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Au Victoria Hall de Genève
Portrait : sir John Eliot Gardiner

Portrait d’un chef d’exception, révolutionnaire et romantique comme l’orchestre qu’il a fondé.

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 16 octobre 2010

par Christian WASSELIN

Après le Monteverdi Choir et The English Baroque Soloists, l’Orchestre révolutionnaire et romantique est un outil de plus, entre les mains de
sir John Eliot Gardiner, pour interpréter le plus fidèlement possible les répertoires qui le passionnent – ici, la musique du XIXe siècle.

L’Orchestre révolutionnaire et romantique a vu le jour en 1990, aussitôt dissipé le tumulte de la célébration du bicentenaire de 1789. Il est né, bien évidemment, de l’attachement de sir John Eliot Gardiner aux instruments historiques et de son souci de restituer au mieux – par les phrasés, les coups d’archet, etc. – les musiques qu’il choisit d’interpréter. Mais il n’aurait peut-être pas existé sans la tendresse qu’a toujours éprouvée le chef anglais pour la musique française. L’intitulé de l’orchestre, « Révolutionnaire et romantique », alors que le précédent ensemble créé par Gardiner avait été baptisé « The English Baroque Soloists », suffirait à le prouver. (Il va de soi que l’Orchestre révolutionnaire et romantique, comme toutes les formations réunies non pas de façon permanente mais à l’occasion de projets successifs, réunit des musiciens venus de divers horizons mais fidèles à Gardiner, dont beaucoup jouent aussi dans le cadre des English Baroque Soloists.)
John Eliot Gardiner n’est pas à proprement parler un chef déterministe ; il n’aime pas Mozart parce qu’il annoncerait Beethoven, ou Mahler parce qu’il se souviendrait de Schumann. Mais c’est un chef qui croit aux traditions et notamment à celle de la musique française. « La musique française s’inscrit dans une lignée qui a pris son essor au cours du XIIe siècle avec Pérotin-le-Grand et persiste aujourd’hui même, malgré les soubresauts intervenus au cours des siècles », écrit-il. (1) Et plus loin : « De la musique de ce pays, celle que j’aime le mieux – en tant que chef d’orchestre ou simplement comme auditeur – est celle des compositeurs au moment où ils manifestent le plus clairement leur caractère français. La liste en est longue : elle commence par Claude Le Jeune et passe par Charpentier, Campra, Couperin (Louis et François), Rameau, Méhul, Berlioz, Gounod, Bizet, Chabrier, Fauré, Messager, Debussy, Ravel, Hahn, Poulenc, pour arriver à Messiaen et Dutilleux. »

Sir John Eliot Gardiner
© Sheila Rock - Decca

Le choix des épithètes
C’est cette lignée qui a fait choisir les deux épithètes « révolutionnaire » et « romantique » à notre homme. On peut discuter de ce rapprochement, se demander ce qu’il y a de révolutionnaire dans le romantisme (oui mais qu’est-ce que le romantisme, au fait ?), rappeler que pour sir Roger Norrington, autre chef anglais passionné par Berlioz, le XIXe siècle est le plus gothique, le plus tourné vers le passé qui soit. Mais il ne s’agit pas ici de s’acharner à donner un sens précis à ces deux termes, qui forment un raccourci éloquent par lui-même : l’Orchestre révolutionnaire et romantique va s’efforcer de rendre au mieux les couleurs et les accents de la musique écrite à la toute fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe, tout simplement, quitte à s’aventurer jusqu’au début du XXe siècle comme l’ont montré les représentations de Pelléas et Mélisande à l’Opéra Comique en juin dernier.
Il va de soi, également, que Gardiner ne se limite pas, avec son orchestre, à interpréter la musique française. Ses enregistrements des symphonies de Beethoven, d’Oberon de Weber ou de l’oratorio de Schumann Le Paradis et la Péri nous le rappellent avec une magnifique éloquence.
C’est pourtant avec Berlioz, peut-être, que Gardiner et son orchestre ont donné le meilleur d’eux-mêmes. La Symphonie fantastique, enregistrée dans le lieu même de la création de l’œuvre (la salle de l’ex-ancien Conservatoire, à Paris, devenu Conservatoire d’art dramatique), fut la première étape d’un cycle qui se poursuivit avec la Messe solennelle miraculeusement retrouvée dans une église d’Anvers et emmenée à travers toute l’Europe, puis avec Harold en Italie. Il y eut aussi l’enregistrement de Roméo et Juliette, avec toute une série de pages que Berlioz avait coupées ou modifiées avant de publier sa partition, et dont la prise de son n’étouffe pas l’acidité (les cordes au début de « Roméo seul » !). Il y eut enfin les mémorables représentations des Troyens au Châtelet, à l’automne 2003, qui nous plongèrent, avec les instruments de Sax prévus par le compositeur, dans un univers sonore inouï. (2)
Il faut préciser que les concerts de l’Orchestre révolutionnaire et romantique qui nécessitent des voix, sont toujours donnés avec le Monteverdi Choir, dont la plasticité, la couleur et la qualité de diction (notamment en français) ne sont plus à dire. Gardiner a su forger là deux outils incomparables, dont le mariage n’a produit que des merveilles.

Christian Wasselin

(1) In Cahier de L’Herne Berlioz (L’Herne, 2003).
(2) Tous ces enregistrements ont été publiés par Philips. Le dévédé des Troyens est disponible chez Opus Arte.

Mardi 19 octobre : Orchestre Révolutionnaire et Romantique, dir. Sir John Eliot Gardiner, Thomas Zehetmair, violon ; Christian Poltéra, violoncelle (Schumann, Brahms). Victoria Hall à 20h30 (loc. SCM 022/319.61.11)