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Christina Pluhar et l’Arpeggiata
Entretien : Christina Pluhar

Quelques questions à Christina Pluhar & commentaires au sujet de son nouveau CD et du récital lucernois.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 16 décembre 2011

par Emmanuèle RUEGGER

Après la parution d’un CD qui a soulevé l’enthousiasme dans le monde de la musique ancienne, « Teatro d’Amore », Christina Pluhar récidive avec son ensemble l’Arpeggiata et propose une « Via crucis » originale. Nous lui avons posé quelques questions.

Vous aviez une formation de guitariste classique, puis vous vous êtes mise au théorbe. Pourquoi ce changement ?
Ch. P. : Arrivée à l’âge de 19 ans, j’avais l’impression qu’il n’y avait plus de littérature. Alors, je me suis intéressée à la musique ancienne. J’ai interprété Bach et Dowland sur la guitare. J’ai ensuite joué du luth puis du théorbe. Je pouvais être plus créative avec cet instrument. J’aime aussi faire découvrir la littérature inconnue.

Pourquoi avoir fondé l’Arpeggiata ?
C’est venu naturellement. J’ai participé à plusieurs projets et le moment venu, j’ai eu la volonté de créer mes propres projets. Cela fait dix ans maintenant que nous travaillons ensemble.

Christina Pluhar
© Jeremie Hall

Vous avez grandi en Autriche, avant de suivre votre formation aux Pays-Bas et en Suisse. Pourquoi avez-vous choisi de vous établir en France ?
J’ai quitté l’Autriche à l’âge de 19 ans, je suis allée à La Haye (où j’enseigne maintenant) puis à Bâle, à la Schola Cantorum Basiliensis. A la fin de mes études, j’ai beaucoup joué en France, où la pratique de la musique ancienne était beaucoup plus développée qu’en Autriche.

Comment avez-vous commencé de collaborer avec Philippe Jaroussky ?
Je connais Philippe Jaroussky depuis qu’il a 19 ans. Avant de faire des disques, nous avons travaillé ensemble à un projet sur des opéras de Monteverdi. J’étais continuiste. Nous avons fait connaissance pendant la tournée de ce spectacle.

Comment vous est venue l’idée de créer « Via crucis », votre « sacra rappresentazione » comme vous l’appelez ? Votre motivation est-elle purement musicale ou avez-vous aussi un intérêt théologique ?
L’intérêt est d’abord musical, mais les textes sont magnifiques. C’est difficile de ne pas être touché par cette musique. Elle a une force particulière.

Pourquoi avez-vous mêlé à votre « sacra rappresentazione » baroque des chants traditionnels corses et italiens ?
J’ai fait des recherches et on trouve encore aujourd’hui une tradition des sacre rappresentazioni. C’est resté vivant. J’appelle les musiciens et chanteurs qui ont gardé cette tradition qui remonte à l’époque baroque des « baroquistes ».

Festival de Lucerne en été 2010 : L’ensemble L’Arpeggiata, sous la direction de Christina Pluhar avec la soprano Nuria Rial et le contre-ténor Philippe Jaroussky.
Photo Peter Fischli / Lucerne Festival

Vous avez donné le « Teatro d’amore » au Festival de Lucerne. Pourquoi avoir choisi d’associer divers compositeurs du premier âge baroque au lieu de vous limiter à Monteverdi comme dans le CD ?
Pour faire le disque j’avais à disposition dix chanteurs de tessitures diverses. A Lucerne, la formation était plus restreinte avec comme chanteurs Philippe Jaroussky et Nuria Rial.
Mais cela nous donne la possibilité de savourer les différences entre les compositeurs.

Propos recueillis par Emmanuèle Rüegger

Nouveau CD : Via crucis


Christina Pluhar appelle cette « Via crucis » une sacra rappresentazione, parce que son sujet est la rédemption de l’humanité par la passion du Christ, sujet déjà des mystères au Moyen âge, et des spectacles religieux justement à la renaissance et à l’âge baroque en Italie. Le disque est articulé en trois parties : Marie, la ßmort du Christ et la résurrection.

couverture via crucis

La première partie, qui consiste essentiellement en berceuses, est encadrée de façon très classique par deux pièces instrumentales extraites de l’Annonciation de Heinrich Ignaz Franz von Biber. Les arrangements de la Ninna nanna al Bambin Giesù (anonyme) et de Maria (création contemporaine du groupe corse Barbara Futuna) sont de Christina Pluhar. La berceuse de Tarquinio Merula (1638) est agrémentée d’harmonies contemporaines, dissonantes, un élément typique chez Pluhar. La beauté de la Ninna nanna al Bambin Giesù est pleinement rendue par la voix de Philippe Jaroussky, celle de la berceuse de Merula par la voix de la soprano Nuria Rial.
La deuxième partie suit la chronologie des Evangiles. Le Christ saigne (Lumi potete piangere, Giovanni Legrenzi, 1626-1690 et Suda sangue, traditionnel corse), est couronné d’épines (Queste pungente spine, de Benedetto Ferrari, 1603-1681) est crucifié (Stabat mater, traditionnel corse, suivi de Stabat mater de Giovanni Felice Sances, 1600-1679) et mis au tombeau (Lamentu du Ghjesu de l’Ensemble Tavagna). Les arrangements des compositions de l’époque baroque sont de Christina Pluhar. Philippe Jaroussky et Nuria Rial se partagent les chants. Ils interprètent ensemble Lumi potete piangere.
Le thème de la troisième partie est la joie. Joie exprimée d’abord par une Ciaccona de Tarquinio Merula (1637) puis par le Laudate Dominum de Monteverdi, interprété par Nuria Rial. Suit une danse de Lorenzo Allegri, le Canario (1618). L’auteur de la Ciaccona di Paradiso e dell’Inferno, un genre qui a ses racines au Moyen âge, reste inconnu. Elle fut imprimée en 1677 à Milan. Philippe Jaroussky (le paradis) dialogue avec le baryton Fulvio Bettini (l’enfer). Et pour finir, le tenorino napoletano Vincenzo Capezzuto chante qu’il faut « essayer d’être heureux » sur une tarentelle traditionnelle.
Par la qualité des musiciens de l’Arpeggiata et par l’excellence des voix des chanteurs, ce disque original se montre à la hauteur des attentes de ceux qui ont aimé le Teatro d’Amore.

Teatro d’Amore à Lucerne


Comme le Lucerne Festival, intitulé Eros cette année, avait pour thème l’amour, le Teatro d’Amore et ses belles complaintes d’amoureux transis, principalement de Claudio Monteverdi, y avait évidemment sa place. Philippe Jaroussky et Nuria Rial étaient accompagnés par Christina Pluhar (théorbe et direction) et l’Arpeggiata.
L’Arpeggiata sonne bien au disque, mais sur le vif, ils sont encore plus enthousiasmants ! A Lucerne ils étaient au nombre de huit, tous des musiciens hors pairs. Et la façon de Christina Pluhar d’interpréter Monteverdi, révélait combien il est moderne, voire jazzy. C’est bien simple, quand l’Arpeggiata s’est livrée à l’improvisation, il régnait une atmosphère de jam session. Et pourtant, c’était de la pure musique baroque !

couverture teatro d’amore

On ne présente plus le contre-ténor Philippe Jaroussky qui malgré son jeune âge (la trentaine) jouit d’une solide réputation comme interprète de musique baroque, particulièrement de Monteverdi. Par sa voix exceptionnelle et sa présence sur scène, il représente la star du Teatro d’Amore. A Lucerne, il était attendu dans le « tube », Ohimè ch’io cado, et d’autres airs de Monteverdi. Ce fut un grand succès. Il a aussi conquis le public en bis, par sa variation libre et comique dudit tube. L’Arpeggiata aussi s’en est donné à cœur joie à cette occasion, avec une mention particulière au cornettiste Doron Sherwin qui a associé des standards de jazz à Monteverdi. Ce moment de liesse générale n’a cependant pas fait oublier le Jaroussky solennel, notamment du très beau Stabat mater de Giovanni Felice Sances.
Nuria Rial qui chantait déjà sur le CD est dotée également d’une voix remarquable. A Lucerne la soprano catalane a interprété avec grâce le madrigal de Monteverdi Chiome d’oro.
A plusieurs reprises, Philippe Jaroussky et Nuria Rial ont chanté ensemble, leurs voix s’alliant fort bien. Ainsi pour le célèbre air Zefiro torna, toujours de Monteverdi, qui clôturait en beauté un concert qui nous a rempli d’enthousiasme.

Emmanuèle Rüegger

Les CD « Teatro d’Amore » et « Via Crucis » sont parus chez Virgin Classics.