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Cine Die - septembre 2012

Deux manifestations au menu : Il Cinema Ritrovato (26e édition) & Neuchâtel International Fantastic Film Festival (12e édition)

Article mis en ligne le 1er septembre 2012
dernière modification le 30 août 2012

par Raymond SCHOLER

Chaque année, au début de l’été, Bologne la caniculaire invite les fous du 7e art à réévaluer ou simplement à déguster des films rares, oubliés et retrouvés, parfois restaurés.

L’année passée, on redécouvrit avec émerveillement un Italien passé de mode, Luigi Zampa. Cette année, ce fut le tour des réalisateurs Lois Weber et Ivan Pyriev.

Tyrone Power Sr. dans « Where Are my Children ? »

Contemporaine de Griffith et de DeMille, Lois Weber est beaucoup moins connue que ses collègues, alors que la limpidité de ses scénarios et la vigueur de ses mises en scène n’ont rien à leur envier. Osant parler de contrôle des naissances dès 1916 ( Where are my Children ? ), préconisant des interruptions de grossesse pour éviter un surplus de détresse chez les pauvres, mais fustigeant les avortements clandestins répétés chez les dames égoïstes de la bonne société, Weber affichait une lucidité et un courage peu communs pour son époque. Elle s’est essayée également dans le genre casse-gueule de l’allégorie, faisant apparaître la Vérité comme une femme parfaitement nue (que les bien-pensants ne sauraient bien sûr voir, mais les noceurs invétérés curieusement non plus) dans Hypocrites (1915). En 1916, elle engagea la ballerine Anna Pavlova pour le rôle de la muette Fenella dans The Dumb Girl of Portici , d’après l’opéra de Daniel Auber et Eugène Scribe. L’expressivité trop soulignée de la danseuse explique sans doute pourquoi le cinéma n’a plus eu recours à ses services, mais ses mouvements souples et serpentins fonctionnent à merveille pour montrer comment son personnage a pu taper dans l’œil du fils du vice-roi, et comment son incarcération arbitraire a pu déclencher la Révolution napolitaine de 1647 contre le joug espagnol. C’est dans les scènes de révolte, quand la haine accumulée pousse le peuple à des actes de barbarie et de destruction acharnés, que Weber fait montre d’un talent d’évocation extraordinaire, bien plus au diapason de la sauvagerie à laquelle l’homme peut s’abaisser que n’ont pu le montrer certains réalisateurs masculins. Une sorte de Kathryn Bigelow des années 1910 en somme.

Annna Pavlova dans « The Dumb Girl of Portici »

Ivan Pyriev suscitait bien plus de commentaires caustiques, tant sa description du paradis des paysans et ouvriers sous papa Staline semblait se couler complètement dans le moule idéalisé préconisé par le Parti. Le mensonge étatique est le cadre à l’intérieur duquel se déroule la fiction. Il n’y a donc pas de place pour une quelconque remise en question. Le Système est donné comme l’Idéal suprême du Vrai. S’y retrouvent deux types de personnages : les béats qui l’appuient et les grincheux qui le sabotent. Les deux types sont présents dans les thrillers économiques ( La Carte du Parti / Partijnyj Bilet , 1936) ou les films de la « grande guerre patriotique » ( Le Secrétaire du Comité de District / Sekretar’ Rajkoma , 1942), qui se terminent immanquablement par la révélation et la défaite des traîtres. Pour la comédie musicale kolkhozienne, genre dans lequel Pyriev excella avant de se consacrer aux adaptations de Dostoïevski, un type de personnages suffit, les enthousiastes. S’il y a des contrariés, ça n’a rien de systémique, c’est dû à des déboires amoureux. Ce qui rend les comédies musicales de Pyriev si ensorcelantes, c’est que, nonobstant la présence ubiquitaire de foires agricoles et de moissonneuses-batteuses, elles sont aussi éloignées d’une quelconque réalité que celles de Fred Astaire. Les travailleuses sont dodues, mais elles ne cessent de rigoler et elles chantent comme des rossignols. Et puis il y a un argument de taille en la personne de l’épouse de Pyriev, Marina Ladynina. Le temps de neuf films entre 1938 et 1954, elle fut l’égérie de Pyriev, la Marlène à son Sternberg. Blonde svelte au rire des plus communicatifs et d’une composition solaire jamais prise en défaut, elle s’épaissit légèrement au fil des années, ajoutant une gravité à sa beauté juvénile des débuts. Il arrive que le sujet soit trop sérieux pour qu’elle pousse la chansonnette ( V Chest Tchasov Vetchera posle Voyny / A Six Heures du Soir après la Guerre , 1944). Mais quand elle dirigeait une porcherie d’avant-garde à Vologda et tombait amoureuse d’un berger daghestanais à l’occasion de la foire annuelle de Moscou ( Svinyarka i Pastoukh / La Porchère et le Berger , 1941, ou comment réunir des amants séparés par 2000 km : le lyrisme de Pyriev à son sommet !) ou que, directrice de kolkhoze, elle damait le pion à son amoureux, directeur du kolkhoze voisin, dans le recrutement de travailleurs de pointe ( Kubanskie Kazaki / Les Cosaques du Kouban , 1949), sa voix claire et mélodieuse, avec ou sans chœur, distillait bonhomie et bonne humeur, entrain et refrains. En Sovcolor, c’est doublement gratifiant. On peut voir Skazaniye o Zemlye Sibirskoy / Le Chant de la Terre Sibérienne (1947) et mourir heureux !

Marina Ladynina dans « Les Cosaques du Kouban »

Une autre section du festival concernait les débuts du parlant japonais. A ce propos, il faut avouer que les débuts sonores de Kenji Mizoguchi dans Furusato / Le Pays Natal (1930) n’étaient guère concluants. Malgré l’apport du plus grand ténor japonais de l’époque, Yoshie Fujiwara, dans le rôle principal, la bluette reste superficielle et les décalages constants entre les mouvements des lèvres et les dialogues prononcés agacent prodigieusement. Mizoguchi fut tellement désappointé qu’il se remit aux films muets jusqu’en 1935. Dai Chushingura (Teinosuke Kinugasa, 1932), la première adaptation sonore des 47 Ronins, ne souffre plus des maladies d’enfance de la prise de son et les stars du jidai-geki comme Tsumasaburo Bando et Utaemon Ichikawa y bataillent très naturellement et férocement, sans entraves. Heinosuke Gosho profite du son pour nous faire voir et entendre un quarteron de musiciens de jazz réfugiés en province afin de créer de nouveaux tubes ( Madamu to Nyobo / Madame et mon épouse , 1931) : hélas ils dérangent – et finiront par dévergonder - un écrivain qui a la terreur de la page blanche. Le plus beau de ces films fut Joriku Dai-Ippo / Premiers pas à terre (1932) de Yasujiro Shimazu. Depuis ses films muets découverts à Pordenone en 2010, Shimazu n’arrête pas de nous émerveiller. Son premier film sonore relate l’histoire d’amour entre un soutier et une entraîneuse qu’il sauve du suicide. Calqué sur le muet de Josef von Sternberg, The Docks of New York (1928), le film transplante l’action dans la ville portuaire de Yokohama. Se déroulant sur moins de 24 heures et principalement dans la chambre du couple, il alterne les dialogues courts et les longs silences qui donnent à sentir le désir et la confiance qui s’installent progressivement entre les protagonistes, alors que les proxénètes qui s’estiment blousés se préparent à intervenir.

Neuchâtel International Fantastic Film Festival, 12e édition
Tout le monde abondait dans le même sens : cette édition fut une des meilleures depuis les débuts du festival. A commencer par l’hommage offert au plus vieux studio japonais, fondé en 1912, la Nikkatsu. Furusato de Mizoguchi (vu à Bologne) fut aussi le premier film sonore du studio.
L’échantillonnage du NIFFF porta sur onze films produits dans les années 60 et 70, lorsque la Nikkatsu, pour éviter de sombrer dans la faillite, attira le public avec des films érotiques (les célèbres roman porno) ou d’action, où les réalisateurs avaient une étonnante liberté créatrice, même s’ils se firent à l’occasion renvoyer lorsqu’ils livraient un produit jugé trop avant-gardiste (ce qui arriva à Seijun Suzuki pour son film de yakuza Branded to Kill (1967). Buichi Saito avait même initié une série de eastern avec un héros qui parcourt la campagne nippone à cheval : Taki, un cowboy chantant avec guitare en bandoulière, reproduit les codes de comportement de tous les héros de western, protégeant la veuve et l’orphelin de l’emprise de rapaces capitalistes, mais réglant tous les différends avec ses poings avant d’avoir recours in extremis au « six coups » pour éliminer la racaille récalcitrante. Dans Daisogen no Wataridori / Plains Wanderer (1960), il aide un village aïnou à se débarrasser d’un voleur de titres de propriété.
Parmi les films érotiques, on put découvrir l’éclectisme d’un Chûsei Sone, grand portraitiste de femmes invaincues : Delinquent Girl : Alley Cat in Heat (1973) montre une provinciale draguée par un yakuza qui l’oblige à se prostituer. Mais, véritable femme téflon, elle surmonte tout et profite d’un moment propice pour rejoindre une troupe de théâtre ambulant. Shinjuku Midaregai : Ikumade Matte (1977) montre la dislocation d’un couple formé par une femme énergique qui entretient un chômeur, couple emblématique du cinéma japonais s’il en est, sauf qu’ici, la femme finit par se lasser de souffrir ad libitum.

Rie Nakagawa dans « Osen la maudite »

On put voir aussi le beau Maruhi : Jorô Seme Jigoku / Osen la Maudite (1973) de Noboru Tanaka avec son superbe portrait de geisha déchue qui assume l’instrumentalisation de son corps comme expression libertaire. La scène où elle se masturbe avec l’auriculaire sectionné de son mari mort annonce bien une certaine Abe Sada, célébrée par Tanaka lui-même et Nagisa Oshima dans deux films sortis à une année de distance. Le film le plus extrême fut Bôkô Kirisaki Jakku / Assault ! Jack the Ripper (1976) de Yasuharu Hasebe. Un pâtissier timoré et une serveuse maussade découvrent que la peur générée par la violence peut être un puissant aphrodisiaque. Après avoir expulsé une auto-stoppeuse suicidaire de leur voiture, ils remarquent qu’elle est restée agrippée à la porte : ils accélèrent et la font retomber sur la chaussée. Ils se débarrassent de la dépouille dans une décharge, puis ils font l’amour comme des bêtes. Dès lors, ils sont à la recherche de victimes qu’ils tuent de façon de plus en plus horrible. Le mâle se contente peu à peu de l’acte de tuer (thanatos devient plus gratifiant qu’eros) et commence à faire des virées en solo. Ce conte sadien utilise à merveille le procédé de l’intensification cher au divin marquis et constitue en même temps un compte rendu saisissant, quoiqu’ironique, de la genèse d’un tueur en série.

La suite au mois prochain
Raymond Scholer