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Rencontre à Paris
Entretien : Sir Colin Davis

Quelques question à Sir Colin Davis, l’un des plus grands chefs d’orchestre actuels.

Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 13 juin 2007

par Olivier TEITGEN, Pierre-René SERNA

Colin Davis est presque un mythe vivant, l’un des plus grands chefs d’orchestre actuels, attaché à défendre tant de répertoires différents. C’est aussi un être affable, d’une imperturbable gentillesse et d’une suprême élégance. C’est à Paris, entre deux répétitions de “Roméo et Juliette“ donné fin octobre,
que nous l’avons rencontré.

Vous dirigez“ Roméo et Juliette“ de Berlioz avec l’Orchestre national de France. Parlez-nous de cette symphonie…
C’est une œuvre stupéfiante, unique. Berlioz suggère même de ne pas jouer la Scène au tombeau, parce qu’elle est trop difficile… Il y a des choses merveilleuses, dans l’Introduction par exemple l’idée de ce petit chœur que je trouve extraordinaire…
Vous entendez-vous bien avec les musiciens de l’Orchestre national de France ?
Les relations sont vraiment très bonnes. Ils jouent merveilleusement bien et savent anticiper les difficultés. Nous avons également eu une répétition avec les chœurs, qui n’a été qu’une simple formalité.
Avez-vous d’autres projets avec cet orchestre ?
Je poursuivrai avec eux mon cycle consacré à Berlioz, et pour la saison prochaine, nous envisageons le “Requiem” à la basilique de Saint-Denis. Ce sera une vaste entreprise…
Vous êtes Anglais et Shakespeare est votre auteur national. Berlioz a-t-il bien compris Shakespeare ?
Je pense que ce qu’il aimait chez Shakespeare, c’est la liberté. Quand le théâtre français était dominé par les pièces de Racine et Corneille, conçues suivant le modèle d’Aristote, Shakespeare a fait ce qu’il voulait, adaptant les scènes à son gré. Comme le fera Berlioz dans “les Troyens”, avec les deux sentinelles ou le matelot Hylas, non prévus par Virgile. Il ne fait aucun doute que Berlioz a énormément été inspiré par Shakespeare, et l’a également beaucoup respecté. Dans le cas de “Roméo”, il n’a pas cherché à mettre le texte en musique. Il a tenté d’en reproduire l’essence. Et cela a abouti avec la Scène d’amour, à l’un des plus merveilleux morceaux de musique. Certainement le plus beau que le XIXe siècle ait produit... en 1839, quand Wagner n’avait encore quasiment rien écrit. Berlioz était très en avance…
La lutte entre l’amour et la haine est toujours aujourd’hui un sujet d’actualité…
Oui. C’est épouvantable ce qui ce passe !… Tous ces gens qui s’entre-tuent…
La scène finale du “Roméo” de Berlioz ne vibre-t-elle pas comme un appel à la paix entre les peuples ?
C’est très juste. C’est un beau message de Berlioz, qui ne figure pas tel quel dans la pièce de Shakespeare.
Pouvez-vous nous parler de Berlioz ? Qu’est-ce qui fonde selon vous son esthétique ?
En premier, je soulignerais sa capacité a écrire des mélodies comme personne d’autre n’en a écrit. Elles commencent, se développent, partent très loin. C’est la raison pour laquelle un certain public, qui préfère les mélodies construites à la mode germanique avec exposition et conclusion, est dérouté. Une deuxième chose me frappe : c’est que Berlioz est réellement un compositeur classique, très classique. Mais il utilise l’ancien langage d’une manière très originale, comme dans sa référence à Gluck dans “les Troyens”. Ce langage joue sur de violents contrastes dans l’expression. Pour moi il est le seul et le premier vrai romantique. Par sa fraîcheur, sa manière de définir son territoire et ses paysages, il est proprement stupéfiant.
Le répertoire de Berlioz, grâce à vous, s’impose désormais en France. Le saviez-vous ?
Ce n’est pas seulement grâce à moi. D’autres y contribuent grandement. Mais j’étais sur le champ de bataille.
Quels sont les autres pans de la musique que vous avez à cœur de défendre ?
Sibelius, qui n’est pas assez joué à mon goût en France, en Allemagne ou en Italie. Je ne sais pas pourquoi. Cette musique est peut-être trop sombre. Aussi, certaines œuvres de Vaughan Williams ou de William Walton, ou d’Elgar. C’est une belle musique que j’aime jouer. Mais tout le monde réclame Mahler ! Toujours Mahler ! … Je n’ai rien contre Mahler, mais j’essaye tout de même de faire une petite place pour Elgar.
Préférez-vous le concert ou l’opéra ?
Ce que je préfère, c’est diriger l’opéra… au concert.
Cela signifierait-il que la mise en scène vous gêne ?
Très souvent. Quand vous êtes sur scène, vous comprenez que toute la richesse de l’opéra réside dans la musique. Il est passionnant d’entendre une version de concert d’Otello. La musique y gagne une autre intensité.
Vous dirigez donc moins d’opéras mis en scène ?
Oui, très peu, à l’exception de Mozart, où il devient possible, si l’on ne fait pas appel à des stars, de travailler en bonne intelligence et de construire un ensemble.
Quels sont vos prochains projets ?
Je dois faire “Cosi fan tutte” à Covent Garden. Cette année, je vais donner aussi, et enregistrer, l“’Enfance du Christ” et “Benvenuto Cellini”. Si je vis assez longtemps...
Avec le London Symphony Orchestra pour ces derniers…
Oui, nous sommes de bons amis. Je suis le chef principal jusqu’à la fin de l’année. Ensuite je serai nommé président, ce qui signifie que je n’aurai plus rien à faire... Ils me laisseront en haut, à mon poste, mais m’inviteront peut-être à redescendre de temps en temps…
La musique semble fondamentale pour vous…
Je dirais oui. Simplement parce que je n’arrive pas à m’accorder avec ce qu’on appelle la réalité. La musique et la littérature constituent un monde idéal, irréel, dont nous avons besoin, vous comme moi. Si on m’enlève la musique, je suis perdu. C’est mon mode de vie même.
La musique serait une forme de spiritualité…
Vous avez raison ! L’humanité aujourd’hui ne cherche qu’à détruire la substance de l’être humain… et ne s’intéresse qu’aux pipe-lines ! Un grand nombre de jeunes ne lisent plus aucune littérature, et écoutent à longueur de journée une musique déplorable. Heureusement, à mon âge, j’ai reçu une éducation m’ayant permis d’admirer les plus grands esprits... La musique de Berlioz constitue pour moi un refuge face à la folie humaine. Tout comme Mozart, ou “Fidelio” et “Falstaff”, qui sont des protestations magnifiques. Si personne n’écoute plus ces musiques, nous serons alors amputés d’un fantastique héritage. Et que restera-t-il ? Comment peut-on se détourner d’un tel trésor ?
Propos recueillis par Pierre-René Serna et Olivier Teitgen