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Film de décembre 2010 : “L’homme qui voulait vivre sa vie“

Un film pas très crédible, même si tous les ingrédients étaient réunis pour en faire un thriller parfait !

Article mis en ligne le 1er décembre 2010
dernière modification le 29 novembre 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

L’homme qui voulait vivre sa vie


d’Eric Lartigau, avec Romain Duris, Marina Foïs, Catherine Deneuve, Niels Arestrup, Eric Ruf. France, 2010.

Paul Exben a tout pour être heureux : une belle situation professionnelle en tant qu’avocat, une femme et deux enfants magnifiques, une maison opulente en banlieue. Mais cette vie n’est pas celle dont il rêvait. Alors qu’il découvre l’adultère de sa femme, un coup de folie va faire basculer son existence, l’amenant à endosser une nouvelle identité qui va l’amener sous d’autres horizons… Là où il se mettra à pratiquer sa passion, la photographie.
Adapté du roman éponyme de Douglas Kennedy, paru en France en 1998, le film d’Eric Lartigau a permis au cinéaste de confier le rôle de Sarah Exben à sa propre compagne, Marina Foïs. Le couple tourne pour la troisième fois ensemble après Mais qui a tué Pamela Rose ? (2002) et Un ticket pour l’espace (2005). Pour le couple la difficulté a été de ne pas exporter leur travail à la maison car, comme le souligne l’actrice, contrairement aux autres acteurs, qui laissent leur travail sur le plateau de tournage, il leur était impossible de ne pas parler du film le soir à la maison. Quant aux autres acteurs, Romain Duris avait déjà tourné avec Niels Arestrup dans De battre, mon cœur s’est arrêté, réalisé par Jacques Audiard et avait croisé Catherine Deneuve sur Le Petit Poucet, où il jouait l’un des gardes de la reine qu’elle interprétait.

« L’homme qui voulait vivre sa vie » avec Marina Foïs, Romain Duris
© Nicolas Guiraud

L’écrivain Douglas Kennedy avait déjà reçu cinq propositions visant à porter son livre à l’écran, et avait même écrit lui-même une adaptation pour le cinéma mais elle est restée dans ses tiroirs, car il n’en était pas satisfait. Très apprécié du public européen, l’auteur de Cul-de-Sac, La Poursuite du Bonheur ou encore La Femme du Ve, a écrit ce thriller psychologique en 1997 alors qu’il était encore peu connu ; L’Homme qui voulait vivre sa vie lui a fait connaître le succès à l’international, car cette œuvre a rapidement été traduite dans seize langues différentes. Son tout premier roman, Cul-de-sac, se déroulait en Australie et avait été porté à l’écran par Stephan Elliott. Au tour d’un cinéaste français de se risquer à l’adaptation d’un de ses romans ! Eric Lartigau délaisse le genre de la comédie pour se plonger dans celui du thriller psychologique, s’appropriant le scénario en lui apportant quelques modifications et surtout en transposant l’intrigue dans la France d’aujourd’hui. L’intention était bonne…
Le Ben Bradford du roman de D. Kennedy devient ainsi Paul Exben (Romain Duris), un modèle de réussite sociale qui partage son quotidien entre sa famille et son travail d’avocat. Cependant, sa vie est un trompe-l’œil : Paul a toujours rêvé d’être photographe et subit les brimades et la distance croissante de son épouse (Marina Foïs). Quand il découvre que celle-ci le trompe... avec un voisin photographe, Paul y voit le reflet de celui qu’il a toujours rêver d’être. En venant aux mains avec l’amant de sa femme, Paul l’assassine, un acte non prémédité qui va changer son existence à tout jamais. Structuré en deux parties distinctes, L’homme qui voulait vivre sa vie dépeint avec méticulosité l’univers étriqué de cet homme lisse comme une feuille immaculée, avant de le plonger brutalement dans l’état de hors-la-loi, une condition difficile qui rime avec planche de salut pour Paul : il peut enfin devenir photographe mais paie une prix élevé : renoncer à ses enfants.

« L’homme qui voulait vivre sa vie » avec Romain Duris et Niels Arestrup
© Nicolas Guiraud

Par le prisme de cette quête existentielle, qui questionne les fondements même de l’identité, en créant un clivage, un fossé immense entre le personnage social et familial et l’être profond qui s’est tu pendant des années et sort enfin de sa chrysalide. En assassinant l’amant de sa femme, Paul s’assassine lui-même dans une mise en scène macabre, du moins son alter ego social, pour mieux renaître de ses cendres. Dans cette fuite, Paul, devenu Grégoire, se construit un nouveau personnage, recréant un nouveau mensonge qui finira par l’entraîner encore ailleurs.
Les ingrédients pour un excellent thriller étaient, a priori, réunis, Eric Lartigau n’avait plus qu’à les servir avec virtuosité. L’auteur de Pamela Rose avait su nous amuser et nous faire rire de bon cœur… Il aurait peut-être dû se cantonner au registre comique. Recourant à des artifices presque trop soutenus – l’atmosphère sonore tendus - Eric Lartigau accumule les éléments improbables qui suscitent inévitablement rires et amusement chez les spectateurs au lieu de les tétaniser de peur par un suspens rondement mené. Parmi ces éléments peu convaincants, notons un Romain Duris peu crédible en brillant avocat, père de famille aisée ; l’acteur se démène et s’applique, semblant plus investi que jamais, mais peine à nous convaincre dans son rôle… La catharsis du grotesque est atteinte dans séquence du meurtre, brute et abrupte mais qui rappelle les sketches des caméras. La malheureuse Catherine Deneuve fait figure de faire-valoir prétexte et le bien-fondé de son personnage nous tarabuste jusqu’à la fin.

« L’homme qui voulait vivre sa vie »
© Nicolas Guiraud

Niels Arestrup amuse la galerie en interprétant un rédacteur en chef alcoolique… Censé être ivre mort, l’acteur ne parvient pas à nous convaincre de son état d’ivresse. Autre invraisemblance cocasse : ce rédacteur en chef, à la tête d’un grand journal serbe, ne parle pas un traître mot de serbo-croate avec les autochtones. Peut-être est-ce du à son état avancé d’ébriété ? Et comme si le tableau n’était pas complet, le réalisateur en rajoute avec une scène où des clandestins, découverts par l’équipage du bateau, sont balancés nus par dessus bord… Mais Paul-Grégoire, qui a photographié toute cette terrible scène, en ressort indemne puisqu’il se retrouve sur un canot de sauvetage que la Providence (à moins que ce ne soit le réalisateur) a judicieusement placé là au bon moment. Parler d’éléments improbables, voire rocambolesques, semble presque faible, somme toute.
Notons la remarquable mais furtive interprétation de Brana Katic, qui a déjà tourné avec Michael Mann dans Public Ennemies (2009), Emir Kusturica dans Chat noir, Chat blanc (1998) ou Fatih Akin dans Julie en juillet (2000) est pourtant inconnue en France. L’homme qui voulait vivre sa vie est le premier film français de l’actrice serbe.
Bref, il y a beaucoup de meilleurs films à voir actuellement à l’affiche…

Firouz-Elisabeth Pillet