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Kunsthaus de Zurich
Zurich : Georges Seurat

L’exposition du Kunsthaus offre une approche rare de Seurat.

Article mis en ligne le novembre 2009
dernière modification le 21 janvier 2010

par Emmanuèle RUEGGER

Le Kunsthaus de Zurich présente l’œuvre de Seurat sous le titre de « Figure dans l’espace », du 2 octobre 2009 au 17 janvier 2010.

Il est facile de montrer toute l’évolution de la peinture de l’artiste français, celui-ci étant mort jeune, à l’âge de trente et un ans. Contemporain de Paul Cézanne, Vincent Van Gogh et Paul Gauguin, il a vécu de 1859 à 1891. Son œuvre s’étant sur une dizaine d’année. On peut y reconnaître 3 types de productions : les dessins, les croquetons et les grandes peintures.

Dessins
Seurat aimait dessiner. Il a laissé plus de 400 dessins et six carnets d’esquisses. Il dessinait avec des crayons Conté (du nom de leur inventeur), qui étaient constitués de graphite et d’un peu de graisse, sur du papier de luxe fabriqué à la main. Le plus souvent, ce sont des personnages, des figures qui sont au centre des dessins. Parfois elles sont seules, semblant venir du néant et prêtes à disparaître, comme ses femmes au manchon ou la Dame au bouquet, de dos (1882-83). Parfois, les figures sont en situation, dans leur métier, souvent un métier simple : jardinier, ouvrier en bâtiment, casseur de pierre, cireur de bottes.
Décrit par ses amis comme un homme sérieux, Seurat ne dédaignait cependant pas fréquenter le soir des cabarets comme la Gaieté Rochechouar, le Divan Japonais ou le Concert Européen, ce qui nous vaut un beau dessin qui joue sur le clair-obscur (1886-88). La chanteuse est dans la lumière alors que le public est dans l’ombre. Pour L’homme couché, une étude pour Une Baignade, Asnières (1883-84) il se sert de la même technique, entourant le dos du dormeur d’ombre pour en faire ressortit la pâleur.

Croquetons
Seurat aimait aussi peintre des croquetons, c’est-à-dire des petits panneaux de bois de 25 sur 16 centimètres, qui tenaient dans sa boîte à peinture. On retrouve des sujets de dessins comme le casseur de pierres ou le jardinier, mais la plupart des croquetons sont des études pour élaborer de plus grands tableaux. Nombreuses sont les études pour Une Baignade, Asnières (1883-84) et Un dimanche à la Grande Jatte (1984-85). On peut très bien observer l’évolution du trait de Seurat entre les deux peintures. Les croquetons pour Une Baignade, Asnières sont peints dans la technique balayée. Les touches du pinceau sont encore larges et courtes. Dans Promenade matinale (Etude pour La Seine à Courbevoie) 1885, les couleurs commencent à se diviser. Par contre pour Un Dimanche à la grande Jatte le pinceau a travaillé en petites touches sur le bois ou la toile. La synthèse des couleurs est faite par l’œil du spectateur, qui regarde le tableau à partir d’une certaine distance. Cette technique se base sur les théories du chimiste Michel-Eugène de Chevreuil et du physicien Ogden N. Rood.
Un croqueton, peint dans ce style, mérite toute notre attention : La Tour Effel (1889). Non seulement le tableau est particulièrement clair, mais il semble inabouti, tout simplement parce que la tour Eiffel n’était pas encore entièrement construite. Il manque un étage. Mais Seurat, qui pourtant se remettait souvent à l’ouvrage, l’a laissé en l’état.

Marines
Les parents de Seurat ne s’intéressaient pas particulièrement aux activités de leur fils, mais ils étaient aisés et ils l’ont soutenu financièrement. Après avoir partagé un atelier avec son ami Aman-Edmond Jean (1858-1935), Seurat s’installa seul à Clichy dans le cœur de Paris. C’est là qu’il passait ses hivers. L’été, il allait souvent en Normandie, au bord de la mer. Il séjourna ainsi, seul, à Grandcamp, à Honfleur, à Port-en-Bessin, au Crotoy et à Gravelines. Les séries de marines de Seurat ont généralement pour sujet des ports, peints sur d’assez grandes toiles. Ces œuvres sont claires et animées par des bateaux qui entrent ou qui sortent du port. D’après le poète belge Emile Verhaeren, admirateur du peintre, ce sont là ses meilleurs tableaux. Les marines sont les œuvres de Seurat qui eurent le plus de succès de son vivant.
Une marine est plus particulière et la scénographie de l’exposition lui dédie un pan entier : Le Bec du Hoc, Grandcamp 1885. Il s’agit d’un immense rocher dans une falaise qui surplombe la mer. Le rocher est recouvert de plantes. Au loin dans la mer voguent de nombreux voiliers presque imperceptibles. Cinq oiseaux prennent leur envol depuis le rocher. Tout ceci rendu par une multitude de petites touches.

Grands formats
Malheureusement, pour des raisons de conservation, la plupart des grands formats manquent dans l’exposition. On peut se consoler de leur absence, par la vision de plusieurs études d’ensemble, comme celle d’Un dimanche à la grande Jatte (1984), un des chefs-d’œuvre de Seurat. L’étude est peinte sur une toile de 70,5 sur 104,1 centimètres alors que le tableau final fait 2 mètres sur 3 ! Comme le dit très justement l’écrivain Wilhelm Genazino dans le catalogue, les figures sont debout, assises ou couchées, elles sont « là à ne rien faire ». Pour Genazino, il s’agit d’une « idylle trompeuse ». Nous n’irons pas jusque-là. Seurat n’a-t-il pas écrit que « l’Art c’est l’Harmonie » ? (Lettre à Maurice Beaubourg, cat. p.40.) Cependant ce tableau ne manque pas d’être étrange. Pour ainsi dire toutes les personnes regardent dans la même direction. Elles sont peintes de côté, comme dans une fresque égyptienne.
Heureusement, un autre chef-d’œuvre couronne l’exposition : Le Cirque (1890-91). Il s’agit de la dernière peinture de Seurat. Il avait participé lui-même à l’accrochage de ses tableaux, Le Cirque, plus quatre vues du port de Gravelines, en collaboration avec ses amis de la Société des artistes indépendants. Il devait mourir subitement, de la diphtérie, une semaine plus tard. Le Cirque est un chef-d’œuvre pour le choix des couleurs, gaies (le jaune l’emporte), pour les formes d’ensemble, simples (horizontaux les bancs des spectateurs, l’arrondi de la piste est complété par le rideau tenu recourbé par un artiste), mais surtout pour l’allant des mouvements mis en scène (une écuyère danse sur un cheval élancé dans l’arène, un contorsionniste bondit la tête en bas).
Surnommé néo-impressionniste par le critique Félix Fénéon, Seurat aura beaucoup d’influence en Belgique, où il a souvent exposé. Son ami Paul Signac continua à peindre dans le style pointilliste. Camille Pissarro, son fils Lucien et Maximilien Luce l’ont aussi adopté. Seurat reste un des peintres modernes les plus importants. Son œuvre inspirera les Nabis, les Fauves, les Futuristes, jusqu’au Cubistes.

Emmanuèle Rüegger

Kunsthaus, jusqu’au 17 janvier