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AMR
Entretien : Olivier Magnenat et Maurice Magnoni

Rencontre avec les deux fondateurs de l’AMR.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 15 juin 2007

par Nicolas LAMBERT

En quelques décennies, l’AMR est devenue un des hauts lieux du jazz à Genève – une musique d’hier comme de demain qui n’a cessé de gagner les cœurs et les oreilles tout au long des vingt années qu’a recouvertes Scènes Magazine.

Des locaux dispersés des débuts à l’inauguration d’un centre musical, le Sud des Alpes, en 1981 ; des quelques concerts dans des aulas de collèges aux premières éditions du festival de la Bâtie, aux propres programmations et festivals de l’AMR ; du premier big band au deuxième, sous le signe du bénévolat, pour aboutir aux nombreux ateliers qu’abrite aujourd’hui l’AMR, l’association a fait son bonhomme de chemin.
Entretien avec deux de ses fondateurs : Olivier Magnenat, Président, et Maurice Magnoni, coordinateur des ateliers, tous deux professeurs au CPM, à l’école professionnelle et aux ateliers de l’AMR.

Quelles envies, quels enjeux ont donné naissance à l’AMR, en 1973 ?
OM : Il n’y avait pas d’écoles, de locaux de répétitions faciles d’accès ou de salles de concert à part quelques cabarets en vieille ville. C’est pourquoi plusieurs musiciens aux tendances variées – bebop, post-bop, suiveurs de Coltrane et d’autres comme nous, plus jeunes, versés dans le free jazz - ont créé cette association pour pouvoir se rencontrer, jouer ensemble, échanger leurs connaissances, organiser leurs propres concerts et, corollaire de toutes ces activités, avoir une action vis-à-vis des autorités en vue d’un minimum de reconnaissance.

Olivier Magnenat

MM : Parmi les fondateurs de l’AMR on pourrait discerner ceux qui comme François Jacquier rêvaient d’un centre culturel polyvalent comme il y en avait à Amsterdam, qui allaient du yoga aux arts martiaux en passant par le blues, le folk, la méditation transcendantale… et fumer des pétards ; et d’autres plus jeunes intéressés par le jazz moderne. Pourquoi ne pas enseigner l’improvisation tant qu’on n’enlève pas les pétards ? Ce sont finalement les musiciens, qui avaient le plus de nécessité, d’énergie, et les objectifs les plus nets, qui ont fait de l’AMR ce qu’elle est maintenant.

Quels changements depuis ?
OM : L’AMR n’a pas changé au niveau des musiques et des buts défendus. Elle est en outre restée communautaire et non pas hiérarchique, égalité rare qui évite de nombreuses tensions. Le glissement d’une « Association pour la Musique de Recherche » vers une « Association pour les Musiques impRovisées » n’a en réalité servi qu’à éviter toute confusion avec la musique classique contemporaine. C’est sans doute suite à l’apparition d’autres associations et centres culturels dédiés au rock (l’Usine) ou à un jazz plus traditionnel, comme l’Association des Musiciens de Jazz Genevois (AMGJ) que l’AMR est maintenant plus centrée sur le jazz « moderne ».
MM : Plusieurs buts ont été atteints : locaux de répétitions, salles de concerts, cours, budgets, ateliers où échanger nos connaissances, élargissement du milieu... L’Ecole Professionnelle a quant à elle vu le jour afin de garder les jeunes musiciens qui avaient tendance à faire leurs écoles outre-Altantique. Il reste encore des choses à conquérir, mais individuellement : nous-mêmes, nos ambitions, dans ce centre culturel mis à notre disposition qu’est le Sud des Alpes (10, rue des Alpes).

Peut-on parler d’un jazz suisse ?
OM : S’il y a un jazz suisse, il fait partie d’une esthétique que je reconnaîtrais plutôt comme nord européenne - jazz scandinave, allemand, anglais et français exception faite du jazz manouche - par opposition au jazz plus populaire du sud du continent. La Suisse peut compter une dizaine de musiciens reconnus internationalement (Irène Schweitzer, Daniel Humair, Pierre Favre…) ; ceux qui vont faire leurs classes aux Etats-Unis répondent plus à un choix artistique.
Il existe comme dans de nombreux domaines culturels un léger clivage entre Suisse allemande et Suisse romande. Des ponts ont été jetés entre les deux rives dans les années 80, orchestres mixtes créés quelque peu artificiellement pour des résultats finalement excellents. Mouvement en nette régression, le jazz romand s’étant quelque peu classicisé par rapport au modernisme d’outre-Sarine.

Maurice Magnoni

MM : Si on parle de jazz suisse, on peut dire qu’il y a un jazz genevois, différent du zurichois, un jazz de Carouge ou des Pâquis… Ces classifications sont oiseuses voire dangereuses, elles risquent plus de créer une réalité que d’en révéler l’existence. Les stratégies gouvernementales ont par contre une incidence très forte – il existe une manière suisse de gérer la culture, question qui appartient au politique, non à l’artistique.
Historiquement, la Suisse, à la différence de l’Allemagne ou de l’Italie, n’a pas subi d’occupation américaine, ce qui en fait un pays moins expérimenté mais moins conservateur.

Que signifie de nos jours être jazzman, en Suisse romande ?
OM : Pas mal de soucis. Ça n’a pas beaucoup changé depuis mes débuts, si ce n’est un relâchement du soutien de la classe politique. Restreint dans ses subventions, le jazz s’est alors américanisé, privatisé, et les projets plus modernes sont finalement moins vendables que les grandes tournées internationales à la Sonny Rollins. Mes jeunes collègues qui cherchent à se produire en concert ont encore plus de peine que nous et se voient souvent retranchés dans l’enseignement, ce qui est un tout autre domaine.
MM : Pas la moindre idée. Ce n’est pas un label, « être jazzman ». Le mot artiste lui-même a-t-il un sens, tout particulièrement de nos jours, alors que les seuls musiciens à posséder un statut reconnu sont ceux qui jouent régulièrement dans de grands orchestres symphoniques ? C’est une auto-désignation, une attitude, une étiquette, un vœu pieu, une envie, une pratique, mais pas un état ou une condition sociale.

Quel avenir pour le jazz en Suisse romande ? Quels objectifs ?
OM : Les échanges inter-régionaux demeurent une valeur fondamentale pour un petit pays comme la Suisse. Les réseaux scéniques ont suivi une nette amélioration, bien qu’encore insuffisamment implantés dans les pays voisins ; les sensibilités et fonctionnements n’y sont pas les mêmes, et les différences de budget rendent la concurrence difficile.
MM : Musique, musiciens, enseignement, mainmise de l’institutionnel… chaque point est différent. L’artiste n’a d’autre reconnaissances qu’un diplôme pour enseigner, ce qui n’a rien à voir avec la reconnaissance d’un « bon musicien ». Je ne crois pas à un « développement des artistes de talent » - le talent ne fait pas les artistes - qui tient plus du showbiz que de l’art. L’art, si on le définit comme expression individuelle, est quelque chose d’imprévisible, de fluide.

Quelle utilité a selon vous la presse culturelle ?
OM : C’est tout bénéfique. L’écriture et la musique ne sont pas si lointains dans l’histoire du jazz (Michel de Brie, Alain Gerber, …). L’AMR a d’ailleurs préféré avoir un journal (Viva la Musica) gratuit de qualité qui lui serve de publicité plutôt que de consacrer tout une part du budget à celle-ci.
MM : Je ne lis pas les journaux. La littérature culturelle, la presse, m’est peut-être extrêmement utile, indirectement, comme tout ce qui existe et doit avoir son utilité, mais j’ai de la peine à savoir en quoi.
Rares sont les artistes qui parlent vraiment de ce qu’ils font, ou alors ce sont des faiseurs, et je n’ai jamais entendu quelqu’un qui ne pratiquait pas un art en parler dignement ; ils disent peut-être des choses intéressantes, mais qui n’ont aucun rapport avec l’acte même de l’artiste. Mais c’est très bien, continuez (rires)…

Propos recueillis par Nicolas Lambert