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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - décembre 2015

Compte-rendu

Article mis en ligne le 5 décembre 2015

par Raymond SCHOLER

Coup d’œil sur la programmation des 34e Giornate del Cinema Muto (Pordenone) - 1ère partie.

Centenaire de l’entrée en guerre de l’Italie
Cette année, en guise d’hommage aux combattants de la Première guerre mondiale, le festival s’ouvrit avec le délirant Maciste Alpino (Luigi Maggi et Luigi Romano Borgnetto, 1916). Avec le rôle de l’esclave africain Maciste qu’il incarna dans Cabiria (Giovanni Pastrone, 1914), l’ancien docker Bartolomeo Pagano était devenu l’uomo forte le plus célèbre du pays. Utilisant le même patronyme, il allait lutter pour le bien dans une vingtaine de films, cette fois-ci sous les traits d’un Italien contemporain. Patriote, il s’engage dès le début des hostilités chez les alpini, les troupes spécialisées pour le combat en haute montagne. Sans jamais trucider personne, Maciste libère par ruse un village tenu prisonnier, mais quand l’ennemi le contraint à en venir aux mains, il montre sa force prodigieuse : il porte les Autrichiens comme s’ils étaient des fétus de paille, se sert d’eux comme de gourdins, les propulse d’un coup de pied dans les airs avant de les défenestrer, transporte trois prisonniers ligotés sur son dos avant d’utiliser un des trois comme traîneau et se faire tirer par les deux autres pour les acheminer au cachot.

« Maciste Alpino »

Le film contient aussi des images qui exaltent les prouesses des troupes : les hommes qui gravissent des flancs abrupts à l’aide d’échelles de corde et qui hissent les canons en pièces détachées et les chiens mascottes par un système de treuil. On voit même un bataillon qui passe d’un pic à l’autre en se balançant le long d’une corde tendue entre les deux, et on se demande si l’auteur des effets spéciaux, l’Espagnol Segundo de Chomon, n’y était pas pour quelque chose. Bref, on ne voit rien de tout ça dans les vrais documentaires tournés par Luca Comerio ( La Guerra d’Italia a 3000 Metri Sull’Adamello , etc), mais les reporters de l’époque n’étaient pas encore incorporés comme maintenant et devaient se contenter de filmer les préparatifs des batailles ou les ruines issues des bombardements.

Origines du Western
En novembre 1909, le magazine Moving Picture World s’étonnait que le jeune public plébiscitât les films traitant du Far West et des Indiens plus que les drames ou comédies importés de France, d’Italie ou du Danemark. Alors que le terme western allait devenir la désignation commune seulement quelques années plus tard, les films de cowboys constituent dès 1909 un cinquième des films américains de fiction. Les trois firmes Polyscope, Essanay et American Film, toutes basées à Chicago, furent les premières à envoyer leurs équipes tourner des films d’une bobine en Californie, Arizona ou Colorado. Quand bien même ces bandes peuvent paraître basiques maintenant, certaines offrent des surprises étonnantes. Dans The Ranchman’s Vengeance (American, 1911), Lorenz, un éleveur de moutons, n’a pas de rancœur contre le cowboy dont il a sauvé la vie et qui le « remercie » en lui volant sa femme : il lui laisse même la ferme et part refaire sa vie ailleurs. Ce n’est que quand il apprend, cinq ans plus tard, que sa femme est en danger de mort qu’il revient dare-dare. Elle expire dans ses bras, victime des mauvais traitements de l’ingrat. Le sang de Lorenz ne fait qu’un tour : il précipite l’infâme depuis le haut d’une falaise dans le Pacifique. Lorsqu’il est sur le point de se suicider sur la tombe de sa femme, sa petite fille de six ans l’en empêche juste à temps. Ce qui donne du piment à l’histoire, c’est que Lorenz est un Mexicain, sa femme une Indienne et le vil suborneur un cowboy blanc, état de fait soigneusement camouflé par le critique du Moving Picture World.

« The Poisoned Flume »

Dans The Poisoned Flume (Allan Dwan, 1911), le voisin jaloux d’une éleveuse trempe un sachet de poison dans le flume, où s’abreuve le bétail de cette dernière. Les flumes faisaient partie d’un vaste système d’irrigation qui était en train de transformer la Californie en société hydraulique modèle. Plus d’un demi-siècle plus tard, ce système d’irrigation allait constituer la base de la trame ultracynique de Chinatown de Polanski. The Cheyenne’s Bride (James Young Deer, 1911) fait partie de toute une série de westerns qui racontent l’histoire éternelle de Romeo et Juliette sur fond de luttes intertribales. Ici, Romeo est le rejeton d’un chef Cheyenne, Juliette la fille d’un chef Sioux doublé d’un grand sadique. C’est un des rares titres qui nous soit resté du premier réalisateur amérindien, fondateur des studios Pathé de Los Angeles et producteur, jusqu’en 1913, de quelque 150 films. Lui et sa femme, Red Wing, jouent les rôles principaux. Dans A Range Romance (Bison-101, 1911), Bob abandonne sa femme acariâtre, Mary, et migre vers l’Ouest, emmenant leur fille Bessie, déguisée en garçon, car la Frontière n’est pas faite pour les femmes. Dix ans plus tard, Bob et Bessie (toujours déguisée) trouvent du travail sur le ranch de Clark, où Bessie se lie d’amitié avec le contremaître. Les cowboys du ranch en ont assez de leur cuisinier chinois et Clark engage Mary, qui est à la recherche de sa famille. Alors que Bob découvre la présence de sa femme, le contremaître découvre le secret de Bessie et les deux se déclarent leur amour. La famille est réunie. En réalité, la vie des innombrables femmes de poigne de l’Ouest n’était pas aussi coulante : la plupart vécurent sous une identité masculine toute leur existence et prirent même épouse, à l’instar d’Albert Nobbs (Rodrigo Garcia, 2011), sauf que cette dernière histoire se déroule en Irlande. A Range Romance fait aussi allusion à la nature homoérotique de la frontière. Les chansons de cowboys parlent souvent d’une amitié qui se transforme en romance quand le gars découvre que son meilleur copain est une fille.

La suite au prochain numéro

Raymond Scholer