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53e Biennale de Venise
Venise : Biennale 2009

Crise oblige, l’élaboration de la Biennale 2009 a été un réel défi pour sa direction.

Article mis en ligne le septembre 2009
dernière modification le 23 novembre 2009

par Françoise-Hélène BROU

Cette année la Biennale a été touchée par la crise ; budget réduit, temps de préparation écourté, fêtes plus discrètes, demandes de soutiens multipliées, bref un réel défi pour le jeune directeur Daniel Birnbaum. Pourtant l’exposition qu’il offre au public, Construire des mondes, propose, dans un espace encore plus vaste que par le passé, une vision claire et fédératrice de l’art actuel.

Le thème choisi par Daniel Birnbaum provient d’un ouvrage de Nelson Goodman Ways of Worldmaking, ce titre exprime l’idée que l’œuvre d’art représente une vision constructive du monde, ouvrant une infinités de possibles, de nouvelles réalités, de commencements. Le commissaire conçoit donc l’artiste comme un démiurge dont les pensées et les gestes « mettent au monde des mondes » selon la formule d’Alighiero et Boetti.

Dans ce registre démiurgique et visionnaire nous découvrons notamment les œuvres de Yona Friedman (Budapest, 1923, vit à Paris), Tomas Saraceno (Tucuman Argentine, 1973, vit à Francfort) et Lygia Pape (Nova Friburgo Brésil, 1927-2004). Le premier artiste, designer, architecte et théoricien de l’architecture a créé in situ à l’Arsenal une vaste construction suspendue intitulée Villes - visualisation of an idea. L’artiste-architecte nous livre ici une mégastructures aérienne réalisée en cordages et cartons colorés, une sorte de gigantesque maquette anti-monumentale, qui oscille entre tension constructiviste et expérience perceptive de la légèreté. Tomas Saraceno, jeune artiste argentin qui s’est déjà distingué à la dernière Biennale de Lyon, a réalisé quant à lui, dans une imposante salle du pavillon central des Giardini, un stupéfiant réseau de filaments noirs, Galaxy Forming along Filaments, like Droplets along the Strands of a Spider’s Web 2008, dont la géométrie tient à la fois de la toile d’araignée et de la constellation astronomique. La Brésilienne Lygia Pape a travaillé dans de nombreux domaines artistiques : peinture, sculpture, danse, design, cinéma, installations et performances. Disparue en 2004, elle a été l’une des artistes les plus créatives de son époque. Son œuvre présentée dans la première salle de l’Arsenal s’intitule Ttéia I, 2002. Réalisée avec des fils d’or tendus dans un espace obscurci, elle résume de façon aussi magistrale qu’élégante les recherches de la créatrice dans le champ de la tridimensionnalité. Un pur instant de grâce.

Dans un registre plus inquiétant, la Suédoise Nathalie Djuberg revisite le thème du Jardin d’Éden introduisant dans son installation de fleurs géantes et sanglantes l’idée d’une création corrompue et vénéneuse dès son origine. Vidéos et bande son ajoutent leur part de complexité angoissante à ce parcours surréaliste où le visiteur déambule avec circonspection, partagé entre épouvante et admiration. Présence africaine stimulante avec l’artiste Pascale Marthine Tayou du Caméroun qui recrée un village traditionnel dans une portion de l’Arsenal. La construction de ce monde intitulé Human Being (2007) consiste en une accumulation impressionnante de constructions en planches, de matériaux et matériels hétéroclites issus de la tradition locale mais aussi et surtout de la culture de masse globale. L’ensemble produit un véritable choc des civilisations, phénomène désormais constitutif de la réalité quotidienne dans de nombreuses parties du monde.
Loin d’être lisse et sans surprise comme l’ont déclaré certains commentateurs, l’exposition internationale propose une vision claire, diversifiée et souvent critique de l’art d’aujourd’hui. Les nouveaux talents sont nombreux et proviennent de tous les horizons géographiques ; les artistes d’Asie confirment leur grande forme, comme par exemple l’Indien Sheela Gowda qui a créé une spectaculaire installation de cheveux recouvrant un mur immense. Le Tibétain Gonkar Gyatso commente les troubles socio-politiques de son pays à travers un processus de dessins et de collages apparemment puérils et innocents. La présence de quelques artistes de notoriété internationale comme Michelangelo Pistoletto,Gordon Matta-Clark, Gilbert & George, Yoko Ono (qui a obtenu le Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière), ou encore un hommage au Groupe Gutai, donnent l’épaisseur référentielle nécessaire à une manifestation de cette envergure. Mais il est vrai que pour avoir une idée exacte et complète de l’ensemble il faut parcourir des kilomètres dans les Giardini et à l’Arsenal dont les surfaces d’exposition se sont encore étendues cette année.

Les pavillons nationaux
Il convient en outre de distinguer l’exposition réalisée par le commissaire général Daniel Birnbaum, des expositions organisées dans les pavillons nationaux qui relèvent de la seule autorité des Etats. Peu font ce distinguo, confondant les responsabilités des uns et des autres. Ainsi par exemple on peut certainement avancer que, cette année, plusieurs pavillons nationaux n’ont guère pris de risques. C’est le cas des Etats-Unis avec Bruce Nauman dont l’œuvre consacrée mondialement depuis plusieurs décennies n’offre rien de véritablement nouveau. Son show intitulé Topological Gardens est constitué d’un assemblage d’œuvres pour la plupart déjà exposées. Pareil pour l’Espagne avec Miquel Barcelo, mais à la différence que son exposition offre un ensemble d’œuvres récentes de grands formats (peintures et céramiques) réalisées au Niger où l’artiste réside et travaille temporairement. Puis il y a les pavillons décevants, à l’image de la France où avec l’installation Le Grand Soir de Claude Lévêque on s’attendait à un show magistral, largement annoncé par les médias. La cage grillagée installée dans un décor mural argenté est vite parcourue, pas un chat ne s‘y attarde. La Suisse quant à elle joue dans le minimalisme avec Silvia Bächli. Ses dessins délavés aux variations certes subtiles et délicates n’en sont pas moins noyés dans la vaste salle blanche du pavillon helvétique. Un accrochage catastrophique - mais certainement soigneusement médité et voulu comme une installation - souligne la vacuité de cet espace ennuyeux où les visiteurs passent rapidement.
La contribution de Fabrice Gygi, située à l’Eglise de San Stae, sur le Grand Canal, s’intitule Economat. Il s’agit d’une imposante structure géométrique en forme de grande cage métallique, verrouillées par 32 chaînes et cadenas. Le propos on l’a compris renvoie aux thèmes fréquemment abordés par l’artiste : la surveillance des êtres et /ou des choses, ici un lieu de stockage en attente d’objets et de personnes pour les manipuler, les classer. Un espace appelé à se transformer, vide mais déjà oppressant et menaçant. On imagine que sans les ennuis (censure de l’Eglise) rencontrés par Fabrice Gygi dans la réalisation de son travail d’installation, celui-ci aurait certainement créé une œuvre encore plus forte que celle qui a finalement été « agréée ». Un sentiment d’irritation s’est installé dans les esprits helvètes car cette censure se répète depuis plusieurs années. En coulisses on évoque un changement de lieu pour la prochaine édition. Affaire à suivre.
Il y a aussi les pavillons dont on n’a pas envie de parler tant le résultat est navrant, celui de l’Allemagne avec une installation de Liam Gillick figure en première place. Enfin on découvre les pavillons qui activent notre imaginaire et enchantent nos sens. C’est le cas des Pays nordiques (Danemark, Finlande, Norvège, Suède) avec le travail d’un collectif de 24 artistes qui se développe dans deux pavillons sous le titre The Collectors. Le visiteur en se déplaçant dans ces lieux transformés en espaces domestiques devient témoin d’un drame existentiel où l’humour se mêle à l’inquiétante étrangeté de la situation. La Russie, encore cette année, frappe un grand coup dans l’ensemble de son pavillon occupé par 5 artistes. Le travail d’écriture et de dessins aquarellés proposé par Pavel Pepperstein se distingue tout particulièrement par la virtuosité de son trait et l’ironie douce-amère de ses aphorismes. Des mentions honorables peuvent également être décernées aux pavillons italien (un hommage au futurisme), polonais (un remarquable travail vidéo sur les immigrés réalisé par Krzysztof Wodiczko), hongrois (une réflexion sur le portait), anglais (avec un film splendide de Steve McQueen) et à une série de pays d’Amérique latine situés à l’Arsenal.

Autres expositions - autres lieux
Il existe également une bonne poignée de pavillons nationaux disséminés dans la géographie labyrinthique de la cité lagunaire, on espère que les visiteurs arriveront jusqu’à eux, notamment ceux situés sur des îles, reliées ponctuellement par quelques rares vaporetti. La Biennale est un monde en perpétuelle extension et mutation, à l’image de ces extraordinaires nouveaux espaces du Novissimo Arsenale, bâtiments datant de la Renaissance, entièrement restaurés et ouverts pour la première fois à des expositions collatérales de niveau international, sponsorisées par divers partenaires privés. Par exemple un show consacré à Jan Fabre où l’artiste belge a réalisé plusieurs installations monumentales sous le titre général From the Feet to the brain, attention aux personnes sensibles ! les thèmes abordés par Jan Fabre choquent. Enfin au fond de cet arsenal nouveau, après plus de cinq heures de marche on découvre ce qui pourrait bien constituer l’événement de cette 53e Biennale, il s’agit d’une exposition consacrée au sculpteur français Bernard Venet : The Arc Hypothesis (2009). Dans un espace de cathédrale, en réalité les anciennes fonderies de l’Arsenal, l’artiste a disposé des amoncellements d’arcs monumentaux en acier. Couchés ou en équilibre sur leur courbures, appuyés les uns contres les autres, l’ensemble dégage une formidable puissance, mais fait résonner aussi une pure poésie spatiale par le jeu des pleins et des vides, des contenants et contenus qui marient les tonalités grisaille, rouille et brique des matériaux nobles mis en dialogue.

La Punta della Dogana
Après avoir acquis le Palazzo Grassi et y avoir installé une partie de ses collections, François Pinault, grâce à un soutien sans faille des autorités locales, poursuit sa saga vénitienne en concrétisant un second projet de grande envergure dans la Cité des doges, celui de devenir propriétaire de la fameuse Douane de mer, située à l’entrée du Grand Canal. Celle-ci a été transformée en un centre d’art contemporain que le collectionneur se plaît à qualifier de « Musée du XXIe siècle ». Cet édifice hautement symbolique dans l’histoire de la Sérénissime a été restauré en un temps record par l’architecte japonais Tadao Ando, le même qui a œuvré au Palais Grassi. L’inauguration et l’ouverture de l’espace a eu lieu en juin dernier, en concordance parfaite avec le démarrage de la Biennale de Venise. Les louanges pleuvent de toutes parts ; François Pinault est érigé en véritable sauveur de la production artistique contemporaine : « une action privée propre à suppléer au défaut des fonds publics et de lieux dédiés à la promotion artistique d‘aujourd‘hui » et qui, selon le maire de Venise Massimo Cacciari, « signe un moment décisif pour le futur de Venise » dotée aujourd’hui d’un nouvel outil culturel et patrimonial. Ces superlatifs ne doivent toutefois pas faire perdre de vue que François Pinault est avant tout un homme d’affaires averti et puissant, qui sublime son image de marque et renforce sa communication à travers son action de mécénat dans le champ de l’art contemporain.

L’exposition inaugurale de la Punta della Dogana : « Mapping the studio : Artists from the François Pinault Collection » a été concue par les commissaires Francesco Bonami (directeur de la Biennale 2005) et Alison Gingera. Elle réunit en deux volets, au Palazzo Grassi et à la Dogana, environ 300 œuvres significatives de la Collection François Pinault. D’une part une série importante de talents confirmés et suivis par le collectionneur, entre autres : Jeff Koons, Sigmar Polke, Cindy Sherman, Cady Noland, Cy Tombly, Takashi Murakami, Maurizio Catelan et des artistes émergents dont : Matthew Day Jackson, Adel Abdessemed, Kai Althoff, Richard Hughes, Luc Tuymans, Richard Prince. Les espaces somptueux de la Dogana di mar mettent particulièrement en valeur les œuvres exposées, ainsi la série des grandes toiles translucides de Sigmar Polke (Axial Age, 2005-2007) accrochées en ce lieu ont-elles trouvé une écrin propre à exprimer toute leur subtilité. Il en va de même pour l’univers de manga de Takashi Murakami, les sculptures-gisants en marbre de Maurizio Catelan (All, 2008) ou les toiles grands formats de Rudolf Stingel (Untiteld, 2006-2008) assemblées dans une sorte de cube en béton dont les tonalités de gris font écho aux œuvres de l’artiste. Le choix des œuvres et l’accrochage du Palazzo Grassi, se distingue par une approche plus « classique ». On peut y redécouvrir des œuvres désormais entrées dans l’histoire de l’art contemporain comme par exemples celles de : Cy Tombly, Dan Flavin, Martin Kippenberger, Francesco Lo Savio, Lucio Fontana, Daniel Buren, Bruce Nauman, mises en regard avec des travaux d’artistes plus récents notamment : Piot Uklanski, Urs Fischer, John Armleder.

Françoise-Helène Brou

La Biennale de Venise, jusqu’au 22 novembre 2009 (www.la biennale.org).
« Mapping the Studio » Centre d’Art Contemporain Punta della Dogana (www.palazzograssi.it)