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Concours de Genève 2007
Concours de Genève : Entretien avec Evgeni Petrov

Portrait du clarinettiste Evgeni Petrov à l’occasion de sa participation au jury du Concours de Genève.

Article mis en ligne le octobre 2007
dernière modification le 22 octobre 2007

par Julien LAMBERT

Le prochain concours de Genève, du 1er au 15 octobre 2007, confrontera de jeunes talents dans les domaines du chant et de la clarinette. Lauréat d’un deuxième prix en 1990 alors qu’il n’avait que dix-huit ans, le clarinettiste Evgeni Petrov fera cette année partie du jury. Il nous a accueillis dans son appartement familial moscovite de la « Chaussée des enthousiastes ». Compte-rendu d’une discussion enthousiaste autour de la clarinette, du Concours, d’un café et de biscuits russes…

Quels souvenirs gardez-vous du concours de Genève auquel vous aviez participé en 1990 ? Vous attendiez-vous à remporter ce deuxième prix ?
Pas du tout ! J’avais dix-huit ans, je venais de finir l’école de musique et d’entrer au conservatoire ; trois mois plus tard j’arrivais à Genève, après un éliminatoire en Union soviétique qui m’a permis de bénéficier d’un financement nécessaire. Sachant que c’était un concours sérieux, un des plus importants pour la clarinette, je me suis très bien préparé avec mon professeur, Sokolov, un des meilleurs ; je ne pensais pas à la finale, mais j’ai bien joué tout simplement !

Et que retirez-vous aujourd’hui de ce succès ? De tels concours sont-ils importants pour les musiciens ?
La confrontation à d’autres n’est pas un but en soi, c’est un moyen. Je pense qu’un musicien peut tout aussi bien faire toute sa carrière en Russie, mais les concours aident à se faire une situation : j’enseigne moi-même depuis treize ans, grâce à celui de Genève. D’ailleurs, deux de mes élèves, Valentin Ourioupine et Mikhail Biznossov, participeront cette année.

Et quels sont les intérêts pour vous à faire aujourd’hui partie du jury ?
Outre le plaisir de revoir les jurés que je connais déjà, dont certains m’ont évalué en 1990, je vais faire de nouvelles connaissances, écouter de nouveaux musiciens talentueux, distinguer de nouvelles individualités fortes. Mais surtout, je veux permettre aux plus talentueux de tracer leur chemin. Les concours réellement objectifs sont rares, et je veux participer à donner les moyens à celui-ci de le devenir.

Voulez-vous dire que certains jurés ne sont pas impartiaux ? C’est incroyable non ?
Oui, tout membre du jury devrait se fixer pour tâche de toucher à l’objectivité, mais certains professeurs essaient d’avantager leurs propres élèves. C’est grave, car cela empêche le destin de ceux qui le méritent vraiment de se réaliser, ce qui est mauvais pour l’instrument en fin de compte.

Evgeni Petrov

Comment expliquer un tel manque de scrupules ?
C’est une question d’ordre psychologique, car pour pousser son élève en finale, un professeur doit se fabriquer des arguments qui lui prouvent qu’il est bel et bien le meilleur. Il y a certainement là-dedans une part d’inconscient : pour dormir sur ses deux oreilles, un tel juré doit d’abord se convaincre lui-même des qualités de ses élèves. J’étais heureux d’ailleurs que les miens aient reçu des prix lors de concours où je ne faisais pas partie du jury, ainsi je suis sûr qu’ils le méritent et n’ai pas à affronter de rumeurs.
Voilà selon moi le problème des concours, pourtant on ne voudrait pas risquer par une interdiction de perdre soit des jurés éminents, soit de bons candidats ! C’est pourquoi j’espère que les pédagogues ont l’interdiction de donner des notes à leurs propres élèves.

Quels critères sont déterminants dans votre évaluation d’un clarinettiste ?
Outre la justesse, je privilégie la qualité du son, l’intelligence musicale, la sensation du style, le phrasé. Il est en outre capital de se démarquer par une forte individualité.

Peut-on parler d’une école russe de la clarinette, d’une façon particulière, nationale, d’en jouer ou de l’enseigner ?
Dur à dire : au Concours de Genève en 1990, j’ai remarqué de bons, de faibles instrumentistes, mais pas de particularités nationales. Aujourd’hui les musiciens voyagent énormément, et ce sont plutôt les caractéristiques des grands professeurs internationaux qui se répercutent, puisque chacun essaye de transmettre sa propre sensibilité, ou ses méthodes.

Dans la conception du grand public, la clarinette appartient moins au registre classique qu’à celui des musiques colorées, tzigane ou klezmer en particulier : peut-on envisager des métissages ?
Oui, le compositeur russe Rosenblatt a par exemple écrit sur le thème de Carmen des fantaisies qui mêlent classique et jazz ; Sorossaty a retranscrit pour la clarinette des chants tziganes originalement prévus pour le violon. Le mélange des styles est intéressant pour les musiciens comme pour le public, il permet de produire de nouvelles avant-gardes.

Que dire des conditions de vie et de jeu des musiciens en Russie actuellement ?
Les salaires sont bas : si de telles conditions prévalent encore longtemps, bien des musiciens chercheront du travail dans d’autres domaines. La situation est surtout inquiétante en province. À Moscou et Saint-Pétersbourg, certains orchestres reçoivent un financement du président, qui a aussi créé un prix, le maire de Moscou soutient des écoles et le violoniste Spivakov a créé un fond international, des bourses et il offre des instruments à des enfants. C’est pourquoi le nombre d’orchestres augmente et les conditions s’améliorent malgré tout dans la capitale. Heureusement que des particuliers financent un peu la musique, car le gouvernement est loin de soutenir tous les musiciens.

Propos recueillis et traduits du russe par Julien Lambert