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A Vidy-Lausanne
Entretien : Heiner Goebbels

Heiner Goebbels revient à Vidy pour un concert scénique en trois tableaux avec le Hilliard Ensemble.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 29 mars 2009

par Nancy BRUCHEZ

Du 9 au 22 mars, Heiner Goebbels revient à Vidy pour un concert scénique en trois tableaux avec le Hilliard Ensemble. Le titre du spectacle, I went to the house but did not enter, donne immédiatement le ton : Goebbels peut faire l’économie du spectaculaire et pourtant exercer un grand attrait sur les spectateurs. Entretien.

Comment avez-vous imaginé un tel spectacle ?
H.G. : Mon imagination n’est pas aussi développée ! Le point de départ fut ma rencontre avec le quartet du Hilliard Ensemble. Ils sont considérés comme l’un des quatuors vocaux les plus talentueux de la planète. Il n’y en a sans doute aucun autre qui ait cette formidable réputation dans les domaines à la fois de la musique ancienne et de la musique contemporaine. Ils ont une manière de chanter classique et poétique. Leur génie est le point de départ de l’aventure. Ce qui m’intéressait était la possibilité de travailler avec eux en tant que comédiens et pas uniquement en tant que chanteurs. L’idée leur a plu ! Ils sont très compétents et après avoir vu mes précédents spectacles, ils ont bien compris mon envie. Ils m’ont fait confiance en sachant que je respecterais leur personnalité très caractéristique et leur image si particulière. Et ensuite, mon imagination s’est mise à travailler en les voyant et en les écoutant.

Comment pourriez-vous définir votre spectacle ? Est-ce un concert théâtral, un poème visuel ou un théâtre musical ?
Je préfère le terme de concert scénique avec trois différents tableaux ou scènes. C’est une collaboration entre la musique et le texte. Le jeu du quartet est empreint d’un réalisme troublant. Cela ne veut pas dire qu’ils parlent tout le temps, il y a au contraire beaucoup de moments où ils ne parlent pas.

Comment faut-il interpréter ce titre : I went to the house but did not enter ? Doit-on penser qu’il ne se passera pas grand-chose sur scène ?

Heiner Goebbels

Vous ne devez jamais essayer de comprendre mes titres (rires) ! A travers le texte de Blanchot, La folie du jour, dans le deuxième tableau, vous allez découvrir le sens de ce titre. En fait, il ne signifie pas vraiment quelque chose de précis, mais évoque plutôt l’idée que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Tous les textes sélectionnés partagent cette notion d’échec. Dans les textes de T.S. Eliot et de Beckett, respectivement : La chanson d’amour de J. Alfred Prufrock et Cap au pire, les protagonistes ne font pas grand-chose. Chez T.S. Eliot, le titre annonce une chanson d’amour chantée par quelqu’un qui se présente avec un formalisme à l’opposé de la poésie d’une chanson d’amour. C’est le portrait d’une personne qui échoue. Mr Prufrock ne quitte même pas sa maison. Chez Beckett, on est si éloigné de l’histoire narrative qu’il est difficile de comprendre ce qui se passe réellement. Tous les textes du spectacle sont animés de ces contradictions.

Pourquoi avoir choisi précisément ces quatre auteurs, Blanchot, T.S. Eliot, Kafka et Beckett, ainsi que des textes relativement difficiles ?
Ces textes ont tous le projet de raconter une histoire, mais à la fin, l’histoire est si complexe qu’il est impossible d’en percevoir le sens. A tel point que, finalement, il est difficile d’appeler ces écrits des narrations au sens propre du terme. Chez Kafka, la difficulté est également dans la définition du genre : est-ce un roman ou un poème ? Les quatre auteurs sont liés par ce qu’ils pensent, mais chacun a une forme esthétique particulière. Ces différents textes partagent le fait de prêter à un « Moi » anonyme, fragmenté, plusieurs voix et facettes où le lecteur se perd parfois. Tous les textes possèdent cette méfiance envers les formes narratives linéaires. Ces textes sont difficiles et je ne cherche pas à les rendre lisibles ou clairs pour le spectateur. Je pense que le théâtre est une forme artistique ou du moins qu’il doit être reconsidéré comme tel, et non comme une plateforme où l’on transforme le message en réalité. Si vous devez aller voir un spectacle plusieurs fois parce que vous n’en comprenez pas le sens immédiatement, parce qu’il y a une énigme, un secret, vous allez être attiré par ce que vous ne comprenez pas. Il y a un pouvoir attractif dans la recherche de sens. Le même pouvoir s’exerce sur vous quand vous admirez les tableaux de Mark Rothko, par exemple, vous aurez envie de les revoir, encore et encore. En ce qui concerne Blanchot, il est à cheval entre littérature et philosophie et il est vraisemblablement l’un des écrivains les plus stimulants du vingtième siècle. C’est un moyen d’amener les spectateurs à penser le spectacle, à l’entendre et à le sentir.

« I went to the house but did not enter »
© Philippe Stirnweiss

Avec I went to the house but did not enter, vous signez votre cinquième collaboration avec le théâtre de Vidy.
Oui, c’est un espace de liberté fabuleux pour la création, probablement le seul en Europe. René Gonzales est un directeur extraordinaire. Il m’a donné sa confiance. Je lui en suis infiniment reconnaissant. Je ne pourrais pas composer en sachant que le directeur n’est pas ouvert à la nouveauté. Et puis, le théâtre de Vidy réalise des prouesses techniques. Il est parfois difficile de pouvoir recréer exactement ce que l’on désire d’une œuvre. Pour mon dernier spectacle à Vidy le miracle a eu lieu. Je m’entoure également d’une équipe que je connais bien, notamment Klaus Grünberg pour la scénographie et la lumière, et Florence von Gerkan pour les costumes. Nous avons l’énorme privilège de ne pas devoir parler longtemps pour nous comprendre. En effet, lorsqu’il faut beaucoup expliquer les choses, on perd déjà passablement d’effet dramatique. Nous sommes vraiment en confiance les uns avec les autres et c’est une grande chance.

Comment vous définiriez-vous ?
Je suis un compositeur et un metteur en scène. Mais je suis aussi professeur et directeur de l’Institut des Etudes sur le théâtre à l’Université de Giessen. Mais quand je travaille, je ne fais aucune distinction entre toutes ces professions. Je me considère comme un artiste tout simplement.

Propos recueillis par Nancy Bruchez

Théâtre de Vidy, du 9 au 22 mars, 2h avec entracte
(loc. 021/619.45.45)