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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - mars 2012

30th Pordenone Silent Film Festival (suite) & meilleurs films de 2011

Article mis en ligne le 1er mars 2012

par Raymond SCHOLER

Le plus éprouvant programme des Giornate fut celui des pionniers de l’animation japonaise. Seuls les spécialistes peuvent apprécier les papiers découpés (1924-1931) de Noburo Ofuji : la répétitivité dans les mouvements aller-retour pour simuler l’action avait sur les festivaliers le même effet qu’un pendule d’hypnotiseur. C’est une caractéristique assez générale des premières animations, puisqu’on la retrouve entres autres aussi dans les Laugh-O-grams (1921-1923), premiers travaux sur cellulo de Walt Disney. Deux œuvres de Yasuji Murata prouvèrent qu’un dessin animé pouvait transcender cette stérile obsession cinétique.
Kobutori/His Snatched-Off Lump (1929) est un conte moral comico-poétique basé sur une légende : un vieillard danse avec un tengu (lutin aviaire) dans l’espoir que ce dernier lui enlèvera une grosseur qui le défigure. Les traits clairs se croisent dans un dédale savant pour recréer la pluie, les nuages et le clair de lune dans l’évocation d’une atmosphère de douceur qu’on retrouvera chez Miyazaki. Derrière le titre Futatsu no Sekai/Deux mondes (1929), se cache une adaptation de La Cigale et la Fourmi (Esope fut introduit au Japon par les Jésuites dès le XVIe siècle). Là encore, le dessin est d’une finesse et d’une alacrité époustouflantes, les personnages des hyménoptères portant même des vêtements minuscules pour signifier leur statut sexuel ou familial. Un des sommets de ce festival.

L’exploration du cinéma géorgien, commencée l’année passée avec l’œuvre de Kalatozov, continue cette année avec six films produits par la Sakhkinmretstvi, l’établissement étatique instauré par Moscou. Le premier metteur en scène de ce studio fut le Russe Ivan Perestiani, qui, après une carrière théâtrale moscovite, avait débuté en 1916 comme acteur chez le grand Yevguéni Bauer et acquis une expérience de scénariste et de réalisateur. Ses œuvres géorgiennes satisfont aux exigences idéologiques soviétiques tout en popularisant la culture nationale géorgienne. Le Cas de Tariel Mklavadze (1925) relate ainsi la révolte d’un simple maître d’école, dont la femme fut violentée par un aristocrate local. La direction d’acteurs très moderne, l’utilisation de flash-back et la précision ethnographique de la mise en scène concourent à produire une œuvre attachante. Eliso (1928) de Nikoloz Chenguelaia présente un épisode de la transplantation des Tcherkesses en Turquie, dans les années 1860. Le gouvernement tsariste veut à tout prix procéder à la russification du pays conquis par nettoyage ethnique : on commence par dresser sournoisement les musulmans contre les chrétiens et vice-versa, en vain. A la fin, tous les habitants du village de Verdi se mettent en route avec leurs baluchons, mais Eliso, fille du doyen, met le feu au village pour bien signifier qu’il ne peut plus être à personne. Amerikanka (1930) de Leo Esakya raconte les tribulations d’une imprimerie clandestine à Moscou (le titre renvoie à l’origine de la machine), cachée dans les caves d’un épicerie et opérée par des Transcaucasiens bolcheviques pendant la première Révolution russe de 1905. Les objets – journaux, pamphlets, machines à écrire, presses - sont emphatiquement magnifiés pour leur valeur symbolique.

« Novyi Vavilon / La nouvelle Babylone »

Une autre fenêtre du festival s’ouvrait sur la FEKS (Fabrique de l’Acteur Excentrique), notamment sur les collaborations entre le tandem Grigori Kozintsev/Ilya Trauberg et le compositeur Dmitri Chostakovitch. On put ainsi revoir Novyi Vavilon/La Nouvelle Babylone (1927), l’évocation impressionniste géniale de la Commune de Paris : les personnages du premier plan sont d’une netteté impeccable, le fond est plutôt pointilliste, fumée et vapeur jouant un rôle capital. En 1931, les trois compères se retrouvent pour Odna/Seule . Kuzmina vient d’obtenir son brevet de maîtresse d’école à Moscou et, malgré sa réticence initiale, se laisse envoyer dans l’Altaï mongol. Elle trouve l’école abandonnée et la communauté sous les férules d’un chaman primitif et du responsable débraillé et corrompu du Soviet local, complètement inféodé au vieux koulak du coin. Kuzmina gagne la confiance des habitants, ce que le riche propriétaire et le représentant de l’État soviétique voient d’un très mauvais œil : ils s’arrangent pour qu’elle succombe au froid dans l’immensité gelée. Elle est sauvée in extremis après avoir été localisée par un avion. À cheval sur le muet et le sonore à la suite de sa longue durée de tournage, le film se signale par l’utilisation originale des effets sonores (bruits de rue, musique chamane, réveille-matin, haut-parleurs, chansons), tout à fait dans l’esprit de l’excentrisme.

Yelena Kuzmina dans « Odna / Seule »

La présence d’une partition de Chostakovitch nous a aussi permis de voir et entendre un petit bijou de l’animation soviétique : Skazka o Glupom Myshonke/L’histoire de la Petite Souris Stupide (1940) de Mikhail Tsekhanovsky, en couleurs de surcroît. Comme la petite souris ne veut pas dormir malgré les berceuses de sa maman, celle-ci se voit obligée de solliciter l’aide des divers animaux du village. Leurs berceuses sont tout aussi inopérantes. Pour finir, la pauvre mère s’adresse à la Chatte, si séduisante. Sa chansonnette semble fonctionner, mais la situation est périlleuse…

Parmi les Trésors du western muet, il convient de citer deux films superbes :
  The Lady of the Dugout (1918) de W.S.Van Dyke est d’un réalisme quasi-documentaire. C’est un des très rares westerns qui parlent de la pauvreté : l’Ouest y est un endroit où les rêves se brisent. Le refuge dont il est question ici n’est pas une cabane, mais un simple trou creusé dans le sol, recouvert de branchages et identifiable par une cheminée au niveau du sol. Le seul happy end serait un retour vers l’Est. Dans un de ces trous végètent une mère et son enfant. Deux bandits qui viennent d’attaquer une banque s’y font héberger et laissent leur butin à ces miséreux comme de vrais Robins des Bois. Peut-être parce que les bandits sont incarnés par d’authentiques hors-la-loi, Al et Frank Jennings, rentrés dans le droit chemin depuis des années, et qu’Al Jennings est le producteur du film. Googlez-le : sa carrière (au barreau comme derrière les barreaux, sur les scènes politique et cinématographique) est d’une rare diversité.

Clara Bow dans « Mantrap »

  Mantrap (1926) de Victor Fleming tire son ressort comique de la transplantation de la malicieuse et sexy Clara Bow, fille moderne et urbaine par excellence, dans les forêts profondes du Canada. Contrairement au personnage créé par Sinclair Lewis dans le roman misogyne qui est à la base du scénario, et qui voit la vile tentatrice punie par la nature, la petite manucure du film montre une incroyable capacité d’adaptation, d’optimisme et de volonté qui la font triompher de tous les tracas. Le New Yorkais qui est venu se ressourcer dans le fin fond de la brousse, à la recherche de sa virilité, et dont elle s’entiche brièvement, ne peut en dire autant. Vivement les autres muets de Fleming !

Dans le programme des Classiques Revisités, citons :
  Oblomok Imperii/Un Débris de l’Empire (1929) de Fridrikh Ermler raconte l’histoire d’un Rip Van Winkle russe : un officier de l’Armée Impériale perd la mémoire sur un champ de bataille de la Grande Guerre et la retrouve une décennie plus tard dans un environnement qui lui est totalement étranger. Eberlué de voir que son ancien patron n’a plus aucun pouvoir, ni même de statut social, il finit par adhérer à la société égalitaire communiste, mais n’a pas son égal pour dénicher les brebis galeuses qui profitent du système. Fedor Nikitine est prodigieux dans le rôle qui exige une justesse psychologique de tous les instants.

« Asphalt »

  Asphalt (1929) de Joe May apparaît de plus en plus comme un des films allemands les plus marquants de la fin du muet. C’est un exemple parfait du Strassenfilm de la période Weimar, avec son macadam pluvieux étincelant, ses devantures somptueuses d’hôtels et de magasins et les promesses de plaisirs illicites dans la nuit de la grande ville. Tout concourt à ce que les hommes succombent à la tentation. C’est ainsi qu’un jeune policier tombe amoureux de la voleuse de bijoux qu’il doit arrêter et finit par tuer, par inadvertance, son rival. L’attention au détail et le réalisme peu sentimental font partie intégrante du courant de la Neue Sachlichkeit. En même temps, le film fait aussi partie du Kammerspielfilm avec sa description minutieuse de la vie étriquée des petites gens (la famille du policier, toute de rectitude prussienne), contrastant avec le monde bling-bling de luxe et de consommation de la femme fatale. Un chant de cygne sublime avant l’irruption du sonore trois mois plus tard.

Pour finir j’aimerais attirer votre attention sur la compagnie Thanhouser : les petits films de 15 minutes fabriqués entre 1911 et 1917 par cette compagnie de New Rochelle, NY, sont des modèles de concision scénaristique et de mise en scène réaliste et sur le site www.thanhouser.org/videos-online.htm on peut visionner une cinquantaine de titres. Je vous conseille surtout Their One Love (1915), un des plus déchirants films d’amour que je connaisse.

« The Artist » de Michel Hazanavicius, avec Bérénice Bejo, Jean Dujardin
© Warner Bros.

Mes meilleurs films de 2011

1 à 10 :
The Artist (Michel Hazanavicius), Arthur Christmas (Sarah Smith), A Dangerous Method (David Cronenberg), The Other Bank (George Ovashvili), La Piel que Habito (Pedro Almodovar), Rango (Gore Verbinski), True Grit (Joel et Ethan Coen), Tyrannosaur (Paddy Considine), X-Men : First Class (Matthew Vaughn), Under the Hawthorn Tree (Yimou Zhang)

« Le Tableau » de Jean-François Laguionie
© Blue Spirit Animation

11 à 20 :
Carnage (Roman Polanski), The Girl Next Door (Gregory Wilson), The Guard (John Michael McDonagh), Incendies (Denis Villeneuve), Here comes the Bride (Chris Martinez), Le Quattro Volte (Michelangelo Frammartino), Revenge : A Love Story (Ching-Po Wong), Source Code (Duncan Jones), South Solitary (Shirley Barrett), Le Tableau (Jean-François Laguionie).

Au mois prochain

Raymond Scholer