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Cine Die d’octobre 2010 : NIFFF

Compte-rendu du 10e Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF).

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 11 décembre 2011

par Raymond SCHOLER

10e Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF)


Cérémonie d’Ouverture
Le festival entrait en matière avec un film magique de Neil Jordan avec Colin Farrell, Ondine (2009), inédit en notre beau pays, comme d’autres films européens de cet acteur. L’époustouflant Triage (2009, Danis Tanovic), sur la dépression d’un photojournaliste de retour du Kurdistan sous Saddam Hussein en 1988, a subi le même sort. On peut encore le voir à Paris sous le titre très français de Eyes of War (sic). A part le fait qu’il fournit à Christopher Lee son rôle le plus fourni en dialogues depuis des décennies, le film est litttéralement porté par un Farrell hanté par ce qu’il a vécu en première ligne. Dans Ondine également, il investit pleinement le rôle du pêcheur irlandais gentil et peu causant, divorcé, alcoolique repenti et père d’une petite fille précoce, Annie, qui souffre d’une insuffisance rénale, mais n’est pas tombée de la dernière pluie et n’a pas sa langue dans sa poche.

Colin Farrell et Alicja Bachleda dans « Ondine » de Neil Jordan

Lorsque Syracuse (ainsi nommé, parce qu’il faisait un circus pas possible dans ses crises éthyliques) trouve dans ses filets une jeune femme presque nue, la chance commence à lui sourire. Elle prétend s’appeler Ondine (comme si elle avait lu de la Motte-Fouqué) et lui demande de la cacher. La jeune femme parle avec un léger accent et chante d’une voix enchanteresse lorsqu’elle l’accompagne sur son rafiot. Et la pêche devient alors miraculeuse. Syracuse commence à se dire que la belle est peut-être une selkie (femme-phoque). Il y a cette légende celtique de la selkie qui peut se débarrasser de sa peau de phoque et aimer un mâle humain. Si l’homme veut la garder avec lui, il doit l’empêcher de retourner à la mer en cachant la peau en question. Annie a vite fait de découvrir que son père héberge une jeune femme dans son cottage isolé, elle connaît aussi la légende et pour tester la nature d’Ondine, elle fait exprès de tomber à la mer pour se faire sauver par elle. C’est le début d’un nouveau noyau familial et d’un bonheur que même l’intrusion abrupte de la réalité (Ondine était une mule pour des trafiquants d’héroïne, qui sont à sa recherche) n’arrivera pas à ternir, comme elle n’arrivera pas à ôter au film de Jordan cette essence mélancolique, ce mélange de béatitude ineffable et de sourde appréhension, qui caractérise les belles histoires d’amour. Ce n’est que justice que Colin Farrell et Alicja Bachleda soient un couple à la ville comme à l’écran.

La Compétition Internationale
Les quatre meilleurs films (sur 12) en compétition sont partis avec des prix. Enter The Void de Gaspar Noé, une véritable Odyssée de l’Espace (mental) d’un drogué, a convaincu le jury présidé par Douglas Trumbull, créateur d’effets spéciaux sur 2001, et est parti avec le Narcisse du meilleur film. L’épopée médiévale Black Deat h de l’Anglais Chris Smith a remporté le prix du public. Dream Home de Pang Ho-Cheung (dont nous avons dit, à l’occasion du festival d’Udine, tout le bien qu’on en pensait) eut celui, bien mérité, du film le plus « Mad » et la fable métaphysique Valhalla Rising de Nicolas Winding Refn, avec son Viking mutique, borgne et impitoyable, le prix Titra Film.

« Enter the Void » de Gaspar Noé

Que le Méliès d’Argent (décerné par un jury de seulement trois personnes) échut au plus mauvais film de la compétition tient à un simple fait de logique : une opinion dominante a plus de chance de triompher en face de deux opposants qu’en face de six. A part une ou deux idées comico-métaphoriques (la femme du dirigeant du village, devenue vampire, se gave sans relâche des provisions des habitants), Strigoi de l’Anglaise Faye Jackson pédale dans la choucroute dramatique : le héros, de retour dans son village transylvanien, découvre que celui-ci est hanté par des vampires et il le découvre pendant 90 minutes. La décision saugrenue de la réalisatrice de faire ânonner les dialogues en anglais par des acteurs roumains n’arrange rien.

Ayganim Sadykova dans « Strayed »

Les jeunes du lycée Denis-de-Rougemont étaient autrement plus inspirés en donnant leur prix au film kazakh Strayed d’Akan Satayev, où un père de famille, trafiquant de drogue occasionnel, tombe en panne au milieu de la steppe et perd la trace de femme et enfant. Il rencontre un shaman et sa fille dotés de pouvoirs surnaturels. Le climat est étrange à souhait, mais le dénouement procure des révélations qui sentent un peu le déjà vu.
Le film allemand Transfer (Damir Lukacevic) n’a pas eu de prix, mais l’eût bien mérité. Herrmann et Anna, amoureux comme au premier jour, sont un couple de riches retraités, mais la femme a un cancer terminal. L’idée du suicide à 2 ne les effleure guère, car ils ont les moyens de louer de nouveaux corps auprès d’une firme qui a découvert un procédé pour transplanter la personnalité. Ces corps appartiennent à deux jeunes Africains qui espèrent ainsi gagner de quoi offrir à leurs familles respectives une meilleure existence.

Hans-Michael Rehberg dans « Transfer »

Pour éviter toute schizophrénie indue, les consciences originelles des deux « propriétaires » sont mises en veilleuse au moyen de drogues appropriées. Mais, sans doute pour des raisons d’éthique, elles se réveillent toutes les vingt heures pour quatre heures. Et promptement, ces deux jeunes gens qui ne se connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, vont tomber amoureux l’un de l’autre et regretter d’avoir signé des contrats pour héberger deux vieux Blancs. Herrmann devient jaloux du Noir qui fait l’amour à sa femme pendant la « pause ». Anna tombe enceinte et les deux femmes, solidaires, communiquent au moyen d’un journal, tandis que Herrmann, désespéré, se demande qui est le père.Le véritable conflit surgit cependant lorsque les « locataires » décident de modifier génétiquement le foetus. Grâce à des décors aussi dépouillés et stériles que possible, évitant au maximum le recours aux effets spéciaux, les explications oiseuses des procédés, et ainsi le piège d’un futurisme clinquant, le film base toute sa tension dramatique sur les interactions des acteurs et atteint ainsi une pertinence ancrée dans un réel possible.

« Black Death » de Chris Smith

Black Death se joue dans l’Angleterre de 1348, année de la peste bubonique. Un groupe de mercenaires reçoit de l’évêque l’ordre d’aller enquêter dans un village qui aurait miraculeusement échappé à l’épidémie, cette punition envoyée par Dieu. On suppute qu’un nécromancien y est à l’œuvre. Un novice du monastère, Osmund, s’offre comme guide aux soldats. Peu de temps auparavant, il avait conseillé à sa petite amie, Averill, d’aller se mettre en sécurité auprès de sa famille qui n’habite pas loin du village en question. En route, Osmund trouve un vêtement ensanglanté d’Averill : elle a sans doute été victime de bandits. Sur ces entrefaites, la petite troupe atteint le village « propre et sain » qui est un véritable havre de paix et de sérénité sous la direction de la charismatique Langiva. Les habitants offrent un banquet aux soldats et Langiva montre à Osmund le corps inanimé d’Averill qu’elle semble ranimer avec un sortilège. Au petit matin, les soldats drogués se réveillent emprisonnés et on les laisse choisir leur sort : mourir ou abandonner la foi chrétienne et faire partie du village agnostique. Dans le climat d’hystérie religieuse ambiant, le village est en effet obligé de se défendre par des moyens radicaux. Langiva, croyant avoir converti Osmund par sa démonstration de la veille, l’envoie auprès d’Averill qu’il tue promptement, la croyant une goule du Diable. Le chef des mercenaires refuse l’apostasie et se moque des habitants en leur révélant qu’il porte la peste. Dans la mêlée qui s’ensuit, Langiva révèle à Osmund qu’Averill n’était jamais morte, seulement droguée. Osmund retournera au couvent et consacrera le reste de sa vie à chasser et à torturer les prétendues sorcières. En faisant ainsi s’affronter la folie religieuse et l’extrémisme antireligieux, Smith expose implicitement les dangers qui guettent aussi la société actuelle, où les réactions navrantes d’esprits primaires à quelques caricatures bien senties et méritées n’ont finalement amené rien d’autre qu’une islamophobie accrue.

Le Cinéma Fantastique Québécois
Sous les auspices de l’ambassade du Canada, 5 longs métrages du second pays producteur de la francophonie prouvaient qu’au-delà des ténors qui ont leurs entrées à Locarno, comme Denis Côté ou Bernard Emond, le terreau acadien peut s’enorgueillir de cinéastes qui réussissent des œuvres profondément originales dans le cinéma de genre. Les deux films dont je veux parler sont du même scénariste, l’écrivain Patrick Senécal, et traitent de séquestration de personnes, mais dans des optiques radicalement opposées. Les 7 Jours du Talion de Daniel Grou nous met dans la peau du transgresseur. Un chirurgien, dont la petite fille a été violée et assassinée, décide de kidnapper le meurtrier, que la police vient d’arrêter, et de le torturer dans une cabane isolée pendant 7 jours pour assouvir sa vengeance. Un inspecteur, hanté par le souvenir de sa propre femme assassinée, essaie de le retrouver, moins pour sauver physiquement le pédophile que pour rendre le père à son humanité en l’extrayant de la descente aux enfers qu’il s’est imposée. Très dur à regarder, le film renonce néanmoins sagement à une fin extrême, mais sans nous sermonner. Lorsqu’un journaliste apostrophe le père : « Cela vous a-t-il servi à quelque chose ? », il répond : « Non ». « Regrettez-vous de l’avoir fait ? » - « Non ! ».

Marc-André Girondin et Normand D’Amour dans « 5150, Rue des Ormes »

Dans 5150, Rue des Ormes d’Eric Tessier, nous nous retrouvons dans la peau d’un jeune homme séquestré. Victime d’un accident à vélo, Yannick frappe à la première porte pour appeler un taxi, mais se retrouve témoin de quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir. Il sera enfermé par le père de famille dans une chambre prévue à cet effet. Il vient d’atterrir chez les Beaulieu. Monsieur est une sorte de « juste » religieux qui purifie le monde en trucidant des criminels et il a la caution de Dieu, puisqu’il est invincible aux échecs. Sa fille aînée est prête à continuer l’œuvre de son papa, tandis que bobonne, écrasée par ces deux fous de Dieu, se dit que tout cela fait partie des chemins inexplicables du Seigneur, mais que Yannick est quand même chouquinet. Le papa propose à Yannick un marché : si Yannick réussit à le battre aux échecs, il sera libre. Renonçant aux futiles tentatives d’évasion, Yannick accepte et ne tarde pas à se prendre au jeu. Et de fil en aiguille, sans excès d’hémoglobine, Tessier tisse un suspense psychologique qui va bien au-delà de la simple application du syndrome de Stockholm.

La suite au mois prochain

Raymond Scholer