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Festival international du Film des Droits Humains
Entretien : Stéphane Hessel

Rencontre avec un homme qui œuvre sans relâche pour défendre la paix.

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 23 avril 2011

par Firouz Elisabeth PILLET

Ancien déporté, militant, diplomate et fervent défenseur des droits de l’homme, Stéphane Hessel, 94 ans, semble avoir été de tous les combats. Tout au long de sa vie il a participé à de nombreux chantiers pour la pacification. Qu’il s’agisse de la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en 1948 ou de défendre les sans papiers, Stéphane Hessel a toujours œuvré pour la paix, contre la misère et les injustices. Depuis plusieurs années, il a choisi de soutenir la cause des Palestiniens dans leur droit à l’indépendance et de dénoncer la politique d’Israël.

En mars, Stéphane Hessel était au Festival international du film des Droits Humains et est venu débattre de la thématique « L’Europe à la solde des populismes » qui a eu lieu après la projection du film « Ascenseur pour les fachos », co-réalisé par Barbara Conforti et Stéphane Lepetit. Stéphane Hessel est aussi présent dans tous journaux, sur tous les plateaux de télévision et sur toutes les ondes suite à la razzia qu’a suscité son manifeste « Indignez-vous », lequel connaît le succès en Allemagne et s’apprête à débarquer au Royaume-Uni. Par-delà les barrières et les frontières, Indignez-vous compte déjà plus de 1,4  millions d’exemplaires vendus en France (dont 500.000 en deux petits mois). Il est publié depuis deux semaines en Allemagne. En Espagne, il a atteint 55.000 exemplaires en cinq jours seulement.
En mars, un samedi soir à l’Alhambra – la salle est remplie jusqu’au moindre strapontin alors que la guichetière refuse du monde – se tenait l’une de soirées les plus enrichissantes du Festival du Film et Forum International sur les Droits Humains : le FIFDH.
Le thème de la soirée : l’Europe à la botte des populismes. Au programme : séance de projection d’un documentaire de l’agence Capa intitulé sans aucune forme d’orientation : Ascenseur pour les fachos. Véritable travail d’investigation traitant de la montée des partis, voire des mouvements d’extrême droite en Europe à travers les exemples très concrets et très inquiétants de la Suède, de l’Autriche, de l’Italie, de la Hongrie où les milices d’extrême droite participent officiellement aux gouvernements. Un film qui a bouleversé et inquiété Stéphane Hessel qui a traversé les horreurs du siècle dernier. Rencontre.

Stéphane Hessel
© Miguel Bueno

Que pensez-vous de l’Europe actuelle, vous qui avez participé à sa construction ?
Je suis né en 1917, donc en 39, j’avais vingt-deux ans quand la guerre a éclaté. J’ai rejoint les forces françaises du Général de Gaulle, à Londres. Je suis entré dans la résistance et j’ai été déporté à Buchenwald. J’ai échappé une première fois à la mort. Ma connaissance de l’allemand me permet d’être choisi pour une tâche particulière, en échange d’une tranche de saucisson comme ration journalière : la tâche en question consiste à transporter des masses de cadavres dans les fosses communes. Lors de mon transfert du camp vers Bergen-Belsen, j’échappe à nouveau à la Grande Faucheuse ; dans le train en marche, je démonte deux lattes du plancher et je m’enfuis. J’ai été présent à l’élaboration des textes constitutifs de l’Europe mais j’étais jeune, je n’y connaissais pas grand’chose ; toutefois aujourd’hui, on dit de moi que j’ai participé à la construction de l’Europe, cela me fait sourire. J’ai assisté à la confection à Genève et à New York, je n’y connaissais rien, ce sont les autres qui ont élaboré les textes.

Un des thématiques du FIFDH s’intitule « L’Europe à la botte des populismes » ;
Aujourd’hui encore, devant des problèmes qui ne sont plus les mêms que ceux que nous connaissions dans les années trente, et devant bien des dégradations des valeurs, je m’inquiète du renouveau que connaissent les mouvements populistes. Pour quelqu’un comme moi, qui a connu les drames et la haine provoqués par le fascisme, le national-socialisme, l’antisémitisme, c’est épouvantable. Quand quelque chose vous indigne comme j’ai été indigné par le nazisme, on devient alors militant.
En 39, on avait des illusions sur ce qui nous guettait. Ceux qui étaient lucides ont vite compris les risques de l’Allemagne qui nous menaçaient.
Nous, les Résistants, avions pris comme valeurs le conseil national de la résistance. Il fallait la sécurité sociale. Ce qui m’inquiète, c’est que ces valeurs sont aujourd’hui en danger. Le président tout-puissant Nicolas Sarkozy, qui impose sa loi à tout le pays, ne respecte pas ces valeurs. Ainsi, la tentative faite par notre président de récupérer le Plateau des Glières – qui est un haut-lieu de la résistance française - est un message violent, c’est quelque chose qui a choqué les anciens résistants.
Ce gouvernement se comporte de façon inacceptable. Le terme populisme est un mot-valise : il faut préciser les valeurs qu’on lui accorde. Mais il est évident que l’attitude actuelle du gouvernement français ne peut qu’alimenter les mouvements de haine, de non-respect, d’exclusion et d’expulsion.

D’où votre appel à nous indigner...
Il est tout normal que les jeunes et les moins jeunes d’aujourd’hui résistent.
Aujourd’hui, c’est plus subtil, nous vivons dans un pays libre, nous ne sommes pas dans une situation d’oppression telle que celle dans laquelle nous vivions à l’époque ; résister, ce n’est pas seulement gueuler dans les rues, mais aussi travailler ensemble, en réseau, comme, par exemple, le réseau ESF, qui permet l’accès à l’éducation pour tous les enfants. C’est un devoir citoyen. Après la guerre, nous voulons tous que les besoins des peuples soient exaucés. Mais cela est rendu difficile par la façon dont la société fonctionne aujourd’hui ».
Donc les hommes de pouvoir doivent effectuer un retour à la solidarité et s’en prendre aux méfaits du capitalisme démodé, dé-régulé parce que « il n’y a pas de démocratie sans droits économiques et sociaux

« The Green Wave » de Ali Samadi Ahadi
Section : Documentaires de création

Et que signifie résister aujourd’hui ?
Le mot résister inclut une parole – que je prends facilement ici – mais aussi une action. Ces droits sont universels, si vous rencontrez quelqu’un qui ne les possède pas, plaignez-le et aidez-le à les conquérir. Face à la montée des extrémismes, qui sont validés et officialisés par les gouvernements européens, comme le montre explicitement le film « Ascenseur pour les Fachos », nous devons nous inquiéter et nous mobiliser. Ce film fort, puissant, montre les passerelles existant entre les mouvements néo-fascistes et néo-nazistes et les partis de droite qui siègent dans les gouvernements, comme en suède, en Hongrie, en Autriche et en Italie.
Le contenu de ce film est terrible ; il est épouvantable pour quelqu’un qui a connu le fascisme et le national-socialisme de voir des jeunes se mobiliser pour des idées qui ne peuvent que déboucher sur quelque chose de meurtrier. Ce film doit nous donner la chair de poule.

Vous avez l’impression qu’on a tout oublié de la Deuxième Guerre mondiale, de la Shoah, des déportations ?
Je me désole de voir que, au sein de ces mouvements d’extrême-droite, ce sont des jeunes, très jeunes, âgés de 8 à 25 ans, qui défilent et militent, appelant de tous leurs vœux, avec nostalgie, une époque que même leurs parents n’ont pas connue. Nous devons penser à notre responsabilité, nous avons laissé monter ces mouvements car les européens démocrates n’ont pas su suffisamment insufflé à la jeunesse un dégoût des populismes. Les médias sont de plus en plus dominés par des forces conservatrices. Le chauvinisme de bien des êtres, l’extrémisme de la droite militante, le populisme, ceci est beaucoup plus dangereux dans la vie quotidienne, car c’est basé sur le rejet des autres et sur la préservation de mes acquis par rapport à autrui.
L’attrait d’une solution différente de celle que l’on a poursuivi après qu’on a construit l’Europe, cette tentation existe. Partout nous constatons que les besoins du peuple sont insatisfaits, le peuple demande que l’on tienne compte de ses problèmes.

Un des moyens d’agir réside dans l’éducation qui comporte beaucoup de failles. Je rencontre énormément de jeunes qui comprennent qu’il serait dramatique de revenir au national-socialisme, rassure Stéphane Hessel. Mais il faut aussi leur donner le sentiment qu’il y a quelque chose de concret à faire. L’éducation doit enseigner le respect de toutes les différences, la joie d’être différents

Votre manifeste, « Indignez-vous » souligne nombre de problèmes mais ne propose pas de réponses ; envisagez-vous de publier un manifeste-réponse ?
Oui, on m’a beaucoup fait la réflexion que je posais des questions mais n’y répondais pas. J’ai donc écrit quelques réponses qui vont être prochainement publiées, Engagez-vous ! aux Éditions de l’Aube, il s’agit d’un entretien avec Gilles Vanderpooten.

Propos recueillis par Firouz-Elisabeth Pillet