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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - février 2020

Compte-rendu

Article mis en ligne le 7 février 2020
dernière modification le 8 mars 2020

par Raymond SCHOLER

Petit commentaire sur le face à face Polanski / tribunal médiatique & bilan des meilleures films 2019.

Polanski face au tribunal médiatique
Il y a 25 ans déjà, Edward Behr redoutait dans son livre Une Amérique qui fait peur (Plon, 1995) ce qu’il appela les « chimères » : obsession du harcèlement sexuel, psychothérapies à la mode avec exhumations de traumatismes « enfouis » à la carte, political correctness incrustée dans les milieux universitaires et envahissant la vie quotidienne, bref une sorte de « maccarthysme de gauche ». L’écœurante mise au pilori de Polanski, qualifié depuis quelques semaines de « violeur en série » sur les réseaux sociaux, montre que la situation n’a qu’empiré à la faveur du succès de #Metoo. Il suffit qu’une femme que Polanski a croisée il y a un demi-siècle affirme qu’il l’a violée pour que la curée soit relancée. Car, ontologiquement, une femme ne saurait mentir. Les femmes, tout comme les enfants, ne mentent jamais. Même si le procès d’Outreau a démontré le contraire. Car la mémoire est ductile et malléable : les jeunes « sorcières » de Salem étaient persuadées qu’elles s’étaient vraiment adonnées à des orgies en compagnie du Diable. #Metoo bat le rappel de celles qui sont persuadées avoir été victimisées indûment par des hommes. L’autovictimisation donne du courage et de l’importance à la personne qui peut rendre ainsi autrui responsable de son propre état mental. Ceux qui applaudissent à tout rompre les victimes autodéclarées devraient y réfléchir. Ce qui donne la nausée, c’est que des universitaires comme Iris Brey font aveuglément confiance aux délatrices, participant ainsi à une chasse aux sorcières systématique qui n’a plus rien à voir avec l’Etat de droit. Et cela avec l’appui du toujours obséquieux Edwy Plenel qui, après s’être longtemps occupé des musulmans qui s’estiment victimes de l’islamophobie, a fait de Mediapart le porte-voix des femmes qui s’estiment victimes de harcèlement. Si l’on veut éviter que notre société ne devienne la copie conforme de l’américaine, où la cancel culture est maintenant de rigueur, il faut écouter d’urgence les avis de la juriste Olivia Dufour, entendue lors d’une table ronde sur France Culture

Bilan de 2019
Mes 15 films de fiction préférés se suivent ici dans un ordre exclusivement alphabétique :

Brad Pitt dans « Astra »

1. Ad Astra (James Gray) Etats-Unis
Brad Pitt voyage jusqu’aux confins du système solaire pour rencontrer (et neutraliser) un père absent depuis toujours, qui, sous prétexte de chercher de la vie intelligente ailleurs, a préféré une solitude d’explorateur misanthrope à la compagnie de ses semblables, ce qui a fini par le faire sombrer dans la folie.

Tim Blake Nelson dans « The Ballad of Buster Scruggs »

2. The Ballad of Buster Scruggs (Joel et Ethan Coen) Etats-Unis
Le recueil de nouvelles cinématographiques personnelles ne constitue pas encore de véritable genre, abstraction faite des films à sketches collectifs chers aux cinémas transalpin et français des années 50/60. Vittorio de Sica semble être - avec Woman Times Seven (1967), sept déclinaisons de la femme incarnée par Shirley MacLaine - le seul cinéaste à l’avoir abordé. Hélas, seuls les utilisateurs de Netflix peuvent sans problème accéder aux jouissives variations des Coen sur les charmes et turpitudes du Far West. (Voir Scènes 312/mai 2019)

Viktoria Miroshnichenko dans « Une Grande fille »
© ARP Sélection

3. Dylda / Une grande fille (Kantemir Balagov) Russie
Dans un hôpital militaire de Leningrad après la fin de la Guerre, deux femmes cabossées par la guerre retrouvent, après les horreurs du front, un emploi d’infirmières, plus propice à donner un sens à leur vie. Iya, la « girafe », est sujette à des crises de catalepsie, Macha est devenue stérile à la suite d’avortements. Elle demande à Iya de se faire faire un enfant pour elle. Deux souffrances qui allient sublimement leurs forces.

« Der Goldene Handschuh » de Fatih Akin

4. Der Goldene Handschuh (Fatih Akin) Allemagne
Mon coup de cœur de la Berlinale n’a toujours pas montré son museau sur les écrans romands et seuls les germano- et néerlandophones peuvent le trouver sur galette. (Voir Scènes 311/avril 2019)

5. Les Hirondelles de Kaboul (Zabou Breitman & Eléa Gobbé-Mévellec, animation) France, Luxembourg, Suisse
Librement adapté du roman éponyme de Yasmina Khadra, cette œuvre d’aquarelliste aux couleurs pastel et lavis délicats parsemée de touches de gouache est un chant d’amour aux femmes opprimées de Kaboul : En 1998, Zunaira et Mohsen, un jeune couple très amoureux, rêvent de s’enfuir et d’enseigner le dessin et l’histoire. Lors d’une dispute, Mohsen se tue en tombant sur la tête et Zunaira, soupçonnée de meurtre, se retrouve en prison. Le vieux gardien, Atiq, est usé par la vie et le cancer de sa femme Mussarat. Les deux vieux vont œuvrer chacun de son côté pour sauver Zunaira. L’humanité des petites gens fait merveille face au fanatisme des mollahs.

Al Pacino et Robert de Niro dans « The Irishman »

6. The Irishman (Martin Scorsese) États-Unis
La gangstérisation de la politique américaine exemplifiée au travers de la carrière d’un exécutant (l’armée lui avait appris à tuer des Allemands, sans états d’âme), Frank Sheeran (De Niro), qui a avoué dans son autobiographie le meurtre, entre autres, de Jimmy Hoffa (Pacino), le chef charismatique du syndicat des camionneurs (Teamsters) pour le compte de la mafia. Officiellement, sa disparition ne fut jamais éclaircie. Le film suit les vieux caïds dans les plus secrets retranchements de leur parcours criminel jusqu’à l’antichambre de la mort sans déceler le moindre remords. Mortuaire et testamentaire.

7. J’accuse (Roman Polanski) France, Italie
Le meilleur film jamais réalisé sur l’affaire Dreyfus, mais que Marlène Schiappa n’ira pas voir, parce qu’elle considère le réalisateur comme un violeur. Madame Schiappa fait partie du gouvernement français. C’est sans doute pour cette raison qu’elle sait qu’aucun doute n’est permis.

8. The Lighthouse (Robert Eggers) Canada, Etats-Unis
Vers la fin du XIXe, un vieux gardien de phare et un jeune apprenti arrivent sur un îlot au large de la Nouvelle Angleterre pour s’occuper pendant un mois de la haute sentinelle. À mesure que le temps se gâte et que le bateau de ravitaillement tarde à venir, les rapports entre les deux hommes sont mis à rude épreuve, le vieux tyrannisant le jeune qui est sujet à des hallucinations. Ils se saoulent, s’insultent, se rabibochent et le jeune révèle qu’il a pris l’identité d’un homme dont il a provoqué la mort. Le tout est filmé dans un noir et blanc austère en format carré (1,19) qui accentue l’enfermement et la claustration. Willem Dafoe et Robert Pattinson sont prodigieux dans cette descente aux enfers expressionniste en huis clos.

9. Midsommar (Ari Aster) Etats-Unis
Marquée par un drame familial, une jeune Américaine accompagne son petit ami en Suède pour une célébration rarissime du solstice d’été dans une communauté païenne à laquelle appartient un de leurs copains étudiants. Clairement influencé par le chef-d’œuvre culte de Robin Hardy, The Wicker Man (1973), le film d’Aster le dépasse largement en termes de cruauté ancestrale et de crédibilité psychologique (mettant à profit l’instabilité inhérente de son héroïne et se basant sur des coutumes réelles qui ressemblent à celles décrites par le film).

Alison Eastwood et Clint Eastwood dans « La Mule »
© Warner Bros.

10. The Mule (Clint Eastwood) Etats-Unis
Basé sur l’histoire véritable d’un conducteur américain nonagénaire utilisé par les cartels pour distribuer la drogue ni vu ni connu avec son vieux tacot. Clint s’immerge avec délectation dans le rôle, roule les agents de la DEA dans la farine et passe une belle nuit d’amour en compagnie de superbes créatures dans l’hacienda mexicaine de son commanditaire.

Brad Pitt et Leonardo Di Caprio dans « One Upon a Time in Hollywood »

11. Once Upon A Time in Hollywood (Quentin Tarantino) Etats-Unis
Probablement le plus romantique de tous les Tarantino, parce que basé sur un sublime fantasme : et si des acteurs du Hollywood de 1969 avaient réussi à prévenir les ignobles desseins de la bande à Charles Manson et sauver Sharon Tate et ses invités. La recréation de la ville des Rêves est hallucinante de justesse.

12. Parasite (Joon-ho Bong) Corée du Sud
Où une famille de pauvres réussit, par son intelligence et ses efforts, à s’immiscer dans la vie d’une famille de riches jusqu’à tomber sur un os de taille : la famille riche était déjà infestée, sans s’en apercevoir, par des pauvres plus anciens. Contrairement aux gilets jaunes, les démunis coréens ont des idées « constructives » et les mettent en œuvre au lieu de gueuler et détruire aveuglément.

13. A Rainy Day in New York (Woody Allen) États-Unis
Woody Allen est de retour sur son terrain d’élection, New York, avec une comédie « bulles de champagne » qui n’en dit pas moins des choses sérieuses sur le succès et les apparences, la création et la culture, la morale et la famille, la séduction et la naïveté. Le héros, qui se prénomme Gatsby, est bien sûr, un fils de famille très cultivé et sûr de son fait, mais l’ingénue arizonienne qu’il se propose d’initier aux merveilles de la Grande Pomme se fait tout de suite happer par une succession de mâles névrosés qui mettent Gatsby devant l’évidence : ce n’est pas une femme pour lui.

14. Toy Story 4 (Josh Cooley) Etats-Unis
Cowboy Woody trouve enfin le Grand Amour : comme son humaine, la petite Bonnie, est capable de s’attacher à des jouets qu’elle a fabriqués avec une cuiller en plastique, un cure-pipe et autres bouts de ficelle trouvés dans une poubelle, il peut, à la fin du film, la quitter pour rester avec la bergère en porcelaine Bo, son ancien flirt. J’étais ému comme pas permis.

« La Vie invisible d’Eurídice Gusmão »
© Trigon Film

15. A vida invisivel de Eurídice Gusmão (Karim Aïnouz) Brésil, Allemagne
C’est ce qu’on appelait autrefois un mélo flamboyant. À cause de la tyrannie d’un père phallocrate et d’un mari lâche, deux sœurs fusionelles, une fois l’aînée partie pour suivre un amant, vont vivre séparées leur vie durant, sans se douter que l’autre est toute proche. Les effets toxiques et fatals d’un patriarcat cher à Bolsonaro sont superbement épinglés.

Meilleur documentaire : Apollo 11 (Todd Douglas Miller) Etats-Unis : seuls les documents à haute résolution enregistrés à l’époque sont utilisés dans le film, sans le moindre commentaire.
Meilleurs films suisses : Bruno Manser – Die Stimme des Regenwaldes (Niklaus Hilber) et Zwingli (Stefan Haupt).

Raymond Scholer