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Scènes lyriques parisiennes
Paris, Opéra : Bonne “Etoile“
Article mis en ligne le février 2008
dernière modification le 2 février 2008

par Pierre-René SERNA

C’est la nouveauté et la bonne nouvelle de la saison lyrique parisienne : l’Opéra-Comique rouvre. Ou plutôt renaît, après de tristes années qui ont presque mis en péril sa survivance.

Il faut savoir que le théâtre possède, outre une magnifique salle historique et l’une des meilleures acoustiques de Paris, une longue tradition de répertoire spécifique : l’opéra-comique précisément. Ceci pour signifier que la programmation annoncée, qui entend renouer avec ce répertoire largement délaissé, est des plus encourageantes (voir l’entretien avec Jérôme Deschamps dans le précédent numéro de Scènes Magazine). Pour inaugurer cette nouvelle politique lyrique, absolument unique en France, l’Étoile ouvre le ban.
En l’occurrence l’œuvre de Chabrier n’est pas exactement un opéra-comique, mais plutôt un opéra-bouffe, dont la farce forcenée porte l’influence de l’époque, en 1877, et signe déjà une certaine décadence du genre. Mais cela répond bien à la politique de redécouvertes que s’assigne désormais le théâtre. D’autant que l’Étoile, admirée en son temps par Richard Strauss ou Mahler, offre une musique jamais en reste d’inventions, sur un charmant canevas ébouriffé (la fable d’un roi qui refuse de mourir). John Eliot Gardiner fut à l’origine de sa résurrection, il y a une quinzaine d’années, à l’Opéra de Lyon. Il est à l’Opéra-Comique le maître d’œuvre. Pour dire que le meilleur est ici au service de l’ouvrage : l’Orchestre révolutionnaire et romantique, un plateau vocal bien distribué et une mise en scène élégamment divertissante. Celle-ci revient à Macha Makaïeff qui utilise des toiles peintes à la mode ancienne et des situations bien campées, pour un délire irrésistible. Jean-Luc Viala, Stéphanie d’Oustrac ou Anne-Catherine Gillet délivrent leurs rôles pétillants sans faillir, tant vocalement que scéniquement. Mais ce sont les forces musicales de Gardiner, son Monteverdi Choir et les instruments d’époque, qui portent le tout, avec la battue experte du chef, à un souffle imparable, servi par une acoustique incomparable.

L’Etoile à l’Opéra Comique. Crédit : Eric Mahoudeau / Opéra national de Paris

Le miracle de Sant’Alessio
On pourrait presque parler de révolution pour Il Sant’Alessio, de Stefano Landi (1587-1639), tel qu’il est présenté au Théâtre des Champs-Élysées. La partie musicale, à charge de William Christie et de ses Arts florissants, vise à la restitution des voix comme en 1632, sur les scènes lyriques romaines ; c’est-à-dire sans émission féminine. À défaut de castrats, difficiles à glaner de nos jours, les rôles aigus se répartissent donc entre des contre-ténors, pour certains travestis. Les chœurs ajoutent le chant sans mue d’enfants. Et ce monde masculin exclusif, avec rien moins que huit contre-ténors, remplit sa tâche au mieux : Philippe Jaroussky (Sant’Alessio) et Max Emanuel Cencic (son Épouse) se confirment parmi les meilleurs ambassadeurs de ces tessitures. Damien Guillon, Pascal Bertin, José Lemos, Jean-Paul Bonnevalle, Terry Wey et Xavier Sabata, complètent le tableau de façon la plus idoine. Rare basse (dans le rôle du Père), Alain Buet relève fermement le défi.
Des instruments parcellaires (un continuo complété d’une poignée de musiciens) et la battue stricte de Christie concourent à la même couleur désincarnée, conforme certainement à l’esprit de l’œuvre (et son livret religieux, et ses anges convoqués en foule). Côté scène, c’est pareillement le chambardement. Benjamin Lazar doit sa singularité, et une célébrité méritée, à son retour méticuleux aux coutumes théâtrales d’époque. Des costumes bariolés à la mode du XVIIe siècle italien, des gestes et postures typés, sont ainsi placés sous l’éclairage de bougies. De vraies bougies ! qui forment les feux de la rampe ou allument quelques candélabres. Avec ses mouvements et couleurs ombrés, le plateau semble d’un Caravage animé. Un enchantement. Quant au style musical de Landi, il évoquerait celui de son contemporain Monteverdi, sans toujours l’inspiration ni surtout le génie. La révélation ne peut être totale.

Il Sant’Alessio, Acte III, au Théâtre des Champs-Elysées

Tannhäuser de grèves
Durant près de trois mois, l’Opéra de Paris a subi des grèves qui ont largement compromis sa programmation. Entre annulations et versions de concert ou semi-scéniques, les représentations d’opéra ou de ballet se sont réduites.

Tannhäuser à Bastille
Avec Eva-Maria Westbroek (Elisabeth) Matthias Goerne (Wolfram von Eschenbach). Crédit : Eric Mahoudeau / Opéra national de Paris.

Grand événement de la saison à Bastille, Tannhäuser, conçu par Robert Carsen et dirigé par Seiji Ozawa, n’y échappe pas. Le spectacle est ainsi limité à la participation des chanteurs et du chœur, en costumes de scène (d’une époque actuelle, dans des tonalités grises harmonieuses), des mouvements précis – cela oui ! – mais sans autre décor qu’une lyre perdue au centre du vaste et vide plateau. Mais paradoxalement tout se révèle magistral. Une soirée lyrique comme il y en a peu. Sous la direction savante et ferme d’Ozawa, l’orchestre s’enflamme. Les chœurs, ceux de l’Opéra de Paris habituellement flottants, sont parcourus du même feux.
Et le plateau vocal suit. Eva-Maria Westbroek est une Elisabeth de voix pleine, éminemment lyrique. Béatrice Uria-Monzon offre à Venus sa présence quasi érotique et son chant ample. Stephen Gould s’attaque au rôle-titre sans trop de nuances et quelques notes criées, mais avec une expression franche qui donne du poids à son monologue du troisième acte. Néanmoins, c’est à Matthias Goerne que revient la palme du concours de chant, Wolfram d’émission subtile et de phrasé dominé, qui fait un lied de chacune de ses apparitions. On aimerait Wagner ainsi toujours chanté ! sans les ports de voix trop habituels à ce répertoire. Avec ces ingrédients, et en dépit de l’absence de régie, ou alors pour ce motif, Tannhäuser en paraît presque neuf. Et se perçoit combien le Ring, les Maîtres chanteurs, Tristan et, bien sûr, Parsifal sont en germe, dans mille détails dramaturgiques ou musicaux qui ne seront plus tard qu’une réplique élargie.

Alcina, Ariane et autres Aventures
Alcina est pareillement cantonné, à Garnier, à une sorte de concert animé. De naguère la mise en scène de Carsen, ne restent que les mouvements et les costumes, suffisamment éloquents d’ailleurs. Mais musicalement, ce n’est pas l’éblouissement. On retiendra le style parfait d’Olga Pasichnyk, face aux efforts moins convaincants d’Emma Bell, Vasselina Kasarova ou Sonia Prina. Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus distillent de leur côté un Haendel quelque peu édulcoré.

Aventures à Bastille
Avec Jody Pod et Paul-Alexandre Dubois. Crédits : Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Aventures et Nouvelles Aventures, deux œuvres de la période rude de Ligeti, occupent l’amphithéâtre de Bastille. Le spectacle séduit le public le plus exigeant qui soit, celui des enfants. Preuve de l’effet réussi d’une mise en scène bien pensée (par Charlotte Nessi) à partir de simples éclairages et quelques costumes parlants, de chanteurs et instrumentistes concernés et efficaces (dirigés par Denis Comtet).
Ariane de l’un… à l’Autre, c’est un monodrame lyrique qui réunit à la Péniche Opéra Marc Dumont (récitant et concepteur) et la toujours captivante soprano Françoise Masset. Jolie soirée, non sans humour, entre un fauteuil et une commode, et délicat parcours à travers les musiques suscitées par le mythe.

Orchestre de Paris : 40 ans
L’Orchestre de Paris a 40 ans. C’est le prétexte à une soirée festive à Pleyel, où le divertissement se fait un peu forcé, mais où la musique reprend ses droits avec une Suite du Chevalier à la rose de Strauss et un motet de Bruckner, servi par le chœur, ardemment menés par Christoph Eschenbach. Bon anniversaire !
Toujours à Pleyel, Gardiner présente un Brahms d’époque, avec ses attitrés Orchestre révolutionnaire et romantique et Monteverdi Choir. La démonstration convainc mal, de la part de celui qui a renouvelé tant de répertoires. À Bastille, entre deux grèves, Sylvain Cambreling rend pour sa part comme neufs Varèse ou Stravinsky, tout en révélant Jörg Widman, avec son magnifique Orchestre SWR de Baden et Freibourg.
La Légende de Sainte Elisabeth de Liszt, le Messie de Haendel : la première dans l’église du même nom à Paris, parfaitement transmise par le Chœur de Compostelle, Jacques Tourret et Didier Verdeille, le second à Gaveau, avec l’excellent chœur Arsis de Bourgogne, un Orchestre baroque de Séville qui excelle plus encore, mais une direction assez terne de Pierre Cao.

Pierre-René Serna