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Film du mois No. 210 : “Séraphine“

Martin Provost raconte l’histoire d’une femme peintre avant-gardiste.

Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 20 février 2012

par Firouz Elisabeth PILLET

Séraphine


de Martin Provost, avec Yolande Moreau, Ulrich Tukur, Anne Bennent. France, 2007.

En 1913, le collectionneur allemand Wilhelm Uhde, premier acheteur de Picasso et découvreur du douanier Rousseau, loue un appartement à Senlis pour écrire et se reposer de sa vie parisienne. Il prend à son service une femme de ménage, Séraphine, 48 ans. Quelque temps plus tard, il remarque chez des notables locaux une petite toile peinte sur bois. Sa stupéfaction est grande d’apprendre que l’auteur n’est autre que Séraphine que la bonne société bourgeoise du village a tôt fait de railler. S’instaure alors une relation poignante et inattendue entre le marchand d’art d’avant-garde, critique reconnu, et la femme de ménage visionnaire qui a renoncé au voile pour s’adonner à sa passion picturale. Plus connue sous le nom de Séraphine de Senlis, cette femme peintre avant-gardiste est livrée au grand public de 1913, année de sa rencontre avec le collectionneur Wilhelm Uhde, à 1932, date de son internement à l’asile psychiatrique.
Issu du théâtre et anciennement comédien, le réalisateur Martin Provost signe avec Séraphine son troisième film, après Tortilla Y cinema (1997) et Le Ventre de Juliette. Le réalisateur a choisi d’être le plus proche possible de l’univers de Séraphine en optant pour une approche sobre et réaliste : décors dépouillés, pas de couleurs dominantes, aucun effet de style, très peu de mouvements de caméra. Le film s’ouvre sur une silhouette vue de dos que l’on suit dans ses pérégrinations à travers les champs, puis à l’église. La caméra révèle une femme, dans la cinquantaine bien portante, qui va de maison en maison proposer ses services comme femme de ménage, cuisinière. Entre deux employeurs, on la surprend en train de collecter des feuilles, des brindilles, de la cire de cierge, du sang dans une boucherie.

« Séraphine » de Martin Provost

Yolande Moreau, vue récemment dans Louise Michel, est connue pour son côté touche-à-tout ; elle est audacieuse dans le choix de ses personnages et le prouve à nouveau dans Séraphine. L’actrice porte le film sur ses épaules de bout en bout, incarnant en Séraphine une femme du peuple authentique et spontanée, qui a pourtant son jardin secret bien gardé à l’abri des médisances.
Rares sont les films où les acteurs parviennent à nous convaincre qu’ils savent tenir un pinceau. Peinture et septième art font difficilement bon ménage, et quand c’est le cas, cela reste gravé en nos mémoires : Dutronc dans Van Gogh, de Pialat. Piccoli dans La Belle Noiseuse, de Rivette. Il en va de même pour pour Yolande Moreau ici. Quand elle se réveille, un matin, allongée sur la toile qu’elle a terminée dans la nuit, sans presque en avoir conscience, on partage son hébétude et son étonnement devant la beauté de la toile achevée. Quand, du bout du doigt, Yolande Moreau arrondit d’un rouge carmin des pommes qui mûrissent sous nos yeux, on ne peut qu’y voir Séraphine de Senlis en pleine création. Moquée par ses contemporains, Séraphine se sent proche de la nature qui le lui rend bien, lui procurant ses plus belles sources d’inspiration : des tournesols dignes de Van Gogh, des grappes flottant dans une luxuriance flamboyante, un arbre descendu du ciel… Du ciel, tout comme l’inspiration de Séraphine qui narre à qui veut l’entendre qu’elle a reçu l’ordre de son ange gardien de quitter le couvent pour se consacrer à la peinture.
Inconnue du public, Séraphine de Senlis a pourtant bel et bien existé ; née en 1864, raillée par ses contemporains, internée, enterrée en 1942 dans une fosse commune…. Un destin aux oubliettes, dont le cinéaste a choisi de privilégié la rencontre avec le mécène. Quelques années de reconnaissance et de créativité artisitique, magnifiquement interprétées par Yolande Moreau et Ulrich Tukur, et qui sauront apporter une considération posthume à une artiste remarquable. L’actrice belge a, grâce à ce rôle, remporté le Valois de la Meilleure actrice au Festival d’Angoulême. Le film va d’ailleurs permettre l’organisation d’une exposition consacrée à Séraphine, plus de soixante ans après celle qu’Uhde (son mécène) avait organisée à la Galerie de France.

Firouz-Elisabeth Pillet