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Centre Pompidou
Paris : Kandinsky

Magnifique exposition à Beaubourg, qui permet de comprendre en profondeur l’œuvre de Kandinsky.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 18 août 2009

par Julien LAMBERT

D’une rare exhaustivité, l’exposition Kandinsky du Centre Pompidou accorde un intérêt égal aux différentes périodes de l’œuvre d’un des principaux passeurs vers l’abstrait. Elle le traite comme un ensemble homogène, faisant la part belle aux comparaisons formelles. Et aux qualités strictement esthétiques d’une peinture représentée par un nombre impressionnant de toiles maîtresses.

On comprend mieux une œuvre isolément, dans une exposition monographique que devant une toile d’une collection permanente, perdue dans le flux de l’Histoire de l’art. Voilà qui relève de la tautologie. Mais Kandinsky est sûrement de ceux qui demandent le plus expressément d’être ainsi considérés séparément.
Dans tous les grands musées du monde, l’irruption d’un Kandinsky en fin de visite est une comète bouleversante, dont on mesure pourtant rarement la queue et les scintillements tardifs. Les trous noirs, entrelacs frénétiques et amibes élastiques qui éclaboussent la toile valent pour eux-mêmes, bien entendu, mais rien ne serait plus faux que de comparer cette œuvre aux beautés intrinsèques d’autres abstractions, ou à la codification systématique du réel par un langage donné, comme celui des cubistes.

Un flux organique
En cela, l’exposition du Centre Pompidou s’avère on ne peut plus adaptée en vue d’aborder Kandinsky, non seulement parce qu’elle propose un parcours pléthorique exemplaire, mais surtout parce qu’elle le déploie sans sections ni stratifications inutiles, sans dispersions et digressions comparatistes, mais comme un flux irréductible et organique.
C’est par l’immersion dans ce flux que se comprend en profondeur l’œuvre du Russe et particulièrement la portée, la nécessité de cette abstraction-là. Et non par des explications et analyses dont le manque pourrait certes choquer, ou par les traités savants du maître, vite oubliés dans un méandre du parcours. Tout comme les œuvres graphiques, qui viennent simplement confirmer les acquis de la peinture et rappellent brièvement l’inscription de cet œuvre dans la société de son temps.
L’exposition de Beaubourg permet surtout de suivre en continu et sans ellipses la progression du peintre, dans des compositions invariablement grandes et ambitieuses, depuis le groupe expressionniste du Blaue Reiter au début du siècle, jusqu’à sa fuite du nazisme en France. Sans compartimentation, impossible de discerner de légendaire et fallacieuse phase de déclic ou d’aboutissement. S’il peut se trouver un peu perdu, dans un premier temps, dans cet immense labyrinthe blanc dont l’ouverture, malgré la chronologie passablement respectée, projette à sa vue des toiles de styles très différents, où l’espace ne cesse d’être pulvérisé puis réorganisé, en revanche le visiteur ne peut que se réjouir d’entendre des échos de figuration dans les toiles les plus parfaitement abstraites, de lire les plus figuratives comme des compositions abstraites.
L’approche des commissaires rend ainsi hommage à un œuvre résolument unifié. Car malgré son effort constant de réduction à une synthèse des formes, la peinture de Kandinsky est en effet traversée par une identité picturale de traits, de formes et surtout de couleurs, assez évidente. Exception faite de la dernière période, aux accents pop avant la lettre, qui se distingue un peu dans la visite proposée.

Fête de la peinture
Mais si un même esprit semble diriger les visions du folklore russe des débuts, les abstractions musicales, et enfin les Improvisations et Impressions qui semblent faire passerelle entre elles, c’est surtout parce que leur entremêlement et leur confrontation exaltent la similitude de leurs démarches.
Éloignées du cadre charmant du Lenbachhaus munichois qui souligne les aspects décoratifs des premiers expressionnistes, les scènes russes explosent comme des festivals de couleurs, dont l’organisation des formes vise moins à raconter une histoire qu’à composer une partition de rythmes et de contrastes, chaque signe ayant une valeur sensuelle réciproque, comme les barques, arcs et ovales des toiles abstraites.
À l’inverse, les formes lyriques plus tardives semblent entretenir le même type de tensions, jouir de la même immanence mystique que les personnages des « icônes » kandinskiennes. Paradoxalement, la jouissance intellectuelle que provoque une démonstration d’évolution picturale aussi intuitive et accessible n’empêche donc pas de laisser tomber cartels et biographies pour s’abandonner à une fête de la peinture et de l’inventivité, qui associe les collections majeures du Centre Pompidou, de la Städtische Galeire im Lenbachhaus et du Solomon R. Guggenheim Museum de New-York.

Julien Lambert

Exposition jusqu’au 10 août, Centre Pompidou, tlj sauf mardi de 11h à 21h.