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Victoria Hall de Genève
Genève : Alexandre Tharaud

Entretien avec le pianiste Alexandre Tharaud au sujet de sa discographie.

Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 26 février 2010

par Pierre JAQUET

Le 11 février prochain, Genève accueillera un artiste classique reconnu, Alexandre Tharaud, qui n’en reste pas moins atypique et libre.

En plus de son parcours remarquable dans le monde de la musique classique, ce quadragénaire s’ouvre à des collaborations originales, comme à l’occasion d’un duo avec Bartabas. Celui-ci lui a proposé de jouer lors de son spectacle équestre aux « Nuits de Fourvière » à Lyon. On l’a applaudi aussi en compagnie de la chanteuse Juliette et du ténor Jean Delescluse (Projet Satie).
Alexandre Tharaud a effectué ses études au Conservatoire de Paris où il a remporté un premier prix de piano dans la classe de Germaine Mounier à l’âge de dix-sept ans. Puis il a obtenu de nombreux prix tout au long de sa carrière. Très vite, il s’est produit en Europe, puis en Amérique du Nord et au Japon. Entretien.

Dans votre dernier disque, Chopin apparaît comme un personnage très français, raffiné, lumineux, bien éloigné du cliché attaché à ce compositeur (slave pathétique, souffreteux...) Quelle place occupe la recherche historique lorsque vous préparez un CD ?
Je suis quelqu’un qui est curieux de tout ; j’aime aller creuser la personnalité d’un compositeur, pour me sentir bien avec. J’ai besoin en quelque sorte de le tutoyer, de le démystifier. Dans le cas de Chopin, la meilleure chose à faire, c’est d’aller lire sa correspondance. Elle nous éclaire le mieux. Ensuite, il faut opérer un tri parmi toutes ces informations, de manière à se construire soi-même un portrait de ce musicien.
Peu après sa mort, il n’y a pas eu de biographie sérieuse. Le premier travail du genre est né de la plume de Liszt. C’est lui qui a été à l’origine du malentendu. Et tous les travaux qui ont suivi se sont placés dans cette perspective... Il y a même eu surenchère...

Alexandre Tharaud
© Marco Borggreve / Virgin Classics

Quand on écoute votre disque Satie, on a l’impression que les œuvres sont disposées en vrac, par exemple les Gnossiennes sont dispersées dans le programme. Ce n’est certainement pas le fruit du hasard. Quelle logique a présidé à l’organisation de toutes ces pages ?
L’architecture est très importante. C’est à mon avis l’aspect le plus important si on veut que le disque passe la rampe. J’ai toujours peur que l’auditoire s’ennuie. Souvent je m’ennuie quand j’écoute un compact. Avec la technique on a amélioré la qualité du son, la dynamique. Mais pour moi cela ne suffit pas : Je veux des surprises, des ruptures, des tunnels qui débouchent sur quelque chose de nouveau. Un CD, c’est un théâtre ! Suivant comment on les dispose, les pièces sont mises en lumière de façon différente.

Toujours dans cet album, vous vous êtes assuré des collaborations. Pourquoi ne trouve-t-on pas plus de musique avec orchestre dans votre discographie ?
J’ai trois projets en route dont je ne peux hélas pas encore vous parler... Mais j’aimerais vous dire que tout projet demande du temps, et sur ce plan je suis très difficile. J’ai eu des propositions, mais les dates, c’est-à-dire les échéances, ne me convenaient pas. Quand je travaille, je réclame du temps. Pour préparer un récital, je suis libre de m’organiser comme je le souhaite ; en revanche avec l’orchestre tout est mené très vite : une répétition, une générale et c’est le concert ou le disque. Le cadre temporel est limité, rigide. Et pourtant.... J’aime l’orchestre... L’idéal pour moi ce sont les tournées. On peut se connaître... et ça change tout !

A l’écoute de votre disque consacré à Couperin, s’impose à l’esprit de l’auditeur l’idée d’un esprit français qui traverse les siècles. On sent une proximité avec Satie. Vous parliez de votre désir de bien connaître le compositeur, pourquoi ne pas jouer sur un clavecin, et plus généralement envisagez-vous de jouer certaines pages sur un pianoforte ?
J’aime totalement l’instrument d’aujourd’hui ! C’est lui que j’assume. C’est ma voix et ma voie !! J’ai essayé d’autres types d’instruments, mais cela ne m’a, et de loin, pas satisfait. Voyez-vous, par rapport à certains spécialistes, je ne serais pas crédible, ou alors il faudrait que je m’y consacre complètement... On en revient donc à la question du temps...

J’évoquais l’esprit français. Quelle forme a-t-il aujourd’hui ?
Il y a une école qui se revendique de la ligne de Couperin, Rameau, Saint-Saëns. Debussy, Satie, le Groupe des Six... En même temps j’ai de la peine à cerner une définition précise de ce que l’on appelle l’« esprit français ». Si je devais donner des noms, je citerais Thierry Escaich ou Guillaume Connesson... J’ai passé commande à six compositeurs pour un hommage à Rameau, puis pour un hommage à Couperin. C’est pour moi l’occasion de questionner cette filiation. Mais je vais plus naturellement vers des personnalités qui me bousculent, comme Thierry Pécou ou Gérard Pesson. J’avais lié une relation d’amitié profonde avec Maurizio Kegel. Quand il est mort, il était en train d’écrire un concerto pour moi... A chaque fois dans son travail d’écriture, il allait de danger en danger...

Dans votre compact centré sur Debussy et Poulenc transparaît une capacité à déchiffrer les héritages savants du passé, combinée avec un jeu accidenté qui regarde vers la modernité. Comment parvient-on à un tel équilibre ?
La meilleure manière de jouer un compositeur est de mettre tout de soi. Comme je vous le disais, il faut le tutoyer, ne pas sentir écrasé par lui. Il faut jouer d’égal à égal. Quand vous interprétez Chopin, pour donner un exemple, le mélomane entend ce compositeur et vous, l’artiste, votre époque !

Propos recueillis par Pierre Jaquet

Victoria Hall, jeudi 11 février à 20h30 : Alexandre Tharaud, piano (Scarlatti, Chopin) (loc. Fnac, Genève Tourisme)

Disques :
 « Chopin, journal intime ». Virgin Classics
 « Satie, avant-dernières pensées ». Harmonia Mundi (Avec Juliette, Jean Delescluse, Eric Le Sage, Isabelle Faust et David Guerrier)
 « Couperin, tic toc choc ». Harmonia Mundi.
 Debussy/Poulenc. Harmonia Mundi (Avec Jean-Guihen Queyras, violoncelle)