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Festival de Lucerne
Lucerne : Récital Hélène Grimaud

Lucerne : Un dimanche au Festival de Pâques.

Article mis en ligne le 1er juin 2011
dernière modification le 3 décembre 2011

par Eric POUSAZ

La pianiste française d’Aix-en-Provence, devenue célèbre autant pour son jeu virtuose que pour les loups dont elle aime à s’entourer, présentait lors du premier dimanche du Festival de Pâques un programme d’une haute originalité qui a brillamment confirmé sa prééminence dans le domaine de la musique romantique.

Le début du récital fut pourtant peu prometteur : l’artiste proposait en effet en guise d’en ouverture de concert sa vision fort personnelle de la Sonate en la mineur KV 310 de Mozart : jeu emporté, touches broyées, pédale écrasée, - on avait vraiment l’impression qu’elle tenait à faire du compositeur salzbourgeois un annonciateur de la musique virtuose du siècle suivant. Le premier mouvement, avec des forte qui saturaient presque dans l’immense salle du festival, paraissait inutilement rageur : la pianiste peut certes à bon droit refuser de se référer trop ouvertement au style galant – dont cette partition ne se réclame pas du tout, du reste – mais faut-il à ce point gonfler les crescendos, appuyer les passages brillants et traiter en à-plats les quelques moments de respiration plus calmes qui scandent ce mouvement dont on aime à dire qu’il est un des plus sombres que Mozart ait composés peu de temps après la mort de sa mère ? L’Andante cantabile fut heureusement traité avec plus de circonspection : tout à coup, le piano chantait, le jeu respirait plus librement et l’on retrouvait ces troublantes ambiguïtés qui font toute la grandeur de ce style pianistique fort éloigné de la démonstration purement technique… Un presto endiablé nous ramenait vers les excès du début.

Hélène Grimaud
© DG/Mat Hennek

Dans la Sonate no 1 de Berg, la pianiste atteignait soudain à des sommets qu’elle n’allait plus quitter pendant tout le reste de ce prodigieux récital. Construite avec une rare subtilité dans le choix des nuances comme dans l’étagement des lignes mélodiques, la pianiste y fit preuve de puissance et de brio sans pourtant sacrifier le raffinement sur l’autel de l’effet. La lisibilité parfaite de ces mouvements enchaînés contribuèrent à rendre avec force l’extraordinaire puissance d’évocation d’une partition qui, malgré sa concision, donne l’impression de renfermer tout un univers.
La Sonate de Liszt, cet Everest de la littérature pianistique romantique, a bénéficié d’une interprétation que l’on ne sait comment qualifier tant ces trente minutes de musique paraissaient trouver ce jour-là un équilibre indiscutable au point de rendre futile toute comparaison avec d’autres interprétations au regard de sa grandeur. La pianiste parvient à la fois à rendre sensible les diverses séquences de cette sonate construite d’un seul tenant en variant aussi bien le toucher que les couleurs, en enchaînant les rythmes ou en les opposant pour en faire ressortir la complémentarité, - bref en traitant cette pièce comme un vaste poème symphonique dont on ne posséderait pas une clef d’interprétation univoque et définitive. Le flux du premier mouvement est torrentiel, les pauses, magiques, semblent suspendues et flottent avec grâce ; l’auditeur est aspiré dès les premières notes frappées avec violence et détermination jusqu’au final où les mêmes figures rythmiques réapparaissent pour le ramener sur terre. Prodigieux !
Six danses populaires roumaines de Béla Bartók, jouées à un train d’enfer, clôturaient ce récital de fort brillante façon avec leurs figures rythmiques décalées, leurs torrents de notes aux savantes dissonances et leurs contrastes savamment mis en exergue par un jeu pianistique qui semble ne connaître aucune limitation technique…

Haendel : La Resurrezione di Nostro Signor Gesù Cristo
Le premier oratorio composé par Haendel a été le fruit d’une commande romaine alors que le jeune compositeur allemand séjournait en Italie pour y découvrir la musique des grands maîtres de son temps. Loin des grandes architectures qui feront le succès des ouvrages d’inspiration religieuse écrit pour le public anglais, cet oratorio ressemble plus à un opéra galant écrit sur un livret aux tournures déliquescentes, riche en métaphores d’un goût souvent douteux : la musique se plaît à y dépeindre les phénomènes naturels avec un pinceau aux subtiles harmonies et à donner forme à l’expression d’une douleur qui frise souvent le kitsch dans son aspiration à se rendre systématiquement harmonieuse ; tous ces procédés d’écriture qui ont fait leurs preuves sur les scènes lyriques, ne contribuent pas à donner à cette partition un cachet personnel et il faut bien reconnaître que ces deux heures d’airs à reprises entrecoupés de longs récitatifs composés sur des textes aussi suaves, finissent rapidement par lasser.

Roberta Invernizzi
Crédit Ribaltaluce/Studio 3

Nikolaus Harnoncourt aime visiblement cette partition et la défend avec un punch incroyable ; pourtant, on le sentait ce soir-là plus intéressé par la mise en valeur des extraordinaires traits de génie qui fourmillent dans cette musique descriptive d’une originalité d’écriture instrumentale remarquable que par cette succession d’airs doucereux, tous coulés dans le même moule et peu susceptibles d’ébranler un auditoire moderne. Les chanteurs, bons dans l’ensemble, manquent pourtant de personnalité, à l’exception de Roberta Invernizzi dont le soprano lumineux fait courir le frisson dans ses interventions en Maria Magdalena. L’alto de Wiebke Lehmkuhl est magnifiquement profond, mais le timbre de décolore rapidement dès que la ligne de chant se hérisse de quelques vocalises dont l’interprète ne sait pas très bien que faire au point d’en savonner plusieurs notes. Le soprano aigu de Christine Schäfer brille dans le rôle de l’Ange, mais son grave a perdu toute largeur et sonne creux. Ruben Drole en Lucifer est une caricature de basse incapable de vocaliser et chanter proprement des airs dont il force à outrance le trait caricatural pour légitimer les libertés qu’il prend avec la musique. Le ténor Toby Spence, par contre, fait merveille dans le rôle de l’ Evangéliste Saint Jean : le chant sonne clair, l’émission est déliée, l’intonation parfaite de précision et d’aplomb. Il est seulement dommage qu’il ne cherche pas à varier une émission qui se cantonne dans un mezzo forte de convention.
Les instrumentistes du Concentus musicus Wien traduisent chacune des intentions de leur chef de longue date avec un aplomb extraordinaire et un enthousiasme communicatif ; pourtant, malgré la présence d’artistes au talent aussi affirmé, la soirée n’avait – et de loin – par réussi à attirer le public des grands soirs.

Eric Pousaz