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Entretien : Erik Truffaz
Article mis en ligne le novembre 2007
dernière modification le 20 octobre 2007

par Frank DAYEN

Avec ses complices Erbetta, Gulliani, Muller, et la collaboration exceptionnelle de Christophe et d’Ed Harcourt, Erik Truffaz a fait de son dixième album un véritable joyau, qu’il polit les soirs de concert. Pourtant le trompettiste de 47 ans affirme vouloir changer de formation et se lancer dans un duo acoustique. Justifications d’un artiste en perpétuelle recherche.

C’est dans les coulisses du Montreux Jazz que Scènes a rencontré le trompettiste suisso-français. Truffaz, sa petite fille et Scènes, assis sur un canapé enfin…

La pochette de votre dernier album (Arkhangelsk, Blue Note) consiste en une photographie d’une maison déstructurée, œuvre de l’artiste brut Richard Greaves. Est-ce une manière de mettre en avant que, vous aussi, vous appartenez d’une certaine manière au monde de l’art brut ?
Les artistes bruts sont ceux capables de décevoir leur public. Ils se moquent de ce qui va se passer, de ce que le public ou leur audience va penser. En ce sens, je ne suis pas un artiste brut car je ne suis pas capable de décevoir mon public (sourire). Quant à la cabane de bric et de broc sur la pochette de notre album, elle pourrait bien être une métaphore graphique de notre musique, parce qu’elle illustre la composition que nous recherchons : partir de la structure pour arriver à la déstructure, à l’improvisation, mais sans pour autant perdre une certaine cohérence.

Erik Truffaz

Abd El Malik rappe sur votre musique à Montreux, Ed Harcourt chante dans plusieurs morceaux d’"Arkhangelsk"… Est-ce pour rajeunir votre public ?
D’abord, c’est Abd El Malik qui m’a invité sur scène pour jouer des airs de trompette dans son concert. Ensuite, je dois ma rencontre avec Ed au hasard. Nous nous sommes rencontrés il y a deux ans à Paris, lors d’un concert autour de Chet Baker. C’était la voix que je cherchais. J’avais déjà auditionné une chanteuse anglaise, mais cela n’avait rien donné. Le timbre de Ed s’accorde vraiment avec notre musique ; en plus, il est un vrai rockeur, et il sait déconner !

Avec Arkhangelsk, vous semblez tout de même avoir pris une nouvelle orientation musicale.
C’est vrai : en plus de la musique, nous nous sommes mis à écrire des chansons. Je pense que la voix humanise la musique et la rend plus directe. J’aimerais bien être chanteur ! Même si je ne pourrais pas donner des concerts tout le temps, parce que la voix… en quelque sorte… cadre la musique, et entre en contradiction avec les univers mystérieux que nous tentons de créer.

Tantôt vous parlez à la première personne, tantôt vous dites "nous".
Excepté les deux morceaux avec Christophe, nous avons écrit ensemble - Erbetta, Gulliani, Muller et moi - les compositions de l’album et je pense que nous avons très bien réussi. Cependant mon prochain projet sera différent. J’aime beaucoup l’idée d’un duo (voire trio) complètement acoustique. Quelque chose du même ordre que le concert au Festival de Cully en 1997 qui m’a permis de jouer avec l’accordéoniste Richard Galliano. J’adore aussi ce que fait le pianiste Malcom Braff à Vevey… Bref il faut que je fasse autre chose !

Sera-ce facile ?
Hélas, je suis pris entre mes désirs artistiques et la réalité du marché ! C’est-à-dire que, tant que je ne vends pas plus de, mettons, 200’000 albums, personne n’insiste pour que je change de style. Par exemple, lorsque j’ai soumis mon projet de concert au Festival de Jazz de Montreux l’an dernier (avec Talvin Singh et Murcof), la programmation m’a demandé de ne pas me faire accompagner par un chanteur – je voulais emmener avec moi un rappeur. Le Festival a prétexté que cela s’était déjà fait ou je ne sais plus trop quoi. Ce qu’il voulait, c’était me voir moi sur scène jouer de la trompette (ou du bugle) comme je l’ai souvent fait jusque là. Au contraire, les chanteurs pop peuvent revenir 100 ans de suite avec le même groupe, les mêmes concepts de chansons. Que voulez-vous, cela fait partie de la dynamique de marché des festivals. Mais moi, je veux me renouveler. Ce n’est pas seulement une question d’envie, c’est aussi une histoire de fraîcheur musicale. Je suis un chercheur… et c’est peut-être cela qui me rapproche de l’art brut.

Propos recueillis par Frank Dayen