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de passage à Genève
Genève : Leif Ove Andsnes

Un maître zen pour le piano classique...

Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 22 novembre 2011

par Pierre JAQUET

La cité genevoise s’apprête à recevoir un artiste norvégien zen, au jeu paraît parfois très français ! Portrait d’une personnalité qui ne saurait laisser indifférent :

Leif Ove Andsnes naît à Karmøy, en Norvège, le 7 avril 1970. Il étudie le piano au Conservatoire de musique de Bergen avec Jiri Hlinka, puis en Belgique auprès de Jacques de Tiège.
A la fin de sa formation musicale, l’admiration du jeune adulte est tout entière tournée vers Sviatoslav Richter : « Je suis tombé amoureux du son de son piano. C’était une personnalité tellement gigantesque et tellement énigmatique. » Si l’artiste norvégien a certes repris de son aîné russe un sens des couleurs et une très grande imagination, c’est plutôt vers un art plus français que l’auditeur a envie d’effectuer des rapprochements. Les effets sont toujours mesurés (ce qui en veut pas dire que l’artiste ne s’engage pas quand il le faut), le propos est bien dessiné et chaque main énonce un discours spécifique, bien pensé, sensible et souvent délicat. L’art du Norvégien conjugue un sens de la profondeur, couplée avec une technique naturelle, communicative, qui paraît s’exercer sans effort. Sa façon de jouer s’adresse directement à l’auditeur, sans paraître excessivement extravertie. Ainsi réussit-il à emporter le mélomane dans sa musique, à un rare niveau de profondeur.
Adepte de la philosophie zen, il prend le temps de méditer et s’est souvent expliqué à ce sujet : « Comme il n’y a pas de processus cérébral conscient, on peut prendre le temps de percevoir une connaissance physique des choses. Quand je joue, je ressent une conscience aiguë, d’un autre ordre que la réalité : l’esprit observe et ressent plus qu’il ne contrôle. C’est un moment de liberté absolue, une liberté que je ne ressent dans aucune autre circonstance. Je vis pour ces moments qui vont au-delà de la musique, mais c’est la musique, par son essence même, qui m’y conduit. »
Un des principes du zen est que l’esprit domine la matière. Cela signifie, pour l’artiste, une volonté et une discipline sans concessions, qui forcent le corps à apprendre et à intégrer les exigences techniques et les compétences. Une fois ce stade atteint, c’est, pour l’exécutant, un haut degré de liberté.

Leif Ove Andsnes

Ce sens du contrôle sur soi permet de faire face à toutes les situations. Il y a bientôt cinq ans, alors qu’il était à Rome, une grave panne d’électricité au début du concert l’a contraint à le reporter, et cela malgré sa proposition de quand même jouer, dans le noir ; mais cela ne s’est pas avéré possible pour des raisons de sécurité !
Son répertoire est des plus variés : Il a enregistré des pages d’Edvard Grieg, Robert Schumann et Frédéric Chopin, des lieder de Franz Schubert avec Ian Bostridge, des sonates de Schubert et de Leos Janácek, les sonates de piano et violon de Béla Bartók avec Christian Tetzlaff...
Il a aussi gravé des concertos de Mozart et de Haydn avec l’« Orchestre de chambre norvégien », les concertos de Rachmaninov avec Paavo Berglund et Antonio Pappano, le deuxième concerto de Béla Bartók avec Pierre Boulez...

Esquisses biographiques
Comme beaucoup d’artistes, sa vie professionnelle a débuté par une série de mentions honorifiques : En 1987, il remporte le Prix Hindemith à Francfort ; d’autres récompenses suivent : le prix Levin à Bergen en 1988), ou encore le Prix de la Critique norvégienne à Oslo en 1988...
Andsnes débute aux Etats-Unis, à New York et à Washington en 1989, puis au Canada, et se produit au Festival d’Edimbourg, avec l’Orchestre Philharmonique d’Oslo dirigé par Mariss Jansons, où il suscite l’enthousiasme du public et de la critique. En 1992, Leif Ove Andsnes joue pour la première fois avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin et se produit aux « Proms », à Londres, la même année. Sa carrière est désormais lancée.
Leif Ove Andsnes est le co-directeur artistique de son propre festival de musique de chambre à Risør, un événement qui, chaque année, amène en Norvège les artistes classiques parmi les plus estimés. Ont ainsi été programmés Ian Bostridge, Barbara Hendricks, Maxim Vengerov ou Gidon Kremer. Le pianiste a initié ce projet il y a environ 20 ans, au début de sa carrière. Encore aujourd’hui cette activité lui prend certes beaucoup d’énergie, mais elle nourrit également ce célibataire endurci. « Risør est devenu un ancrage très important personnellement et socialement. Depuis toutes ces années, j’ai rencontré beaucoup de personnalités et je me suis fait beaucoup d’amis là-bas. Je considère que beaucoup de gens, qui s’engagent dans ce festival sont devenus une famille élargie pour moi ! »

Ses enregistrements
Son désormais célèbre enregistrement des concertos pour piano n° 3, 4 & 11 de Haydn en 2000, récompensé par le « Gramophone award du meilleur concerto » et en mars 2001 par le « Norwegian Spellemannprisen du meilleur enregistrement classique » a marqué l’entrée en scène du pianiste dans l’univers discographique. Depuis, les parutions se succèdent à un rythme élevé. Arrêtons-nous sur quelques titres :
Paru chez EMI comme tous ses disques récents, un CD est consacré aux concertos n°3 et n°4 de Rachmaninov avec le London Symphony Orchestra et le chef, Antonio Pappano. Dans la première des deux oeuvres, le soliste fait montre d’un jeu souple, très lisible, qui constitue un triptyque très coloré. Tout au long de ces redoutables portées, Leif Ove Andsnes affirme la cohérence de sa démarche, qui alterne moments festifs et séquences dramatiques.
Autre univers avec Schubert et ses trois dernières sonates : Dans l’opus D. 959, le musicien s’attache à situer la partition dans un cadre plus général, propre au compositeur. Il fait ressortir le chant, la volonté de progresser du « Wanderer », mais surtout la quête de lumière et de sérénité de ce créateur qui se savait condamné à court terme.
Les « Tableaux d’une exposition », de Moussorgsky (EMI) sont envisagés de façon très accidentée, anguleuse. L’artiste cisèle les effets rythmiques, théâtralise pour mieux donner à voir. L’interprète lui-même a dit qu’il voulait représenter les divers sujets des tableaux, tout en voulant souligner l’abstraction qui se dégage de ce texte. Ainsi ces tableaux deviennent-ils modernes, contemporains... Le compositeur aurait sans nul doute apprécié, lui qui voulait toujours ouvrir de nouvelles voies.
Citons encore brièvement le Quintette de Schumann, op. 44, produit avec le Quatuor Artemis. La capacité de concentration du piano, qui privilégie la mélodie, permet au clavier de se placer au centre du discours, d’en structurer le propos.
Ces caractéristiques transparaissent également dans le concerto de Marc-André Dalbavie, publié en 2009, dont Andsnes est le dédicataire. L’oreille est immédiatement fascinée par la maîtrise absolue de l’instrumentiste, qui a lui seul, suffit à assurer la cohérence de l’interprétation. Les dimensions sonores très modernes sont explorées avec soin. Et pourtant l’artiste dessine la généalogie de ce monde sonore : les noms de Grieg et de Tchaïkovsky s’imposent à l’auditeur !
Paru ces jours-ci, un double compact regroupe l’intégralité de la production pour trio de Robert Schumann. Pour l’ensemble de cette production, les différents aspects évoqués précédemment pourraient être repris. Le mélomane se retrouve donc face à une gravure de maturité. Tout en respectant les textes, l’interprète a en effet réussi à se montrer polyphonique : il énonce simultanément divers propos. Il y a le compositeur au propos mélodique et douloureux, le créateur tourmenté, mais aussi l’artiste novateur qui annonce les changements radicaux du siècle à venir...

Pierre Jaquet

Site internet : http://www.andsnes.com

Concert : les Grands interprètes, Victoria Hall, Genève, 11 mai 2011, 20 heures
Oeuvres de Beethoven, Sonate n° 21 en ut majeur op. 53, Waldstein, Brahms, 4 Ballades op. 10, Schoenberg, 6 kleine Stücke für Klavier op. 19, Beethoven, Sonate n° 32 en ut mineur op. 111.