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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - octobre 2014

67e Festival del film Locarno

Article mis en ligne le 1er octobre 2014

par Raymond SCHOLER

La rétrospective Titanus alignait une telle brochette de films rares qu’il était impensable d’en sacrifier trois pour voir le film qui allait remporter le Pardo d’oro, From What Is Before , du Philippin Lav Diaz, (338 minutes) ! D’autre part, je ne comprends pas l’engouement du jury qui a donné son prix spécial à Listen Up Philip de l’Américain Alex Ross Perry.

Ce portrait d’un écrivain aux écrits vains et au caractère de cochon lasse assez rapidement par son trop- plein de sarcasmes. L’individu et son mentor, un professeur d’université du même acabit, passent leur temps à s’écouter débiter des jugements de misanthropes vaniteux pendant que la caméra portée essaie de les cadrer tant bien que mal. Si les deux n’avaient pas été joués avec une délectation certaine par Jason Schwartzman et Jonathan Pryce, je crois que je leur aurais faussé compagnie.

« Listen Up Philip » - sur la photo, le directeur Alex Ross Perry avec Jason Schwartzman et Jonathan Pryce

Nuits Blanches sur la Jetée est la dernière adaptation de la nouvelle de Dostoïevski. Quand bien même elle est l’œuvre d’un cinéphile extrêmement averti, Paul Vecchiali, auteur de la plus monumentale et pertinente analyse des films français des années 1930 (L’Encinéclopédie, 2010, éditions de l’Oeil), force est de constater la singulière aridité de la mise en scène qui ne dégage rien d’organique, mais se contente de filmer presque frontalement les deux jeunes gens lors de leurs pérégrinations sur les bords bétonnés d’un port silencieux. Les dialogues filent comme des perles monotones, sans relief, de sorte que l’absence de charisme des acteurs (Astrid Adverbe (sic) et Pascal Cervo) s’y ajoutant, le spectateur n’y prête plus l’attention qu’il faudrait et se surprend à s’ennuyer ferme. Maria Schell était une Nastenka d’un autre format et Mastroianni un jeune rêveur qui fit rêver dans le film de Visconti, Le Notti Bianche (1957). Vecchiali n’est décidément pas Visconti.

« Durak / The Fool » de Yury Bykov

Le prix de la meilleure interprétation masculine fut attribué à Artem Bystrov dans Durak / The Fool du Russe Yury Bykov. Il y incarne un plombier d’une droiture aussi inébranlable que celle que sa mère et sa femme reprochent à son père. Un soir de décembre, il est appelé dans un HLM pour réparer une canalisation d’eau fendue. Il découvre une fente de 10 cm qui court du rez jusqu’au 9e étage, des deux côtés de la bâtisse. Estimant que celle-ci risque de s’écrouler sur ses quelque 200 habitants, il alerte la maire de la ville, en pleine fête d’anniversaire. Commence alors la pièce de résistance du film : les chefs des différents services se réunissent, tous avinés, mais conscients qu’ils risquent gros, pour débattre de la question : doit-on évacuer tout de suite et où reloger cette foule ? On apprend peu à peu que tous sont impliqués dans des affaires de pots-de-vin et de détournements de fonds. Comme ils ne trouvent pas de lieu couvert pour héberger en catastrophe les futurs SDF, ils optent pour la politique de l’autruche, quitte à sacrifier le messager et un ou deux boucs émissaires. Bykov, tout comme Andreï Zviaguintsev, se livre à une attaque en règles contre les tares de la Russie de Poutine. Il semble ne distinguer que 3,1 classes sociales : les corrompus/enrichis, les obnubilés/suiveurs et les abrutis/déshumanisés/criminels. Les honnêtes gens, il n’y en a que très peu.

A Blast du Grec Syllas Tzoumerkas est plus brouillon, mais symptomatique du ras-le-bol qui prévaut dans la population grecque. Maria est une épouse de la classe moyenne qui s’insurge contre sa mère handicapée qui ne paie pas ses impôts depuis belle lurette, contre son beau-frère facho qu’elle accuse de molester ses enfants, contre l’État qui émet des lois défavorables aux petits propriétaires, etc. Elle a la rage au ventre. Son mari marin est loin le plus clair de l’année, alors elle va dans les cybercafés consulter des sites porno, au vu et au su de mâles interloqués. Son époux n’est pas en reste, lui qui a succombé à l’amour grec en cabine. Bref, les personnages pètent les plombs dans tous les sens et ce manque de focalisation n’est ni à l’avantage du film ni, s’il correspond à un miroir de la Grèce, à celui du pays.

« Plemya / La Tribu » de Miroslav Slaboshpytskiy

En revanche, la rigueur de Plemya/La Tribu de l’Ukrainien Miroslav Slaboshpytskiy est exemplaire. Le film, qui a remporté le Grand Prix Nespresso de la Semaine de la Critique cette année à Cannes, doit sa présence à Locarno à celle de son auteur parmi les jurés des Léopards de demain. Slaboshpytskiy rêvait toujours de faire un film muet, sous-entendu un film sans paroles. Mais pas sans bruits. Il réussit son pari en faisant se dérouler son récit dans un internat spécialisé pour sourds-muets. Lorsque des gens « normaux » sont impliqués, il les filme à travers des vitres pour qu’on n’entende pas le son de leurs voix. Les seuls signes de communication sont donc les gestes des sourds-muets. Il n’y a pas de sous-titres. Pourtant, par le contexte, le spectateur comprendra tout ce qui se passe. Le film est construit en longs plans-séquences qui durent juste ce qu’il faut pour un maximum d’impact. Une scène d’avortement, par exemple, commence avec l’entrée de la jeune fille dans l’appartement de la faiseuse d’anges et prend fin à sa sortie. Sergueï, un nouvel élève est présenté à la classe et tout de suite embrigadé par une bande de frappes qui pratiquent le racket et le vol en groupe et prostituent deux filles aux routiers sur une aire de parking. La violence dont ils sont capables n’a pas de bornes. Lorsque le guetteur des filles meurt sous les roues d’un camion qu’il n’a pas entendu venir, Sergueï est promu accompagnant des tapineuses et tombe amoureux de la blonde. Elle, elle n’a qu’un but : aller vendre son corps en Italie. Il veut la protéger et la garder, et déclare ainsi la guerre au gang.

Affiche de « Remake, Remix, RipOff » de CemKaya

Le documentaire le plus instructif fut Remake, Remix, RipOff du Germano-Turc Cem Kaya. Véritable travail d’archéologie cinématographique, le film explore les traces de la production des milliers de bandes ultrafauchées d’un cinéma populaire entre 1970 et 1990 qui se fabriquèrent à la chaîne, sans respect pour des droits d’auteur ou des droits à l’intégrité corporelle des acteurs mal payés, et dont les seuls restes témoignant de leur passage sont les K7 pourraves trouvées dans les vidéoclubs de la diaspora turque en Allemagne. Les maisons de production de ces remakes de blockbusters américains (Superman, Rambo, Star Wars, Rocky, E.T., et j’en passe), tournés avec le nombre requis de bagarres (6 par film) se situaient toutes dans la même rue à Istanbul, Yesilcam, qui donna à ces produits l’empreinte de son nom. Kaya a retrouvé quelques-uns des action stars et des réalisateurs, notamment Cetin Inanç, très fier de sa carrière (il lui arrivait de réaliser jusqu’à 8 films par an), qui explique comment on faisait des travellings fluides avec la caméra clouée sur une table dont les quatre pieds, prolongés par des savons, étaient posés dans des rails : il suffisait d’ajouter de l’eau et ça glissait à merveille. Quant aux accompagnements musicaux, que du bon : John Williams, Alex North, Hans Zimmer, Alfred Newman etc et ça ne coûtait que le prix des microsillons.

Dans la même section, Histoire(s) du cinéma, un petit hommage de 4 films fut consacré à celui que Pierre Rissient considère comme le plus pur représentant du cinéma mandarin d’après-guerre, avec tout ce que cette définition implique de culture intrinsèque, LI Han-Hsiang. Natif de Liaoning, Li a aussi bien travaillé pour le cinéma taïwanais que pour les frères Shaw de Hong Kong et, tardivement, en Chine Populaire (voir The Empress Dowager (1989), le deuxième film avec Gong Li), excellant autant dans les drames historiques et les huangmei diao (film musical avec scènes chantées) que dans les comédies érotiques ou les descriptions réalistes de la vie des petites gens, comme dans le beau mélo Dong Nuan/L’hiver (Taïwan, 1969). La passion de Li pour le jeu lui faisait perdre tout son argent dans les casinos de Macao, de sorte qu’il était obligé de tourner avec une certaine frénésie : 80 films en 37 ans.

« The Kingdom and the Beauty »

Dans The Kingdom and the Beauty (1959), l’empereur, pressé par sa mère de chercher femme, prend la poudre d’escampette et voyage incognito avec son aide de camp, histoire d’apprendre à connaître son royaume. Il vit une belle histoire d’amour avec une jeune aubergiste et, lorsque son identité est révélée, il lui promet de la faire quérir à la cour. Les mois passent, la belle se languit et met au monde un enfant. Toujours pas de nouvelles de l’empereur, car à la cour, on l’a entouré d’un tel harem qu’il ne pense plus à sa belle provinciale. Mais le frère d’icelle (joué par le cinéaste King Hu, compagnon d’études de Li) se rend à la capitale et rappelle au fils du Ciel sa promesse. Mère et enfant seront tout de suite véhiculés en grande pompe vers la Cité Interdite, mais les rigueurs du voyage auront raison de la santé de la belle amante. Les chansons sont ravissantes et les décors chatoyants.

« Legends of Lust »

Legends of Lust (1972) revendique le droit des femmes au plaisir, dût-il passer par le bordel. Trois pensionnaires d’une maison de joie racontent comment elles y ont atterri. La première parce que son père l’avait mariée au fils d’un riche marchand, âgé de 10 ans à peine. Pendant la nuit de noces, le petit ami de la mariée s’empare du marié prépubère, le ligote sur une chaise et passe une nuit torride dans le lit nuptial. Au petit matin, les coupables sont arrêtés et acheminés, qui en prison, qui au lupanar. Deux autres saynètes évoquent les stratagèmes d’épouses pour tromper en toute quiétude leurs maris trop bêtes ou trop vieux. Dans Four Moods : Bliss (Taiwan, 1970), Li s’essaie avec bonheur au film de fantômes : un vieux pêcheur y rencontre un sympathique fantôme tout en blanc, dans lequel il croit avoir trouvé un possible fiancé pour sa fille. Après ces films, on a envie de voir tout Li.

Au mois prochain

Raymond Scholer