Colmar : 2, 9, 16, 23 février et 1°mars. (Information : +49 721 181118 ou verkauf@hirschreisen.de)
l Musée d’Unterlinden, Colmar
Tél. : + 33 3 89 20 15 51, www.matthias-grunewald.com
Navette d’autobus entre Colmar et Karlsruhe : 2, 9, 16, 23 février et 1er mars. (Information : +33 3 89 24 65 50 ou info@lktours.fr)