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Film de mai 2011 : “Women Without Men“

Relecture d’une page oubliée de l’histoire iranienne... Eprouvant !

Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 29 novembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Women Without Men


de Shirin Neshat, avec Shabnam Tolouei, Arita Shahrzad, Pegah Ferydoni. Allemagne/France/ Autriche, mais parlé farsi. 2009.

Avec le tumultueux coup d’Etat soutenu par la CIA en Iran en 1953 pour toile de fond, voici dévoilé le destin de quatre femmes qui convergent vers un magnifique jardin d’orchidées dans lequel elles trouvent indépendance, réconfort et amitié.
Le film invite les spectateurs à relire une page de l’histoire iranienne oubliée, occultée mais cherche aussi à rendre hommage à toutes les personnes qui ont perdu la vie en combattant pour la liberté. Women Without Men est dédié à tous les Iraniens décédés qui ont combattu pour que l’Iran soit un pays libre et démocratique, depuis la Révolution Constitutionnelle qui date de 1906 au Mouvement Vert de 2009 (qui fait suite aux dernières élections présidentielles iraniennes).

« Women Without Men » de Shirin Neshat

Shirin Neshat est surtout une photographe et artiste vidéaste. Depuis plus de 10 ans, elle réalise des installations vidéo sur des sujets très différents comme les rapports entre hommes et femmes, le dogmatisme religieux ou l’autodétermination culturelle. Elle a tourné aussi quelques bandes vidéo dont Turbulent (1998) qui a remporté le Lion d’Or à la 48ème Biennale de Venise. Ses œuvres ont été exposées notamment à Paris, New York, Athènes, Londres, Amsterdam, Berlin et Montréal. Son travail est boycotté par le régime iranien. Women Without Men est son premier long métrage en tant que réalisatrice et il n’échappera pas à la censure dans son pays. A la vision du film, on comprend rapidement pourquoi celui-ci a été co-produit en Europe...
A l’origine, Women Without Men est l’adaptation d’un livre éponyme écrit par Shahrnush Parsipur, une des plus célèbres auteures iraniennes de l’époque contemporaine. Parsipur a subi plusieurs années d’emprisonnement et a dû ensuite s’exiler aux États-Unis. La nouvelle a été interdite en Iran depuis sa publication. L’écrivaine apparaît au début du film sous les traits d’une mère maquerelle. Shirin Neshat admire beaucoup cette écrivaine et elle voulait depuis longtemps adapter Parsipur à l’écran : « Son imagination et le style surréaliste de son travail me fascinent et se prêtent par ailleurs parfaitement à la forme très visuelle, que je voulais pour mon film. ». Quant au livre, il est pour Shirin Neshat à la croisée de plusieurs thématiques : la réalité socio-politique, le dogmatisme religieux, les événements historiques et les émotions humaines. La cinéaste est donc allée rendre visite à Parsipur en Caroline du Nord et des liens étroits se sont aussitôt créés entre les deux femmes, ce qui a permis à l’adaptation filmique de ne pas trahir le livre.

« Women Without Men » de Shirin Neshat

Le film se déroule en 1953, une période dont on ne parle jamais en Iran. La cinéaste avoue que cette période était taboue au sein de sa famille, d’où sa volonté de rappeler ces pages brûlantes de l’historie iranienne. Durant cette année-là, l’Armée Britannique et la CIA orchestrent un coup d’État en Iran. Leur objectif est de faire chuter le Premier Ministre de l’époque, le Docteur Mohammad Mossadegh, ainsi que son gouvernement élu par les voies démocratiques, et de garder le contrôle sur l’exportation du pétrole. Après cette opération militaire, le Shah, allié des forces occidentales, a la mainmise sur l’ensemble du pays. Il transforme l’Iran en un régime dictatorial. Il va même jusqu’à créer une police secrète, la Savak, pour empêcher toute forme de contestation. Le Shah sera lui-même renversé durant la Révolution Islamique de 1979. Le gouvernement de Mossadegh, qui a duré seulement le temps d’un été, a été le premier mais aussi le dernier à être élu de manière démocratique. (sources ; dossier de presse).
Grâce au film de Shirin Neshat, on suit la destinée de quatre femmes durant cette période houleuse : une jeune fille dont le frère, islamiste, veut conclure un mariage arrangé et qui préfère se suicider ; son amie, qui essaie de lui venir en aide ; une femme mariée, lassée par son époux militaire, qui fuit dans une roseraie hors de la ville ; une ancienne prostituée qui y trouve refuge. Pour incarner ces femmes, le casting iranien a été forcément repéré parmi la diaspora en exil.
On ressort de ce film très éprouvé par ces destins tragiques, si proches de ceux des Iraniens qui ont participé à la Révolution verte en 2009.

Firouz-Elisabeth Pillet