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Musée Jenisch, Vevey
Vevey : Dürer et Rembrandt

Collection Pierre Decker

Article mis en ligne le 5 mai 2021
dernière modification le 27 décembre 2021

par Vinciane Vuilleumier

Jusqu’à fin mai, le Musée Jenisch met à l’honneur la collection Pierre Decker dans l’espace consacré au Cabinet cantonal des estampes : l’occasion privilégiée d’appréhender la personnalité du collectionneur et de découvrir, côte à côte, parmi les plus belles estampes des deux maîtres peintre-graveur Dürer et Rembrandt.

Chirurgien et professeur, Pierre Decker réunit entre 1946 et 1967 un fonds de 51 feuilles dont la qualité indéniable marque le goût du collectionneur : ce n’est ni la rareté ni l’expressivité de l’esquisse qui intéresse Pierre Decker, sinon les œuvres abouties, tant au niveau du dessin que du tirage. Ici compte la qualité de l’encrage, les premières impressions, l’état de conservation du papier et le prestige de la provenance.
L’exposition thématise cette dimension du collectionnisme en égrenant l’accrochage d’anecdotes sur l’histoire et les critères d’acquisition. Ce n’est pas seulement l’œuvre gravé de Rembrandt et Dürer qu’on peut admirer dans leurs plus belles réalisations, mais surtout l’histoire d’un collectionneur qui réunit pendant vingt ans des feuilles exceptionnelles et partage sa passion avec son ami William Cuendet, dont la collection a rejoint le Cabinet cantonal des Estampes et constitue avec celle de Pierre Decker et d’Alexis Forel un ensemble d’exception d’œuvres des deux grands maîtres.

Proximité
Si les reproductions trahissent l’expérience d’un tableau, il est en de même pour la gravure : dans les pages des catalogues, la reproduction excède bien souvent la taille de l’œuvre originale, et fait perdre de vue l’un des plaisirs de la contemplation d’une estampe – la minutie des touches. Sur des papiers aux dimensions réduites, les traits de Rembrandt apparaissent dans toute leur délicatesse, et l’œil se régale devant l’original de la subtilité et la richesse impressionnantes de son écriture. Le léger relief de l’encre et son noir profond, la texture délicate du papier, la mesure réelle des marques – tout cela ne se déploie qu’entièrement devant l’original.

Le grand intérêt de l’exposition réside également dans la proximité des œuvres des deux grands maîtres : c’est une occasion en or de sensibiliser son regard à tout ce qui participe à la différence de style entre Dürer et Rembrandt. L’un au burin, l’autre utilisant parfois celui-ci pour des retouches sur des plaques travaillées à l’eau-forte et à la pointe sèche : ce n’est pas seulement l’utilisation de techniques différentes, mais l’utilisation différente des techniques qui joue un rôle fondamental dans l’aspect visuel des feuilles. Rembrandt est un expérimentateur insatiable et son écriture tend à affranchir le trait des conventions de représentation : on peut contempler sur les feuilles de Dürer l’utilisation rationnelle et disciplinée des hachures, des traits de contours – les lignes sont bien rangées, d’une certaine manière, et les formes clairement rendues. Chez Rembrandt, le trait se libère et le langage des spécialistes de son œuvre gravé, comme ceux de son œuvre peint, rencontre ses propres limites.

Dans le très beau catalogue des œuvres de Rembrandt du Cabinet cantonal des Estampes, Florian Rodari esquisse dans un langage unique la richesse de l’écriture de Rembrandt : « … zébrures vives, vivantes ou simples écartements de parallèles, tailles croisées sans trop y songer, larges espaces laissés blancs. Ailleurs, accumulation de traits frénétiques, surabondants, ou mordus jusqu’au désastre. Superposition de réseaux plus ou moins finement gravés qui déterminent toutes sortes de nuances, colorent, voilent, laissent jouer les transparences. Ici, des passages à peine effleurés, là de puissants coups de burin traversant toute la hauteur de la feuille ; ici, des griffures gris rose à force de délicatesse, là des charbons où ne se distingue plus la moindre structure. »

Vous l’aurez compris, l’exposition est un vrai régal pour les amoureux de Rembrandt – et pour ceux que Dürer fascine, la visite aura la même saveur. Rendez-vous à ne pas manquer pour les férus des œuvres sur papier.

Vinciane Vuilleumier

jusqu’au 30 mai 2021