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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - octobre 2007

NIFFF 7e édition (du 3 au 8 juillet 2007)

Article mis en ligne le octobre 2007
dernière modification le 22 février 2012

par Raymond SCHOLER

Avec une cinquantaine de longs métrages répartis sur cinq jours, le festival neuchâtelois de films fantastiques affichait une belle assurance.

Compétition Internationale
Dans la compétition, l’éventail était ouvert au maximum. A l’une des extrémités, des nanars au clinquant new age comme l’hypercinétique Day Watch (du Russe Timur Bekmambetov ; où les forces de l’Ombre et celles de la Lumière bataillent dans les réceptions mondaines de Moscou pour se procurer la Craie du Destin (sic) ; le film prend son agitation frénétique pour le Saint-Graal du progrès cinématographique et ne laisse à aucun personnage la possibilité de construire un semblant de relation avec le spectateur) ou le mollement languissant Jade Warrior (du Finlandais Antti-Jussi Annila ; où un jeune forgeron finlandais découvre qu’il est la réincarnation d’un guerrier chinois d’il y a 4000 ans et qu’il est capable de voyager dans le temps entre les deux cultures pour satisfaire une ancestrale prophétie tout en déjouant les sombres desseins d’un sorcier incarné par l’Homme sans Passé d’Aki Kaurismäki en personne, Markku Peltola. Y aurait-il une Ecole finlandaise du Triste et Maussade ?).

« You, the Living » de Roy Andersson

A l’autre bout, des oeuvres véritables, à la mise en scène décalée et poétique comme You, the Living du Suédois Roy Andersson ou hyperréaliste et efficace comme 28 Weeks Later de Juan Carlos Fresnadillo (Royaume-Uni). Le dernier est la suite directe du film de Danny Boyle, 28 Days later (2002). Petit rappel : une épidémie virale foudroyante transforme ses victimes en zombies assoiffés de sang et fait de la Grande-Bretagne, en quatre semaines, un mouroir général où émergent quelques îlots fortifiés de non-infectés. Le nouveau film se révèle encore plus angoissant que le premier. On apprend que 28 semaines après sa déclaration, l’épidémie est vaincue : faute de chair fraîche, les zombies sont morts de faim. L’armée américaine, mandatée bien sûr par l’OTAN, installe au bord de la Tamise un centre d’accueil pour les sujets de Sa Majesté qui veulent revenir peupler le Royaume-Uni. Las ! Il n’ont pas compté avec l’éventualité de survivants apparemment sains, mais porteurs du virus : un moment d’inattention est si vite arrivé ! Re-belote. Voilà que les GI reçoivent l’ordre de liquider tous les civils ! Ce qui est proprement ahurissant dans ce film (dont l’action s’étend sur trois jours), c’est la capacité du jeune réalisateur Fresnadillo (un seul autre long métrage à son actif) à faire coexister deux styles, l’un avec des plans calmes ou amples lorsque le danger semble sous contrôle ; l’autre avec caméra portée tout près pour les scènes de panique ou de folie furieuse, quand il nous met subjectivement dans la peau des persécutés ou des zombies. Le jury a préféré donner le “Narcisse du Meilleur Film” à You, the Living, sans doute plus défendable devant un aréopage d’intellectuels qu’un film bassement d’action. Celui d’Andersson s’inscrit dans la filiation naturelle de Songs from the Second Floor (2002), son précédent opus : une suite de tableaux décrivent avec un humour souvent caustique des microévénememts qui se déroulent dans un environnement de restaurants mornes et d’appartements défraîchis peuplés d’habitants déprimés. Des plans archicomposés se succèdent comme toujours sans tissu connectif reconnaissable, mais l’esprit anticapitaliste et la désespérance apocalyptique du film précédent ont fait place ici à un ton plus léger. L’utilisation ludique de la musique fait notamment du film une ode aux vicissitudes de l’existence humaine, où Andersson longe avec précaution la fine frontière entre dérision et sympathie, entre pessimisme et (un) espoir (tout relatif).

« Black Sheep » de Jonathan King

Le Prix du Public fut remporté par Black Sheep, du Néo-Zélandais Jonathan King, qui imite sur le mode comique 28 Days later. A nouveau, des écologistes s’attaquant à un laboratoire d’expériences génétiques (dédié ici à la création du mouton le plus laineux possible) libèrent un foyer d’épidémie en pleine nature, en l’occurrence, un fétus ovin cannibale qui a échappé au four crématoire. Or ce petit a plein de crocs et mord voracement. Les humains mordus se transforment en monstres à la Docteur Moreau qui se ruent à leur tour sur tout ce qui bouge. Les moutons-garous déchiquètent des corps, arrachent des intestins et des gorges dans une belle orgie d’effets de latex et d’animatronique (heureusement préférés aux numériques), se vengeant sans doute de siècles de maltraitance par les humains. Ceux-ci finissent par découvrir que la sauce à la menthe a sur ces bestiaux un effet restaurateur. Alors que le contact de l’eau bénite avec les vampires réduit ceux-ci en poussière, celui de ladite sauce avec les mutants permet à ceux-ci – comédie oblige ! - de retrouver leur forme originelle et bien vivante, toutes espèces confondues. Ouf, on l’a échappé belle !

Rétrospective Coréenne
La rétrospective coréenne était consacrée essentiellement à deux ténors actuels du film de genre, Chan-Wook Park et Seung-wan Ryoo.
De Park on put déguster, outre sa célèbre trilogie de la Vengeance (Sympathy for Mister Vengeance, Old Boy et Lady Vengeance) son film politique, Joint Security Area (2000), sur la fraternisation illicite entre soldats nord- et sud-coréens qui montent la garde près de Panmunjom : une tragédie bouleversante totalement démunie de l’esprit de dérision qui caractérise la suite de son oeuvre.
Le meilleur film de Ryoo, No Blood, no Tears (2002) tient à la fois de Pulp Fiction (avec son duo de femmes d’action qui réussissent à subtiliser à des gangsters professionnels l’argent des paris gagnés avec des combats de chien illégaux) et de Snatch (le milieu est décrit sans fausse sensibilité pour ce qu’il est : archiviolent – même les héroïnes reçoivent des coups de poings en pleine figure – et parfois involontairement comique, car les mauvais garçons n’ont guère inventé la poudre). Dans City of Violence (2006), Ryoo joue la carte Kill Bill (la démolition finale du casino-repaire du méchant s’avère cependant moins stimulante que le massacre perpétré par Uma Thurman), tandis que Crying Fist (2005) est une sorte de Rocky plein de chaleur humaine et d’yeux embués qui oppose en un match cathartique un vieux boxeur acculé au chômage et un jeune loubard qui trouve sa rédemption dans le sport, thème qu’on ne saurait qualifier d’original.

« Joint Security Area » de Chan-Wook Park

Quant au cinéma coréen de jadis, il était représenté par trois films de Ki-Young Kim, la nouvelle coqueluche de la cinéphilie parisienne. L’importance de Kim tiendrait au fait que, déjà dans les années 60 et 70, il osa montrer les désirs bestiaux comme moteur essentiel de nos actions. Je dois avouer que j’ai de la peine avec ses films (à l’exception de l’excellent The Housemaid (1960)), tant la direction d’acteurs catastrophique (ils beuglent tous sans arrêt), le scope hésitant et mal cadré, les enchaînements abrupts, bref tout un arsenal méthodique, relèvent pour moi plutôt du cinéma d’amateur. On est loin d’Erich von Stroheim ! En revanche, quelle découverte que celle de The Dream (1967) de Sang-Ok Shin. Voilà un cinéaste dont je connaissais le nom uniquement par la curieuse carrière qui fut la sienne. Décédé en avril 2006 à l’âge de 80 ans, Shin était un des cinéastes sud-coréens majeurs dans les années 60. En 1978, il est kidnappé par des agents nord-coréens. Kim Il-Sung et son fils veulent faire de lui le cinéaste officiel de la Corée du Nord. Après cinq ans de prison, Shin cède et accepte de tourner pour le régime des films dans lesquels il arrive cependant à imposer sa patte. En 1986, il réussit à s’évader et à recommencer aux Etats-Unis une carrière sous le pseudo de Simon Sheen. En 1994, il retourne en Corée du Sud et continue de réaliser des films jusqu’en 2004 sans être jamais vraiment réhabilité. Dream montre un moine bouddhiste qui tombe amoureux de la fille du gouverneur. Dans un rêve, il voit se dérouler l’existence pleine de privations et de tragédies qui eût été la sienne s’il s’était enfui avec sa bien-aimée : moralité, les envies d’ici-bas n’amènent que misère. Soulagé, il reprend ses dévotions. Une mise en scène où s’affirme un sens du cadre et un dynamisme plastique qui restituent l’énergie contrariée d’amours impossibles et de pulsions basiques. On en redemande.

Au mois prochain

Raymond Scholer