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A Genève
Entretien : Philippe Béran

Rencontre avec un chef d’orchestre qui veut « rendre la musique classique vivante ».

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 26 août 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Philippe Béran est aussi furtif qu’un courant d’air. A peine descendu du train qui le ramène de Paris, où il vient de faire un Ciné-concert, en accompagnant en direct avec un orchestre symphonique - l’Orchestre national d’Ile-de-France - La Ruée vers l’or, de Chaplin, il nous convie à faire halte chez lui avant de repartir pour Paris.

« Nous nous produisons dans toutes les salles qui permettent de projeter un film sur grand écran tout en accueillant un orchestre d’une cinquantaine de musiciens ». Philippe Béran avoue affectionner les ciné-concerts et rappelle qu’au mois de décembre dernier, il a dirigé The Circus, de Chaplin, au Victoria Hall.
Ses prochains concerts au mois de mars : Piccolo, Saxo et Cie ou l’histoire d’un grand orchestre, d’André Popp, précédé de Amarcord, en sol majeur, et Otto e mezzo, de Nino Rota, avec l’OSR et l’Orchestre du collège de Genève ; il s’agit d’une série de concerts donnée au Victoria Hall, les 6, 9 et 10 mars, à 9h30 et 10h30. Ensuite, au Grand Théâtre, Philippe Béran invitera Papageno à raconter La Flûte enchantée en 90 minutes. Cette production sera présentée dans une mouture destinée au jeune public, et sera accompagnée par l’Orchestre du Collège de Genève, du 31 mars au 3 avril 2011.
Rencontre avec un chef d’orchestre dont le leitmotiv est « rendre la musique classique vivante ».

Les concerts pour jeune public, commentés, vous tiennent particulièrement à cœur !
Le scénario du concert tel qu’il a été conçu il y a deux cents ans fonctionne pour une certaine catégorie de population mais cela fait longtemps que je cherche d’autres formules qui soient mieux adaptées aux concerts destinés au jeune public. Si l’on fait un travail pour des enfants qui ont dix ou douze ans, souvent ils ne connaissent pas le compositeur ni l’œuvre, cela peut être très rébarbatif car ils ne savent pas ce qu’ils vont écouter ni à quoi cela correspond. Tous les concerts que je dirige, soit pour le jeune public à l’OSR, soit les opéras pour jeune public au Grand Théâtre, sont vraiment destinés à faciliter l’accès à cette culture, pour montrer aux enfants qu’elle est belle et toujours vivante, et pour leur faire connaître les pistes d’accès à ces concerts. Je m’y consacre depuis une dizaine d’années.

Cette envie est-elle née à la demande de vos propres enfants ?
C’est lié, certes, à mes enfants, mais aussi à tout enfant ; j’ai longtemps enseigné au collège la physique, les mathématiques, la musique, donc je suis sensible à tout ce qui touche à l’enseignement. Quand j’ai commencé à diriger l’Orchestre du Collège de Genève, j’ai réalisé combien c’est un instrument formidable, prédestiné à être un laboratoire absolument incroyable pour imaginer, justement, deux ou trois formules de concerts qui soient adaptées à des enfants, des jeunes, des familles, à tous ceux qui ne viennent jamais aux concerts d’abonnements ou qui ne viennent jamais aux concerts traditionnels du Grand Théâtre.

Pour qui il s’agit du seul contact avec la musique classique …
Pas forcément du seul contact. Il s’agit, avec les concerts tels que je les envisage, de favoriser le premier contact et de susciter une envie. Une fois que la notion de plaisir est acquise, c’est gagné, l’enfant ou le jeune adulte a envie de retourner à un concert ; ils y reviennent et ils éprouvent du plaisir. Ils ont franchi une fois la porte du Victoria Hall ou du Grand Théâtre avec plaisir, ils y ont découvert un spectacle qui leur a plu, ils auront peut-être envie d’y retourner.

Philippe Béran

Comment s’effectue le choix des œuvres que vous présentez ?
Dans le cadre de l’OSR, il existe une commission qui regroupe des délégués des trois corps d’enseignement – école primaire, cycle d’orientation, collège -, des représentants de l’OSR – dont je fais partie –, qui regardent saison par saison, en général deux ans à l’avance, quelles œuvres choisir. On essaie de renouveler, de diversifier afin que toutes les générations d’enfants puissent non seulement découvrir le patrimoine des grandes œuvres mais aussi les œu-vres baroques, plus adaptées à cette tranche d’âge.
Le programme de Piccolo, Saxo et Cie, d’André Popp, n’a jamais été donné à Genève mais il tombait sous le sens. On va le donner tel qu’il a été fait à l’origine, avec narrateur - en l’occurrence Joan Mompart – et orchestre.
La petite Flûte enchantée, de Mozart, collaboration entre l’Orchestre du Collège de Genève et le Grand Théâtre, n’est pas la première ; la première collaboration a été réalisée en 2004 : un opéra d’Isabelle Alboulker qui avait été mis en scène par Stephan Grögler en décembre 2004 au BFM, avec 90 enfants de la Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève, sous la direction de Magali Dami, sur scène, l’Orchestre du Collège dans la fosse, des chanteurs et des comédiens professionnels. On a fait huit spectacles et on a eu un immense succès. A l’époque, Jean-Marie Blanchard était le directeur du Grand Théâtre et je lui avais communiqué mon souhait de refaire cela chaque année. Dès que son successeur, Tobias Richter, a été nommé, je l’ai tout de suite sollicité, c’est lui qui a proposé cette petite Flûte enchantée ; c’est une production de l’Opéra de Zürich qui a été réalisée il y a une douzaine d’années et qui est donnée chaque année ; elle fait donc partie du patrimoine zurichois, ainsi, toutes les générations d’enfants, année après année, pouvaient découvrir cette œuvre.

Quelles réactions observez-vous entre de jeunes musiciens et un public quasiment du même âge ?
L’Orchestre du Collège de Genève jouera dans la fosse du Grand Théâtre, ce sont des jeunes qui ont entre quatorze et dix-neuf ans. Ces jeunes ont trente-cinq heures de cours par semaine, c’est un investissement énorme de leur part. Au mois de septembre, on a été au Festival de Montreux avec eux ; après on a présenté un Casse-noisette au BFM avec une école de musique, en décembre ; on sera huit fois au Victoria Hall pour Piccolo, Saxo et les musiques de Nino Rota – Huit et demi et Amarcord - , cinq fois au grand Théâtre pour jouer la petite Flûte enchantée, puis on va faire une tournée de quatre concerts, que nous organisons, en Toscane.
Je tiens à souligner l’investissement que cela représente pour eux puisque ce sont des élèves, comme tous ceux qui suivent le collège, qui sont harcelés d’épreuves et de cours et ils parviennent encore à consacrer trois heures d’orchestre par semaine pour faire de beaux projets. C’est une belle reconnaissance pour l’orchestre du collège car ils sont excellents dans ce domaine ; il n’y a pas d’orchestre équivalent loin à la ronde. Parallèlement, ils suivent le cursus du conservatoire ou d’une école de musique. Ma fille Flore, qui est en deuxième année du collège à Emilie-Gourd en section latin-grec, fait de la danse et joue du violon et de la harpe, avoue que c’est difficile de tout gérer mais que ces expériences sont extraordinaires à vivre.

L’an prochain sera événementiel pour l’Orchestre du Collège de Genève comme pour vous ?
Vous êtes bien informée (rires)… En effet, l’Orchestre du collège de Genève a été fondé en 1962 – année de ma naissance - on fêtera donc ses cinquante ans l’année prochaine. C’est extraordinaire de faire cela avec un collège de jeunes qui sont recrutés au sein des douze établissements de Genève, donc on prend les meilleurs parmi 500 ou 600 collégiens, soit entre quatre-vingts et cent chaque année, avec lesquels on monte un orchestre symphonique, avec lequel on travaille sur une production avec l’OSR chaque année depuis quatorze ans.

L’éradication de la musique classique dans l’enseignement public vous désole-t-elle ?
Je constate toujours que, pour les enfants qui sont à l’école primaire, la musique classique a quasiment disparu de leur panorama. Si vous regardez quelles sont les émissions radiophoniques ou télévisuelles qui traitent de musique classique, vous constaterez qu’elles sont diffusées très tard le soir ; les enfants auront donc tendance à écouter d’autres types de musique, mais cela ne veut pas dire du tout qu’ils ne s’y intéressent pas. Si on leur propose un concert bien organisé au Victoria Hall, les enfants sont fascinés. L’avenir de la musique classique réside là, il n’y a aucun souci à se faire. L’unique problème est celui de la diffusion de la musique. La musique classique est difficile à diffuser parce qu’il faut un orchestre, une bonne salle et une organisation qui permette à des milliers d’enfants de venir chaque année au Victoria Hall. La collaboration de l’OSR avec le DIP fait en sorte que 15’000 enfants bénéficient de cette offre chaque année. Pour chaque concert, un dossier pédagogique est réalisé que les enseignants préparent avec leurs classes. Les enfants connaissent donc les œuvres quand ils viennent au concert. On les fait chanter, bouger, danser avec l’Orchestre – c’est très vivant – dans le but de transmettre cette image que la musique classique est vivante.

Dans les programmations à venir, pouvez-vous imposer vos préférences ?
Non, cela s’effectue selon la demande des personnes concernées par ce projet au Département de l’Instruction publique. En général, il s’agit des œuvres qui sont liées, de près ou de loin, à une histoire, à des contes, à la danse, à la littérature, tout ce qui peut avoir un intérêt pédagogique ou une résonance dans d’autres domaines d’activités, comme les arts plastiques ou la littérature française. Bien évidemment, il y a de grands classiques que l’on ressort régulièrement, comme le Boléro de Ravel, Rhapsody in Blue de George Gershwin, des incontournables du répertoire qui sont parfaitement adaptés aux enfants comme aux familles. Il faut rappeler que tous ces concerts – élaborés dans le cadre scolaire l’après-midi – sont aussi donnés le soir pour les familles. Ceux-ci conviennent aussi aux plus petites enfants et remportent un immense succès, à tel point qu’on a doublé l’offre. Personnellement, je n’ai pas de compositeurs de prédilection, j’aime tout pourvu que cela me fasse plaisir. Quant aux genres, je suis très éclectique, mais j’avoue que j’adore diriger les ballets et j’en dirige dans le monde entier ; j’ai dirigé à l’Opéra de Paris, au New York City Ballet, ou récemment, en octobre 2010, Le Lac des cygnes avec ballet de l’Opéra Royal de Suède, et l’Opéra national de Finlande.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet

Mardi 8.3 et jeudi 10.3. : Série Prélude. OSR, « Piccolo, Saxo et Compagnie ou la petite histoire d’un grand orchestre » d’André Popp, dir. Philippe Béran, Joan Mompart, narrateur, Orchestre du Collège de Genève ; OSR. Victoria Hall à 19h (Tél. 022/807.00.00, billet@osr.ch)

www.suisu.com/beran
www.osr.ch
www.geneveopera.ch