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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - octobre 2008

Quelques commentaires sur la dernière édition du “Neuchâtel International Fantastic Film Festival 2008“.

Article mis en ligne le octobre 2008
dernière modification le 23 mai 2012

par Raymond SCHOLER

La 8e édition du NIFFF suit la logique désormais inéluctable des festivals qui gagnent en importance, multipliant les menus annexes avec des hommages et des rétrospectives, en veux-tu, en voilà.

D’un cinéma suisse balayé sous le tapis
A côté des traditionnelles compétitions internationale, asiatique et du court métrage, et de la rétrospective principale consacrée au giallo italien, il y eut un hommage à un cinéaste japonais connu uniquement des spécialistes, Nobuo Nakagawa, une excursion dans le cinéma ibérique qui connaît actuellement une effervescence certaine dans le domaine du fantastique – Rec de Jaume Balaguero et El Orfanato de Juan Antonio Bayona ont même trouvé distributeur en Suisse – et un mini-hommage au cinéma de genre suisse. Certes, ce dernier se limite essentiellement à l’output du producteur Erwin C. Dietrich, guère en odeur de sainteté ni auprès des critiques ni auprès des pouvoirs publics, garants de l’alibi culturel.
L’histoire de l’entreprise Dietrich, relatée par Benedikt Eppenberger et Daniel Stapfer et publiée en 2006 au Verlag Scharfe Stiefel (sic) porte d’ailleurs le titre on ne peut plus approprié de « Mädchen, Machos und Moneten », résumant avec précision les éléments de titillation sexuelle et de violence factice faisant vendre avec un maximum de profit des polars érotiques, des comédies dénudées et des films de guerre aux scénarios convenus et échangeables. Lorsque Dietrich engagea en 1975 le stakhanoviste espagnol Jess Franco, il résulta de leur collaboration une série de films qui sont aujourd’hui considérés comme des classiques de l’exploitation. En deux ans, Franco livra une quinzaine de titres (grosso modo 20% de toute la production Dietrich) sur des femmes en prison, des péripatéticiennes en péril ou des nonnes en extase érotique, parmi lesquels le festival avait choisi Downtown : Die Nackten Puppen der Unterwelt (1975), Jack the Ripper (1976, avec Klaus Kinski dans le rôle éponyme) et Das Frauenhaus (1977), hélas présentés en format DVD. Nous nous sommes donc contentés d’une petite causette avec le toujours égrillard, mais délicieusement modeste Monsieur Franco, qui malgré son âge avancé (il est né en 1930) allait présenter à la Cinémathèque Française son petit dernier, La Cripta de las mujeres malditas (2008), selon IMDB son 183e long métrage. Lorsque je lui ai demandé si le film, vu sa longueur inhabituelle de trois heures, n’était pas encore complètement monté, il me fit comprendre que j’étais un petit insolent et que la durée de trois heures englobe en fait deux films distincts, en hommage au Grindhouse de Tarantino et Rodriguez, cinéastes qu’il considère comme éminemment supérieurs, se considérant volontiers comme un simple amateur qui essaie de faire des films populaires non barbants.

« Los Cronocrimenes » de Nacho Vigalondo

Spain : Land of Fright
Los Cronocrimenes (2007) de Nacho Vigalondo est une rare incursion de la science fiction dans un festival qui privilégie depuis ses débuts l’horreur et le surnaturel. Avec des décors de tous les jours et sans effets spéciaux, le film traite du voyage dans le passé (oh, simplement de quelques heures) que fait malgré lui le héros, des séquelles qu’un tel voyage peut entraîner et des extrémités auxquelles il doit se résoudre pour ramener les choses dans le « droit chemin ». Cinq acteurs, deux maisons, un labo avec une espèce d’autoclave, un pré et une forêt, voilà tout ce que le scénario ultrahabile demandait comme investissement. Si l’acteur principal avait eu le magnétisme d’une star hollywoodienne, le film serait un petit chef-d’œuvre.

« El Rey de la Montana (Les Proies) » de Gonzalo Lopez-Gallego
© Le Pacte

El Rey de la Montana (2007) de Gonzalo Lopez-Gallego renouvelle le thème des Chasses du Comte Zaroff (E. B. Schoedsack, 1932) en le tirant du côté d’un pessimisme clairement assumé. En essayant de rejoindre sa petite amie par une route qu’il ne connaît pas, le héros s’engage sur un chemin de montagne d’une région isolée et devient la cible de tirs provenant de la forêt. Obligé d’abandonner sa voiture dont les pneus ont tous été crevés, il est recueilli par une jeune femme qui l’avait déplumé lors d’une brève rencontre dans les toilettes d’un restoroute. C’est à deux maintenant qu’ils sont en butte à des attaques répétées et obligés de choisir des chemins de traverse pour échapper à leurs poursuivants invisibles. Ceux-ci ne s’embarrassent pas de scrupules, abattant froidement des agents de police qui tendent à interférer. Pour sauver sa peau, le mâle abandonne la femme en danger de mort (imaginez ça dans un film américain !) et ce n’est que dans les vingt dernières minutes qu’on apprend l’identité des tireurs, des gamins qui font des cartons en confondant jeu et réalité.

Nobuo Nakagawa
La réputation de ce cinéaste prolifique (son œuvre explorant tout le spectre du cinéma populaire se compose de 97 titres !) comme maître suprême du kaidan eiga (film de fantômes) repose sur quelques films datant de la fin des années cinquante, judicieusement rassemblés par le festival, et dans lesquels on trouve à boire et à manger. Si Tokaido Yotsuyakaidan/The Ghost of Yotsuya (1959) – d’après une pièce Kabuki célèbre et filmée plusieurs fois (nous avons dit tout le bien qu’il fallait penser de la dernière version, celle de Hideo Nakata, dans notre article sur le dernier festival d’Udine), sur la vengeance post mortem d’une femme empoisonnée par son mari – est une réussite esthétique exemplaire, Onna Kyuketsuki/The Lady Vampire (1959) semble plutôt apparenté au courant Ed Wood. La revitalisation du mythe de Dracula par les films de la Hammer dès 1958 est sans doute à l’origine du film de Nakagawa, dans lequel le vampire (décidément pas un élément du folklore japonais) est un dandy aux gants blancs et lunettes de soleil qui se déplace sans peine en plein jour, mais se transforme en suceur de sang assoiffé lorsqu’il est touché par les rayons de la pleine lune. Descendant des premiers chrétiens de Kyushu, il n’a pas peur de la croix ni des surfaces réfléchissantes ; il y a même une scène où on ne voit que ses images miroir.

« The Lady Vampire » de Nobuo Nakagawa

Nakagawa, agacé par l’occidentalisation rampante de son pays (voir la scène de l’anniversaire de l’héroïne où tout le monde chante Happy Birthday en anglais devant un gâteau couvert de bougies), voulait-il singulariser son vampire de cette manière pour le différencier des vampires occidentaux ? En contrepartie du côté intrigant de ces éléments, il faut citer le fourre-tout aléatoire du reste, depuis l’antre souterrain du vampire où abondent candélabres, victimes pétrifiées et brumes (émanant non point d’un cimetière, mais d’une source chaude) jusqu’au curieux ramassis que constituent ses sbires (on ne sait pas à quoi sert la vieille sorcière, mais le nain et le géant chauve font sans doute allusion aux collaborateurs les plus iconiques de Bela Lugosi, Angelo Rossitto et Tor Johnson) en passant par la mise en scène des scènes d’action, d’un amateurisme frisant l’indolence. Mais peut-être que Nakagawa avait tout bêtement peur de faire trembler le carton-pâte.
Jigoku/Hell (1960), le plus ambitieux des films de Nakagawa, est une tentative de visualiser les huit grands enfers des soutras bouddhiques en créant un cauchemar éveillé par un savant dosage de réalisme et de symbolisme. Le motif circulaire de La Roue de la Loi (Dharmacakra), symbolisant la chaîne ininterrompue des causes et effets, et la couleur rouge, symbole du désir charnel, prédominent. La première heure du film sert essentiellement à montrer que tout le monde est à la même enseigne, tout le monde est pécheur et tout le monde va en enfer, que son péché soit occasionné par une maladresse passive ou de la malice active. Il n’y a pas de rédemption. La voiture du héros renverse un piéton dans la première scène, puis les morts se suivent soit en directe corrélation avec la première, soit de manière tout à fait autonome : au bout d’une heure, on ne les compte plus. Puis le film change de registre et on descend dans l’enfer, où tous les péchés seront mis à nu. Une processions d’âmes damnées s’enfonçant dans un lac de bile bouillonnante, d’autres écorchés, coupés en deux ou décapités, d’autres encore obligés de courir en cercle, produisant un gigantesque maeström ivre de terreur, sans échappatoire possible, voilà quelques-unes des images fortes dont l’accumulation a hélas un effet émoussant pour qui ne saisit pas toutes les références religieuses.

« A Wicked Woman » de Nobuo Nakagawa

Dans Borei Kaibyoyashiki/Black Cat Mansion (958), une mère violée par un seigneur sadique qui a aussi tué et fait disparaître le fils de la malheureuse, enseignant de go, se suicide après avoir chargé son chat de la vengeance auprès des descendants du châtelain. Le chat, en lapant le sang de sa maîtresse, devient bakeneko, une spécialité tout à fait japonaise, capable d’assumer une forme humaine. C’est, si on veut, l’inverse du loup-garou. Ici le minet se transforme, un ou deux siècles plus tard, en une vieille chipie qui essaie d’étrangler une descendante d’une des servantes du vilain seigneur, venue se reposer dans le vieux manoir pour guérir d’une tuberculose. Dès que la momie de l’enseignant emmuré est découverte à l’occasion d’un orage, la malédiction s’arrête. La partie moderne, qui encadre l’histoire ancienne, est en noir-blanc, alors que l’ancienne, qui explique l’origine du sortilège, est flamboyante de couleurs, un choix très séduisant.
Dokufu Takahashi Oden/A wicked Woman (1958) est un film noir sur une criminelle qui exploite les hommes et les situations dans le seul but de s’enrichir. Nakagawa réussit en 75 minutes à décrire l’arc complet d’une destinée, depuis les premiers méfaits jusqu’à la chute, qu’on mettrait aujourd’hui trois heures à raconter. Non seulement, il comprenait admirablement la notion d’économie narrative, mais il avait aussi du goût dans le choix de ses actrices : Kazuko Wakasugi livre un portrait de femme fatale à la fois vénéneuse et hautement poignante. Aucun de ces films n’est pour l’instant accessible sur DVD avec des sous-titres anglais, mais les nippophones trouveront des v.o. chez yesasia.com.
Au mois prochain.

Raymond Scholer