Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Entretien : François Marin
Article mis en ligne le octobre 2007
dernière modification le 22 octobre 2007

par Laurent CENNAMO

Au théâtre du Crochetan (Monthey) les 4, 5 et 6 octobre prochain, la Compagnie Marin présente en création française la pièce de Roberto Alvim Il faut parfois se servir d’un poignard pour se frayer un chemin. François Marin, metteur en scène et fondateur de la compagnie, nous parle d’un spectacle qui partira ensuite en tournée en Suisse Romande.

En effet, après son passage au Crochetan, il sera possible de voir ou de revoir la pièce sulfureuse de Roberto Alvim au Théâtre de Valère (le 10 octobre), à l’Alambic (Martigny, les 12 et 13 octobre), ainsi qu’au Pulloff Théâtres à Lausanne (du 23 octobre au 11 novembre).
En plus de son activité au sein de la compagnie qu’il a créée en 1994, François Marin est également directeur artistique du Théâtre de Valère à Sion.

Parlez-nous de la Compagnie Marin. Quelles sont vos orientations artistiques ? La compagnie bénéficie-t-elle de soutiens ?
Nous nous consacrons presque exclusivement aux écritures contemporaines, à des textes édités durant les deux ou trois dernières années. Chaque année, nous lisons une septantaine de textes dramatiques d’horizons divers ; nous choisissons ceux qui nous touchent, ceux qui traitent du monde contemporain d’une manière qui nous semble à la fois juste et singulière. Nous avons ainsi monté par le passé des textes de Jacques Probst, Jérôme Meizoz, entre autres, ainsi que les premiers textes de Noëlle Revaz, antérieurs à Rapport aux bêtes. Le bonheur du vent de Catherine Anne que nous avons créé en 2004 a été joué plus de soixante fois dans toute la Suisse Romande, une grande satisfaction pour nous. Notre dernier spectacle pour jeune public, Le pays des Genoux de Geneviève Billette, a lui aussi connu un joli succès. La Compagnie Marin s’est vue attribuer en 2001, et pour la deuxième fois en 2005, un Contrat de confiance de la part de l’Etat de Vaud. Depuis 2002, nous avons ainsi la chance d’avoir une tournée de 25 à 60 dates pour chaque spectacle, ceci sur trois cantons au minimum.
En parallèle aux créations théâtrales, la Compagnie Marin propose également depuis 2003 un cycle de lectures d’auteurs romands contemporains : C’est pour lire ! Nous organisons trois lectures cette année, des textes de Daniel De Roulet, Anne-Lise Grobéty et Catherine Safonoff.

Il faut parfois se servir d’un poignard pour se frayer un chemin

En octobre au Théâtre du Crochetan, vous mettez en scène une pièce de Roberto Alvim au titre étonnant : Il faut parfois se servir d’un poignard pour se frayer un chemin. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Ce qui nous a enthousiasmé dans la pièce de Roberto Alvim, c’est d’abord la puissance de l’écriture, son caractère énergétique, très dynamique. L’humour de la pièce nous a également attiré, ainsi que la triple thématique du lien entre le politique et l’économique, du terrorisme et de la « starification ». Il s’agit d’un drôle d’objet, violent, rapide, proche du zapping ; ambigu aussi : le titre hésite entre une critique et une légitimation de l’action terroriste… La pièce raconte avec un humour décalé et une bonne dose de cynisme une action qui se déroule dans le tranquille Brésil de 2003 : la création et les errances d’un mouvement terroriste - appelé paradoxalement « Club Mickey » - dont le projet révolutionnaire est d’assassiner dix personnalités du Show Business. Ce mouvement terroriste est créé par le gouvernement lui-même afin de relancer une économie en stagnation, il s’agit d’une sorte d’action médiatique. La pièce décrit avec beaucoup d’ironie les « valeurs » contemporaines, pose une réflexion sur le culte de la célébrité et sur les formes que peuvent prendre les révolutions d’aujourd’hui.

Pour quel type de mise en scène avez-vous opté ? Comment rester fidèle à l’écriture « énergétique » de la pièce de Roberto Alvim ?
La rapidité dans la succession et l’enchaînement des séquences ainsi que le nombre impressionnant des personnages (25) rend toute approche réaliste impossible. Tout réalisme psychologique serait ici aberrant, totalement inintéressant. L’énergie de l’écriture ainsi que la clarté des scènes nous ont poussé à opter pour une approche épique du texte, une théâtralité de narration. Sept comédiens interpréteront chacun plusieurs rôles. Pas de décor réaliste donc, mais un espace de jeu abstrait, une esthétique très dépouillée. Comme pour nos projets précédents, la scénographe Elissa Bier nous proposera un espace ouvert, dans lequel seront mis en circulation uniquement les accessoires nécessaires, ceci afin d’atteindre une plus grande force d’évocation poétique. Un système de portes coulissantes, le jeu des lumières ainsi que la projection de diapositives contre les murs entièrement bleus nous permettront de rendre ce côté zapping qui se dégage de l’écriture d’Alvim. Le jeu des comédiens - la rapidité des entrées et des sorties - accentuera encore ce sentiment de circulation rapide.

La violence, la révolution, la question de la résistance à un système oppressif : autant de thématiques qui transparaissaient déjà dans vos précédentes créations.
Le rapport de l’individu au collectif, le rapport à l’Histoire sont des thèmes qui m’intéressent profondément, je devrais même dire que ce sont des thèmes qui m’obsèdent… Ils étaient déjà au cœur de la première pièce que nous avons créée, La septième Vallée de Jacques Probst : un écrivain jetait sa machine à écrire, il s’agissait d’une révolution impossible. Dans Slaves ! de Tony Kushner que nous avions monté en 2001 au théâtre de l’Arsenic, l’interrogation était la même : que faire face à cette société ? La détruire ? Espérer une possible transformation ? L’amorcer ? Dans Le Pays des genoux de Geneviève Billette, un personnage prône la désobéissance : « Tu vois, Sarah ? C’est seulement pour ça que je désobéis. Pour ne pas étouffer ». Ces paroles trouvent un écho singulier chez Roberto Alvim. L’univers des protagonistes est peuplé du monde de l’enfance, comme le prouve le choix du nom de la cellule révolutionnaire qu’ils décident de fonder : Club Mickey. Ces enfants de la classe moyenne brésilienne ne cherchent plus à fuir, mais bien à détruire une société qui les étouffe. Un personnage dit ceci : « Le système actuel n’est pas odieux pour nous, il est insupportable pour n’importe qui de véritablement vivant ». Et le texte se termine de la manière suivante : « Tu penses que l’on peut faire la révolution pour les autres ? ». Ces problématiques m’interpellent. La vision de Roberto Alvim face à l’Histoire et à la révolution est cynique, désespérée même ; elle dit bien cependant un état du monde, décrit bien une génération qui face à la dureté du monde économique actuel et en l’absence d’une pensée globale adopte souvent une attitude nihiliste.

Propos recueillis par Laurent Cennamo

www.compagniemarin.ch