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A Cully et environs
Cully Jazz Festival, Cuvée 2008 : un cru grandiose

La Cuvée 2008 du Cully Jazz Festival aura lieu du 4 au 12 avril, et l’affiche est prometteuse.

Article mis en ligne le avril 2008
dernière modification le 27 avril 2008

par Frank DAYEN

Cully, ses vignes, son patrimoine du Lavaux à l’UNESCO, ses Davel et Ramuz, et son Festival de Jazz. La 26 édition d’icelui est l’occasion pour Scènes de revenir sur les spécificités de ce petit festival qui attire pourtant, depuis plus d’un quart de siècle, les plus grands. A l’ombre de son aîné Montreux Jazz voisin, sur lequel il a pu un peu compter à ses débuts, Cully sait désormais briller tout seul. Benoît Frund, enfant du pays, membre du comité depuis 14 ans et actuel président du comité du Cully Jazz, retrace l’histoire d’un coup d’éclat

I. Les origines

Que manque-t-il à ce tranquille petit village au bord du lac pour s’ébrouer un tantinet ? A cette question, quelques gamins du coin répondent en organisant une soirée musicale jazz. Car ce groupe de jeunes Culliérans, Emmanuel Gétaz en tête, s’avèrent férus de jazz. En 1983, deux soirs lui sont dédiés. Tous les concerts ont lieu dans la mythique salle Davel, du nom de celui à qui les Vaudois doivent le début de leur révolte contre les Bernois envahisseurs. Douze ans plus tard, un incendie enflamme ce patrimoine historique centenaire, menaçant le fort lien Cully-Davel et ce qui commençait à devenir un festival de réputation régionale. Notre festival était programmé en mars de l’année suivante, explique Benoît Frund, actuel président du Cully Jazz Festival, et il nous fallait trouver rapidement un endroit pour recevoir nos artistes. Fort de son assurance, le comité du festival assure qu’il construira un chapiteau temporaire, ce que la commune accepté, alors que nous n’avions pas les sous pour cela. Nous avons en quelque sorte fixé l’objectif avant de réaliser sa viabilité ! Mise au pied du mur, la municipalité nous a suivi, et le festival a pu coloniser le bord du lac, jusqu’alors très peu utilisé.

Benoît Frund, président du comité du Cully Jazz Festival

L’acquisition du chapiteau permet de passer de 300 à 600 places (aujourd’hui 800 assises et 1200 debout !). Et la salle Davel ? La commune nous a autorisé à employer la salle Davel, ruine sans toit, pour en faire un bar, ajoute Benoît Frund, fier de ce coup. Avec ses murs noirs de suie, il est devenu un bar qui a apporté une nouvelle dimension au festival car de nombreux DJ apprécient l’incongruité de cette scène. Il faut attendre 1998 pour que la salle Davel soit reconstruite, mais pas question d’abandonner le chapiteau. Le Cully Jazz dispose aujourd’hui de deux scènes importantes (Chapiteau et salle Next Step), que complètent, pour la partie "Off" du festival, une vingtaine de caveaux villageois, totalement gérés par le festival, et le temple, où se donnent les concerts acoustiques.

II. Les artistes font la queue

Si le festival reconnaît que la proximité du Montreux Jazz l’a aidé à démarrer (en facilitant la rencontres des artistes), aujourd’hui ce n’est de loin plus le cas. Nous volons désormais de nos propres ailes, affirme Benoît Frund, qui, en 2002, a pris le témoin du premier président Emmanuel Gétaz (ensuite passé au Montreux Jazz, puis aux Docks de Lausanne). Aujourd’hui, sans nous vanter, nous n’avons plus besoin d’aller draguer les artistes. Ce sont eux qui demandent à venir ou revenir à Cully. Par exemple, le pianiste américain favori de Miles Davis Ahmad Jamal. C’est la 3 ou 4e fois qu’il revient à Cully et c’est lui qui a demandé à ce que sa tournée passe par le Lavaux (le 7 avril) ! Ou bien Charles Lloyd, ténor sax qui a joué aux côtés de B. B. King, qui ne propose dans sa tournée qu’un seul concert en Europe et qui a souhaité le faire à Cully le mercredi 9, autour de sa date d’anniversaire (70 ans).
Un autre artiste noir américain avait réussi à faire exactement coïncider son anniversaire avec un concert chez nous, c’était Randy Weston. Et lorsqu’on lui demande les raisons qui poussent ces stars à venir à Cully, Benoît Frund répond du tac au tac : Notre site exceptionnel, désormais classé au patrimoine mondial ! Mais il continue, plus pragmatique : D’abord, les artistes parlent beaucoup entre eux et il arrive, à l’instar de Michel Petrucciani, qu’ils fassent eux-mêmes de la publicité pour nous. Ensuite, les artistes nous font souvent remarquer que le public de Cully est spécifique et que son écoute et sa réceptivité sont différentes d’ailleurs. Enfin, ils apprécient notre côté petit festival de passionnés, notre organisation basée entièrement sur le bénévolat – ce qui s’avère de plus en plus difficile pour nous car notre festival devient un grand bateau, et les dix membres du comité bénévoles aimerions au moins pouvoir bénéficier d’une administration à temps plein – et l’ambiance de copains qui en découle. Benoît Frund relève encore l’attachement de la population à la manifestation, l’accueil à bras ouvert des vignerons dans leurs caveaux, et la bonne collaboration avec la commune et la municipalité…

Ambiance au Caveau des Vignerons, Cully Jazz

III. La programmation

Notre ambition est artistique, répond Benoît Frund. Il s’agit de donner une image de ce qu’est le jazz aujourd’hui : une musique ouverte, qui porte des influences de plein d’autres musiques et qui, à son tour, influence d’autres musiques... Le fil rouge cette année est sans doute la place réservée aux poètes, aux mots jazz. Ainsi la soirée blues du 5 avril où Mighty Mo Rodgers, farouche défenderesse de la cause afro-américaine, lancera son blues et ses negro spirituals à l’unisson de l’Amérindienne non moins engagée Pura Fé. Avec Paolo Fresu et ses musiciens compatriotes, Gianmaria Testa, qui a longtemps hésité entre son emploi de chef de train sur la ligne Piémont-Vintimille et sa passion pour la musique, rendra hommage à Léo Ferre le 6 : pour une fois, ce sont des non-francophones qui ont souhaité rendre hommage à notre poète. Plus petite que le chapiteau, la salle du Next Step recevra un jeune rappeur belge d’origine congolaise, Balojl, dont les textes évoquent sa double identité (le 9). Nous ne sommes pas des fans de rap, mais force est de constater que l’origine du rap est le blues. Nya livrera son projet le 11, cette fois sans Eric Truffaz (le 11 au Chapiteau) ni Silent Majority, tandis que retentira, le 5, la très belle voix de Mina Agossi, chanteuse à la Jeanne Lee. Le Genevois Leo Tardin reviendra de New York avec des chanteurs de poésie le même soir que The Last Poets (qui jouaient avec Archie Shepp (le 8 au Chapiteau) et les Black Power), qui ne se reforment que pour deux concerts en Europe, l’un à Paris, l’autre… à Cully.
Côté Chapiteau, le trio new-yorkais Medeski, Martin & Wood bénéficiera – on l’espère - d’un meilleur son qu’au Casino du Montreux Jazz (le 4). Charles Lloyd fait un détour du Japon pour gagner sa Californie par Cully (seule date en Europe ; le 9) : il lui fallait un pianiste, c’est Jason Morane qui l’accompagnera. Cully aura réuni toute la section cuivre de James Brown en proposant Pee Wee Ellis et Fred Wesley ; seul Maceo Parker, qui s’est déjà produit au Cully Jazz, manquera (le 10). Enfin, le 11, Eric Truffaz (lire son interview dans notre édition d’octobre) pourra réaliser son projet indien avec le Veveysan Malcom Braff animateur quotidien des jams au Caveau des vignerons.
Non, décidément, le Cully Jazz n’a plus à envier le Montreux Jazz.

Propos recueillis par Frank Dayen

Cully Jazz Festival, du 4 au 12 avril, www.cullyjazz.ch.