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Entretien : Miguel Angel Estrella
Article mis en ligne le avril 2007
dernière modification le 1er juillet 2007

par Magali JANK

Prônant le droit à la musique pour tous, les notes du célèbre pianiste argentin Miguel Angel Estrella ont depuis toujours résonné pour les plus défavorisés. Victime de la dictature argentine il y a 30 ans, il est aujourd’hui
déterminé à sensibiliser les populations aux droits de l’homme à travers sa musique.

Fervent défenseur de la dignité humaine, Miguel Angel Estrella donne une centaine de concerts par année à travers le monde entier, dont plus de la moitié en faveur de cette cause qui lui est chère. A la tête de nombreuses actions caritatives, il se veut porteur d’un message humaniste. Entretien avec l’artiste avant son passage à Genève, à l’occasion du 5e Festival International du Film sur les Droits Humains (FIFDH) en mars dernier, où il figurait parmi les membres du jury.

Quel regard portez-vous sur le festival et son action et comment percevez-vous votre rôle de juré ?
Le festival fait connaître des événements qui ne font pas partie des informations que reçoit le grand public. Son action me semble très importante, car c’est un moyen de faire avancer certaines idées de l’humanisme du XXIe siècle qui sont absolument nécessaires. J’ai eu la chance d’être présent une première fois l’année passée, car le festival m’avait invité pour visionner un film sur la répression nord-américaine à l’égard des prisonniers musulmans de Guatanamo, un thème que je connais bien, en tant qu’ancien détenu politique. Participer au festival m’a permis d’apporter des commentaires au public, mais surtout un témoignage, chose que je mène avec beaucoup de conviction. Très emballé par ce que j’y ai vu et par les rencontres que j’y ai faites, j’ai accepté avec enthousiasme cette nouvelle invitation, en tant que membre du jury. Par mon parcours et mon action permanente, j’ai un rôle déterminant à jouer à l’égard des droits de l’homme. Lorsque je dialogue avec le public, un message très fort se transmet, également lors de mes concerts. Je tiens néanmoins à souligner que ce dialogue n’est jamais basé sur une attitude politique partisane, mais simplement sur un regard humaniste sur ce qui se passe sur la planète. Je suis très concerné, en tant qu’homme et artiste, par les droits de l’homme. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai créé l’ONG « Musique Espérance » en 1982 peu après ma libération. Elle a été créée afin de remercier les musiciens et les artistes, qui, à l’époque, s’étaient mobilisés en ma faveur, dont Nadia Boulanger, Olivier Messiaen, Yehudi Menuhin, Henri Dutilleux, ainsi que nombre d’associations musicales issues du monde entier.

Miguel Angel Estrella, sur fond de Bolivie

Comment s’organisent vos activités caritatives au sein de « Musique Espérance » ?
Le siège principal de la fondation se trouve en Argentine, mais nous avons également une antenne en Suisse, à Fribourg. Notre action première est de mettre la musique au service de la communauté humaine et de la dignité, sans en faire une utilisation commerciale. Dans ce cadre, nous collaborons notamment avec les communautés d’Emmaüs et l’Association des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) ainsi qu’avec leurs équivalents en Amérique latine et en Afrique. Nous œuvrons également dans les prisons, où nous avons créé des programmes d’alphabétisation ou d’information, ainsi que des ateliers artistiques. Les actions de la fondation sont destinées aux plus défavorisés ainsi qu’aux jeunes et encouragent l’éducation et la culture pour tous. Deux grands programmes sont actuellement en cours. Le premier concerne l’Orchestre pour la paix, fondé en 1988 alors que j’accomplissais une tournée en Moyen-Orient. Formé de musiciens juifs et musulmans, l’orchestre participe à des mobilisations pour la paix et favorise les échanges culturels. Son parcours est non seulement important d’un point de vue musical mais aussi social. En second lieu, nous sommes fiers d’avoir pu mettre sur pied une formation de « promotteur socio-artistique » dans la Cordillère des Andes (Tilcara), qui donne la possibilité à de jeunes artistes aborigènes de se former, en 3 ans, au métier d’animateur culturel dans divers milieux : hôpitaux psychiatriques, bidonvilles ou autres lieux défavorisés.

Avez-vous des projets d’enregistrements ou de concerts ?
Comme je vous l’ai dit, je ne fais pas partie du commerce de la musique. Avec ma femme qui est cantatrice, nous avons décidé de ne jamais devenir prisonniers du marketing. Instinctivement, nous tenions à notre liberté. Il arrive néanmoins que certains concerts publics soient enregistrés. Dans ce cas-là, les disques sont vendus au profit de « Musique Espérance » ou pour d’autres organisations humanitaires et ne se trouvent pas dans le commerce. Concernant mon activité de concertiste, je joue régulièrement au Moyen-Orient, où nous avons mis sur pied un programme intitulé « Un enfant, une promesse ». Avec ce projet, nous cherchons à récolter des fonds, afin de garantir l’éducation de base mais aussi musicale, d’enfants palestiniens vivant dans des camps en Jordanie, en Palestine et au Liban. Enfin, à l’occasion de la 31e commémoration du coup d’état en Argentine, je vais donner très prochainement un récital dans un ancien centre militaire clandestin près de Buenos Aires, dont le but est de rappeler ce que nous avons vécu en tant que nation. A travers ma musique, je m’adresse aujourd’hui tout particulièrement aux jeunes militaires. Le monde a besoin d’un nouvel humanisme et nous sommes tous concernés.

Que représente la musique à vos yeux ?
Il m’est impossible de vivre sans musique. Elle est ma sève. Le but de la musique, selon moi, n’est pas d’éblouir le public avec la technique, mais d’émouvoir avant tout. Très jeune, en compagnie de ma femme, nous jouions dans des bidonvilles de Buenos Aires ainsi que dans certains milieux ruraux. C’est là que nous avons découvert que la musique est universelle. En effet, tandis que les populations locales nous chantaient leurs musiques, nous cherchions l’équivalent chez Schubert ou Fauré, donnant lieu à une formidable communion. Communiquer la beauté de la musique, en cherchant des émotions, qu’elles soient issues de la musique classique ou de la musique populaire locale, est une formidable expérience sociale. Cette dernière nous a fait comprendre l’importance de la musique comme lieu de communion. Après ma libération, j’étais plus que jamais convaincu de la nécessité d’une autre forme d’art, un art plus proche des gens et surtout beaucoup plus proche de ceux qui souffrent.

Propos recueillis par Magali Jank

Voir le site
ou http://www.fifdh.ch