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Entretien : Leo Tardin

Rencontre avec un musicien “qui monte“.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 4 juin 2008

par Frank DAYEN

Quel musicien genevois habitant New York a remporté le concours international de piano solo du Montreux Jazz en 1999, a fait l’ouverture des concerts de Maceo Parker (saxophoniste de James Brown) lors de sa dernière tournée américaine, et se permet de poser nu et décapité derrière un clavier sur la pochette de son dernier album, déjà 50’000 fois téléchargé sur ITunes USA ?

Ceux qui ne le connaissent pas encore vont entendre parler de lui : Leo Tardin. La région lémanique a déjà pu assister à quelques unes de ses compositions. D’abord, en 1999, au Montreux Jazz Festival, puisqu’il y avait remporté la compétition internationale de Piano Solo. Ensuite, en avril dernier, au Cully Jazz Festival, la performance de Leo Tardin a presque éclipsé les derniers poètes The Last Poets, pourtant célèbres depuis 40 ans. Et puis, si certains l’ont manqué, l’artiste genevois est de retour à Montreux le samedi 12 juillet prochain, au Montreux Jazz Café, à 22h30, avec son projet : le Grand Pianoramax. C’est que ce jeune talent de 32 ans est en passe de sortir des années de galère, grâce à une reconnaissance témoignée d’un côté et de l’autre de l’Atlantique : après les prestigieuses salles du Fillmore à San Francisco ou du Roxy d’Hollywood ont succédé les concerts à Paris, Berlin, Edinburgh, Londres, Zurich, Genève, Lisbonne… Scènes sont allées à la rencontre de cet anticonformiste de passage en Suisse.

Comment tout cela a-t-il commencé ?
Leo Tardin : Je n’ai jamais fréquenté d’école de musique, mais je suivais des cours privés de piano classique. En fait, c’est un peu mon voisin Patrick Muller (aux claviers d’Eric Truffaz) qui m’a refilé le virus du piano et m’a encouragé à me lancer en professionnel. Le concours du Montreux Jazz a agi comme un détonateur et a permis de me faire connaître : je suis retourné au Montreux Jazz l’année suivante, pour y jouer avant George Benson ! Un rêve commençait.

Et vous voilà à New York depuis 10 ans.
Avant les résultats de la compétition Piano Solo, je m’étais déjà inscrit dans une école de musique new yorkaise. Ma victoire à Montreux m’a bien permis de décroché une bourse, mais mon exil était tout de même très risqué. J’aurais pu avoir une vie beaucoup plus confortable si j’étais resté en Suisse ; beaucoup de musiciens suisses préfèrent d’ailleurs ne pas bouger du pays.

Ce goût du risque vous a valu pas mal de difficultés.
Il n’y a pas de secret, il faut bosser dur, multiplier les contacts et tenter sa chance. Les Américains disent : Jump, and the net will follow, et j’ai plongé. La maison de disques new yorkaise Obliqsound cherchait un jeune artiste pour accompagner Roy Ayers (célèbre vibraphoniste californien, protégé de Lionel Hampton, maintenant septantenaire et 63 albums à son actif dont le mythique Everybody loves the Sunshine). Attiré par mon univers musical particulier, ce label m’a fait confiance et a facilité mes contacts avec les artistes que je voulais pour mon album.

Est-ce là qu’a mûri votre concept de Grand Pianoramax ?
En fait, c’est lorsque je préparai mon deuxième concert à Montreux que ce projet a vu le jour. Pour construire mon répertoire, je souhaitais passer du piano solo, à un groupe d’instruments, de manière à ce que mon piano puisse dialoguer. Ceci me permettait en outre de passer des salles purement acoustiques, à des salles plus grandes. Je voulais donc sortir de certaines limites que le piano m’imposait. De plus, comme je viens du jazz, de l’impro., je voulais retrouver l’aspect sociabilisant du jazz à l’origine. A partir des années 50-60, le jazz s’est petit à petit institutionnalisé, est devenu académique, et le contact avec les spectateurs est devenu moins direct. Moi, je voulais retrouver ce contact avec le public. D’où également la volonté de viser des scènes plus grandes. J’ai donc d’abord choisi la batterie pour accompagner le piano. Mais, avec un seul instrument supplémentaire, je me suis vite aperçu que je ne pouvais pas véritablement raconter une histoire. Il fallait que j’y mette de la voix.

D’où votre formation actuelle Grand Pianoramax dans l’album sorti en mars de cette année, avec vous aux claviers (piano acoustique syncopé, Fender Rhodes saturé, Minimoog et K-Station), un batteur (Deantoni Parks) et des voix : rap ou spoken words.
Ce deuxième album, The biggest piano in town, reflète ma recherche de deux ans à New York sur la scène alternative et spoken word [le spoken word est une langue parlée naturellement, qui diffère du rap (où la parole y est scandée) et du slam (qui est proche du rap, mais sans instrument) ; ndlr]. On peut dire que je me suis ruiné dans tous les clubs de Big Apple ! Ceci pour dénicher les artistes idéaux, ceux qui possèdent un réel univers personnel, qu’ils défendent. Je suis tombé sur quatre experts en poésie parlée, deux hommes et deux femmes, parce que le hip hop est trop macho : Mike Ladd (Bostonien qui, avec son master en poésie anglaise, enseigne à la Sorbonne), Spleen (rappeur français dont l’univers personnel serait très proche d’un Prince), Celena Glenn (poétesse de Brooklyn très demandée aux States, qui écrit beaucoup et possède une très forte présence scénique), et Invicible (rappeuse de Detroit très engagé, avec des textes sur la pollution des eaux par ex.). En fait, notre dernier album alterne morceaux vocaux et instrumentaux.

Quelle en serait la cohérence ?
Je dirai qu’il s’agit d’un son assez minimal, d’une musique saturée, pas douce, introspective, avec peu d’arrangement, et beaucoup de construction (superpositions, répétitions). Ma musique a été très influencée par ma vie citadine à New York : il en ressort une musique assez directe, agressive, avec des moreaux assez rapides (mon batteur Parks vient du rock). J’ai en outre choisi de ne pas mettre d’espace entre les plages des morceaux, de manière à ce que l’on puisse saisir l’album dans sa vraie continuité. Enfin, ce dialogue clavier-batterie-voix est très peu courant en jazz, où l’on trouve souvent une basse en plus. Pour résumer, je dirai que ma musique comporte peu d’artifice, qu’elle se réduit à l’essentiel, mais qu’elle est virtuose, car assez technique.

Quelles influences convoquez-vous ?
Je trouve Miles Davis élégant et visionnaire, mais je me souviens toujours du classique, Debussy, Ravel ou Poulenc, de la musique impressionniste européenne quoi. Je suis trop jazz pour quelqu’un qui aime le rap. J’aime bien l’énergie rock de mon batteur Deantoni Parks (batteur de Tom Waits), avec une touche hip hop, mais à ma sauce alternative. Je reconnais cependant aujourd’hui la puissance de certains rappeurs, mais écoute toujours Stevie Wonder et Prince.

Propos recueillis par Frank Dayen

 Grand Pianoramax au Montreux Jazz Café, le samedi 12 juillet, 22h30.

 The biggest piano in town, CD de Léo Tardin et Grand Pianoramax, chez Oliqsound/Musikvertrieb.

 Site personnel et officiel du musicien : www.leotardin.com

 et www.youtube.com pour un aperçu de ses concerts et enregistrements.