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Portrait discographique : Simon Rattle
Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 18 juin 2007

par Pierre JAQUET

La musique a béni ce jeune artiste de 48 ans, aux traits d’archange espiègle, auréolé de boucles blanches.

Depuis qu’il a eu la révélation de sa vocation de maestro, à 11 ans, en écoutant la Deuxième Symphonie de Mahler – il en parle comme d’un chemin de Damas - ce gosse de Liverpool ne cesse d’illuminer le monde musical par son enthousiasme communicatif, sa force de travail, son inspiration, son humanité, sa curiosité cosmopolite pour toutes les époques. Après avoir occupé plusieurs postes d’assistant, Simon Rattle se voit confier, en 1980, la destinée du modeste Orchestre symphonique de Birmingham. Désireuse de se défaire de son image industrielle, la cité met alors en oeuvre de véritables moyens financiers pour soutenir les ambitions de Simon Rattle et de sa phalange. Saisissant sa chance, le jeune chef la métamorphose, en une vingtaine d’années, en l’une des meilleures formations européennes. Il profite de prendre le temps d’explorer le répertoire et d’ainsi acquérir un solide métier (il y a dirigé 934 concerts !). Il aime à rappeler ce conseil de son collègue, aujourd’hui défunt, Carlo Maria Giulini : « Simon, hâte-toi lentement. »
Cet ancien étudiant en percussion et élève de David Munroe, un pionnier de la musique ancienne, s’intéresse au son sous toutes ses formes et dans toutes ses époques. On comprend qu’aujourd’hui Simon Rattle soit chef invité de l’« Orchestre de l’Age des Lumières », avec lequel il explore le répertoire baroque et classique. Considérer la musique dans une perspective périodique, en faisant interagir les ères, est visiblement un point fort de son credo musical. Aujourd’hui, il est le onzième directeur musical de la légendaire Philharmonie de Berlin.

Disques au logo rouge
Le public avait été habitué à reconnaître les disques de la Philharmonie avec des pochettes au graphisme encadré de jaune. C’est désormais chez EMI que sont publiés les CD de cette phalange.
Claudio Abbado a eu la lourde tâche de succéder à Herbert von Karajan. Même s’il n’en a jamais eu l’intention, Abbado a suscité une atmosphère radicalement nouvelle dans un orchestre rajeuni. De Karajan, il est resté cette capacité du grand orchestre symphonique à prendre les traits d’un ensemble de musique de chambre. L’intensité des contacts visuels entre musiciens est évidente.
Le départ du chef italien ayant été annoncé à l’avance, les musiciens de l’orchestre, à la moyenne d’âge abaissée, ont pris le temps de réfléchir à leur avenir. La question méritait d’autant plus d’être posée que la ville de Berlin est en crise et qu’il en est de même pour l’industrie discographique : Depuis l’époque Karajan qui avait atteint un sommet de vingt-cinq disques publiés dans l’année, le nombre était descendu à cinq. Le fruit de leur réflexion, qui a débouché sur le choix du candidat anglais, peut se résumer par la formule : « Nous voulons devenir un orchestre du XXIe siècle. Ni vous ni nous ne savons exactement comment, mais nous finirons par trouver la solution ensemble. »

Sir Simon Rattle © EMI Classics / Simon Fowler

Premiers enregistrements... comme un retour aux sources !
A son arrivée dans la cité de la Spree, comme titulaire, Rattle donne en concert - et publie sur disque - la Cinquième symphonie de Mahler, choix emblématique. Rattle conçoit toujours une oeuvre symphonique comme un concerto pour orchestre. En cela il prend le contre-pied de Karajan qui cherchait un timbre absolu, mais qui avait aussi tendance à tout placer dans la même sonorité d’ensemble. Lors de la soirée du 7 octobre 2002, le directeur anglais fait venir le corniste au premier rang, quand il s’agit d’interpréter le troisième mouvement ; la symphonie devient pour un moment un concerto. De manière générale, cette partition s’organise dans une perspective schizophrénique, puisque les deux premières parties sont funèbres et désespérées tandis que le reste est heureux et apaisé ! Ce défi à concilier les contraires est bien une des clefs de l’interprétation de Rattle qui cherche non seulement à faire converser les esthétiques, les époques, mais encore les sentiments intérieurs – parfois contradictoires – des compositeurs [EMI 5 57385 2]. Mahler figure sur d’autres couvertures de compacts : La Huitième [EMI 5 57945 2], la Dixième [EMI 5 56972 2] gravée alors que Rattle n’était pas encore définitivement fixé à Berlin, et la Quatrième [EMI 5 58023 0] réalisée alors qu’il était encore à Birmingham. L’oreille peut apprécier la continuité d’un travail, qui tel une loupe, s’attache à souligner les détails, sans que la cohérence d’ensemble ne s’efface.

Héritages de baroqueux
Avec la révolution baroqueuse, bon nombre de chefs et d’orchestres ont eu l’impression de perdre leur répertoire et leur public. Simon Rattle appartient au groupe finalement assez rare, qui va tirer parti des avancées musicologiques. C’est ainsi qu’il fait jouer les instruments modernes, avec une technique à l’ancienne, en agissant sur le phrasé, l’équilibre à l’intérieur des mesures ou des motifs, ou encore la pondération relative des instruments. Il a également invité, soit dit en passant, William Christie à conduire la Philharmonie. Ce travail et ces collaborations sont particulièrement évidents dans un coffret réalisé en 2002 avec la Philharmonie de Vienne, consacré aux symphonies de Beethoven [EMI 5 57445 2]. Avec les mêmes interprètes, le chef britannique a gravé, deux ans auparavant la Cinquième. Une écoute comparative permet d’apprécier l’approfondissement du discours, le propos devient encore plus coloré, les idées paraissent mieux abouties encore [EMI 5 57165 2 avec le concerto pour violon de Brahms]. Dans quelques années, la critique estimera sans nul doute que ces gravures sont le fruit de leur temps, ce que ne démentirait d’ailleurs pas l’artiste qui aime à répéter que « chaque chef appartient à son époque »
Tout récemment EMI vient de publier un travail sur la Neuvième de Schubert [3 39382 2]. La remise en question sur les habitudes des phrasés, des équilibres et des couleurs, est, là, totale. La partition prend une acidité, une verdeur que ne renierait pas Jos van Immersel, un baroqueux à l’origine d’une intégrale des symphonies Schubert remarquée.

Ne pas exclure les acquis
La politique de renouvellement n’implique pas l’abandon de ce qu’il y a de précieux dans l’héritage berlinois. Pour nous en convaincre, Simon Rattle s’est penché sur quatre poèmes symphoniques de la fin de la carrière de Dvorak [EMI 5 58019 2]. Dans le « Rouet d’or » de Dvorak, ouvrage au lyrisme rhapsodique prononcé, l’écriture fine et ample offre un terrain propice à la mise en valeur des musiciens d’orchestre. Manifestement heureux de jouer cette partition fraîche et inventive, les « Berliner » impressionnent par la cohésion et l’harmonie des pupitres. Que dire des cordes ‘ qu’elles expriment un mélange de pureté, de rythme et surtout de majestueuse mise en place naturellement destinée à servir un ballet : elles sont réglées les unes par rapport aux autres dans un ordre naturel. Souple, présent, sculpteur, Simon Rattle mène l’orchestre comme on conduit une Rolls, du bout des doigts, respectueux et pourtant volontaire.

119 solistes
Rattle aime à souligner la chance – et le défi – de son travail dans la capitale allemande. Il estime être à la tête de 119 fortes personnalités, « au tempérament aussi fort que celui de John Malkovitch ! » a-t-il déclaré dans un entretien.
Le chef « joue » donc autant avec que sur ces personnalités marquées. Chaque interprète, peut, quand c’est le moment, donner le meilleur, apporter à l’ensemble le fruit de ses recherches ou de ses expériences. C’est une évidence de rappeler que Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune, La Mer, La Boîte à joujoux) était un alchimiste du son. Quand Rattle s’y intéresse, ses motivations paraissent évidentes : Elles se confortent à l’écoute qui s’avère riche et complexe en explorations. On rejoint là le constat fait à propos de Mahler : le monde symphonique est un concerto pour orchestre. Mais la diversité se conjugue aussi avec la nouveauté, l’« inentendu ». Les musiciens ont abordé trois préludes pour piano, dans une orchestration moderne de Colin Matthews. Le passé est revisité à la lumière du présent [EMI 5 58045 2].
Le plus important virage est réalisé avec la musique du XXe siècle. Avec Karajan, la phalange en était restée à l’époque de Richard Strauss, Rattle va bien évidemment plus loin. Quand il aborde les « Carmina Burana », il pense à Arvo Pärt, voire à Penderecki [EMI 5 57888 2]. Il a récemment travaillé Britten, offrant à ses musiciens toute son expérience de la musique contemporaine anglaise acquise à Birmingham. Les mélodies basées sur des textes du passé (Rimbaud, Keats, Ben Johnson) sont lues par l’étonnant ténor Ian Bostridge dans toute la modernité de leurs portées. Les recherches esthétiques du Rimbaud des « Illuminations » paraissent prolongées par la quête sonore de Britten [EMI 5 58049 2].
Les univers du compositeur et des interprètes se tendent carrément la main dans la partition de Messiaen « Eclairs sur l’au-delà » achevées en 1991 : Berlin et ses musiciens vivent désormais une perpétuelle mutation. Ils rejoignent en cela l’univers empirique du musicien français [EMI 5 57788 2] ...

Pierre Jaquet

A voir absolument : « Rhythm is it ». Un film de Thomas Grube et Enrique Sanchez Lansch : Quand des jeunes défavorisés montent le ballet du « Sacre du Printemps » en collaboration avec le Philharmonique et son chef ; un film document qui vaut mieux que toutes les « Stars Academies »