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Festival de piano de Lucerne
Lucerne : Festival de piano

Pour son 10e anniversaire, le Festival de piano de Lucerne a proposé une douzaine de concerts.

Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 20 mars 2009

par Emmanuèle RUEGGER

Cette année, le Festival de piano de Lucerne fête son dixième anniversaire. Cette manifestation qui dure une semaine a proposé pas moins de 12 concerts, dont trois récitals de « débutants » et un concert d’orgue. Parallèlement, des pianistes de jazz du monde entier ont joué dans les bars de la ville.

Premiers sommets
C’est devant une salle comble et enthousiaste que Evgeny Kissin a été l’interprète de Serge Prokofiev et Frédéric Chopin (voir la critique parue dans Scènes Magazine de février). Après des extraits de Roméo et Juliette, il a abordé la 8e sonate opus 84 du compositeur russe, une œuvre ardue. On peut vraiment dire que l’art de Kissin atteint des sommets. Même dans les parties les plus fortes de la sonate, son toucher reste de velours, sans parler de sa technique, parfaite. Dans la deuxième partie, moment de grâce avec Chopin. Dans les études « allègres » ses doigts parcourent le clavier avec aisance et légèreté, telle une araignée qui courrait sur les touches du piano. Le public a remercié l’artiste avec une standing ovation.
Le deuxième récital a été donné par la pianiste canadienne Angela Hewitt. Cette spécialiste de Bach a interprété la suite anglaise du Kantor de Leipzig, une sonate de Beethoven, deux valses-caprice de Gabriel Fauré ainsi que le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel. Dans la suite anglaise, elle a fait montre de son sens inné de la forme. Par la suite, que le jeu soit fougueux, chez Beethoven, enjoué chez Fauré, ou subtil chez Ravel, Angela Hewitt a semblé ne faire aucun effort. Comme si la musique sonnait d’elle-même.

Pierre-Laurent Aimard
Photo Priska Ketterer

Sur la crête
Pierre-Laurent Aimard était le troisième pianiste invité. Ce spécialiste de la musique d’aujourd’hui a donné une version particulière des Gesänge der Frühe de Robert Schumann. Effectivement, il a rendu le compositeur romantique de façon tellement moderne qu’il en était méconnaissable. De même pour la berceuse opus 57 de Chopin. La Suite bergamasque de Claude Debussy était déjà plus authentique. Mais c’est dans des extraits du catalogue des oiseaux d’Olivier Messiaen, dans le poème nocturne opus 61 de Scriabine et surtout dans les cinq pièces pour piano Sz 81 de Bartok, qu’il a donné le meilleur de lui-même.
Dans la série « début », le Festival présentait de jeunes pianistes à l’aube de leur carrière. Parmi eux on a pu entendre la Française Lise de Salle. Elle a quitté depuis peu l’âge où l’on « préfère les bonbons », c’est sans doute pour cela que ses variations sur Ah, vous dirai-je Maman Kv 175 de Mozart étaient délicieuses. Par ailleurs elle était très habile dans l’interprétation de Waldesrauschen et Gnomenreigen, pièces au tempo très rapide, un vrai régal. Elle s’est même attaquée à la Toccata en ré mineur opus 11 de Prokofiev. Cette jeune pianiste qui a à peine vingt ans est promise à un bel avenir.

Jean- Yves Thibaudet
Photo Decca Kasskara

Au-delà des sommets
Il serait injuste de passer sous silence le fait que Jean-Yves Thibaudet a une fois de plus rempli la belle salle du Centre de culture et de Congrès de Lucerne où se déroule le Festival, récital après lequel il aurait fallu se hâter à la Hofkirche. On a quant à soi préféré se rendre d’un pas méditatif au concert d’orgue auquel nous conviait Elisabeth Zawadke. « Le Père aime le Fils, le Fils aime le Père en retour, l’Esprit Saint est cet amour. » Les neuf Méditations sur le mystère de la Sainte Trinité d’Olivier Messiaen, inspirées de Thomas d’Aquin, étaient au programme. Loin d’être éthérées, ces méditations vont chercher le plus souvent leur vérité dans des registres profonds et dans la puissance des fortissimi. De temps en temps on peut cependant reconnaître le cri de quelque oiseau. Remarquable, le jeu de l’organiste, une jeune femme fluette, professeur à la célèbre Haute école de musique de Lucerne.

Alfred Brendel
Copyright : Priska Ketterer

Deux rochers
Le dimanche qui clôturait le Festival était consacré à deux géants, Leon Fleisher en matinée et Alfred Brendel en soirée. Comme on le sait, Leon Fleisher qui arbore avec aisance ses 80 ans cette année, a joué pendant plusieurs décennies avec la main gauche uniquement. Ce n’est qu’en 2003 qu’il a retrouvé l’usage de la main droite et il en profite ! Il a présenté un programme riche et varié allant de Johann Sebastian Bach à Igor Stravinsky. Loin de vouloir faire de l’effet gratuitement, son jeu est caractérisé par la clarté et la simplicité et, quand il le faut, notamment pour Chopin, par la virtuosité.
De la même génération, Alfred Brendel a quant à lui décidé de faire ses adieux. Il mettra fin à son activité en public en décembre cette année à Vienne. Pour lors, il faisait ses adieux au Festival de Lucerne, qu’il accompagne depuis 1974. Le célèbre pianiste s’est déjà donné en concert cette semaine avec l’Orchestre symphonique du Süd West Rundfunk, sous la direction de Hans Zehnder, dans le Concerto pour piano et orchestre en ut mineur KV 491 de Mozart. Que ce soit dans ce concerto ou dans son récital qui proposait cinq sonates, de Haydn à Schubert en passant par Mozart et Beethoven, il est resté serin, de la sérénité que donne la maturité. Son jeu n’en était pas moins allant, voire trop rapide. Le public, debout pour applaudir, n’a laissé partir qu’à grand regret ce maître à qui le piano, notamment celui des classiques viennois, doit tant.

Emmanuèle Rüegger