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De passage à Genève
Portrait : Nikolaï Lugansky
Article mis en ligne le mai 2007
dernière modification le 15 juillet 2007

par Pierre JAQUET

Il appartient à cette série de pianistes au jeu personnel et inclassable qui compte Ivo Pogorelich ou Piotr Anderszewski. Nikolaï Lugansky sera bientôt de passage à Genève.

Né en 1972, Nikolaï Lugansky est le fils de deux scientifiques. Son entourage ne pouvait guère s’attendre à ce que cet enfant qui, à cinq ans abordait le piano, le surprenne tellement deux ans plus tard en jouant d’oreille - et de mémoire - une sonate de Beethoven ! Le musicien en culotte courte entre peu après à l’« Ecole Centrale de Musique » de Moscou, ce qu’il y a de mieux pour les enfants en Russie. Il commence tout de suite à donner des concerts... avant même de savoir ce qu’était le métier de musicien !
Dans les multiples entretiens qu’il a accordés, l’artiste insiste souvent sur la qualité de cette formation reçue : « La différence fondamentale entre l’enseignement en Russie et celui donné en Occident réside dans l’aspect déjà quasi professionnel ; on m’a formé depuis mon enfance comme si j’étais déjà pianiste de métier. De là vient sans doute le bon niveau qu’atteignent les lieux de formation. » A la fin des années 80, il accumule les prix, tant dans l’URSS en dislocation qu’à l’étranger.

Nikolaï Lugansky

Très vite sa carrière professionnelle naissante l’amène à multiplier les collaborations avec des chefs aux tempéraments divers et à aborder un répertoire fort varié. Très vite aussi, il se constitue une expérience basée sur plus de quarante concertos ! Il insiste fréquemment sur cette boulimie de découvertes qui a marqué ses débuts : « Pendant longtemps, jusqu’à quinze ou seize ans, je jouais absolument tout ce qui me tombait sous la main. Je le jouais plus ou moins bien, mais toujours avec un immense plaisir. Et puis, j’ai commencé à être plus précis dans mes choix. »
Cette phase exploratoire – exempte de tous préjugés et partis pris – a laissé des traces indélébiles et passionnantes. Chez cet instrumentiste, il est difficile de trouver la trace d’une école ; le pianiste ne paraît non plus guère fasciné par les instruments d’époque. L’interprète a plutôt choisi de se constituer progressivement un langage original, personnel et toujours passionnant, qui le place dans la ligne des Ivo Pogorelich ou Piotr Anderszewski, avec des accents plus intérieurs et réfléchis. Pour ce virtuose, « la musique vit par la grâce de l’interprète. » Il a, de plus, souvent affirmé que « la profession avait l’avantage de ne pas offrir la chance d’atteindre l’idéal, ce qui pousse à faire toujours mieux ! »

Spécificité du moment musical
Nikolaï Lugansky défend enfin le point de vue consistant à postuler que chaque exécutant ayant sa propre personnalité, chaque prestation va résonner différemment ; il paraît tout à fait légitime qu’un même concertiste, jouant plusieurs fois la même partition, la présente différemment à chaque occasion. Le pianiste en donne la preuve dans la gravure de quatre sonates de Beethoven – et parmi elles l’Appassionnata et la Sonate au Clair de Lune – où à l’intérieur d’une lecture fort épisodique, l’auditeur perçoit une succession de références et climats fort divers. Si quelques minutes d’écoute pourraient donner l’impression que la conception est brisée, le disque s’apprécie dans son ensemble par la palette de ses couleurs. [Warner 2564 62300-2]
Du travail avec Tatiana Nicolaïeva, sa maîtresse de piano, le musicien a hérité d’une attirance marquée pour Bach, puis Rachmaninov fut abordé pour le « Concours Rachmaninov » de Moscou. Aujourd’hui, s’il a un peu – et sans doute provisoirement – abandonné Bach, il s’intéresse toujours à son illustre prédécesseur et compatriote.
Avec l’Orchestre symphonique de Birmingham, placé sous la direction de Sakari Oramo, Nikolaï Lugansky a gravé sur trois CD l’oeuvre pour piano et orchestre. Sergei Rachmaninov est sans doute le plus russe de tous les Russes, le pianiste d’aujourd’hui veut en témoigner. Le langage mélodique est attiré par sa profondeur. Dans les passages rêveurs et mélodiquement inspirés, les doigts se glissent autour des portées, à la manière de feux follets ; pour les segments plus emportés l’interprète manifeste un art fort nerveux, accidenté, parfois pas très éloigné du jazz. [Warner 2564 63675-2]
Nikolaï Lugansky est de ceux qui défendent aussi le point de vue que les compositions de Rachmaninov se fondent sur les mélodies orthodoxes. Ayant repris à son compte l’affirmation que « si l’on aime la musique, on ne peut pas croire que Dieu n’existe pas », il insiste souvent sur le fait que la fameuse Vocalise, aux accents apparemment romantiques, trouve en réalité son origine dans la liturgie slavone. Avec son compatriote, le violoncelliste Alexandre Kniazev, il l’a enregistrée dans une transcription laissant beaucoup de place à la ferveur. Sur le même compact, en plus d’une sonate du même Rachmaninov, il a travaillé la Sonate pour violon et piano de Chopin. Dans cette pièce, ses mains, laissant la préséance à l’archet, accompagnent, avec beaucoup d’imagination et de fantaisie, le jeu très engagé du violoncelliste. [Warner 2564 63946-2]
Etant d’avis que la musique doit engendrer une émotion et ne pas être « uniquement intellectuelle » (sic !), il ne s’avance guère, dans sa programmation, au-delà des grands noms du XXe siècle comme Ravel, Prokofiev, Bartók ou même Chostakovitch. La musique dite « purement conceptuelle » ne l’attire guère. Mais après tout, cet avide joueur d’échec ne résistera peut-être pas très longtemps à relever le défi que peut représenter pour lui le langage d’aujourd’hui !

Pierre Jaquet

Site internet officiel de Nikolaï Lugansky

Mercredi 6 juin 2007, 20h, Victoria Hall, Genève
OSR - Série Symphonie : 8e concert. Marek Janowski, direction. Nikolaï Lugansky, piano
Johannes Brahms : Ouverture tragique op. 81 / Serge Prokofiev : Concerto pour piano N° 2 en sol mineur op. 16 / Ludwig van Beethoven : Symphonie N° 5 en ut mineur op. 67