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Fondation Beyeler, Riehen
Riehen / Bâle : Segantini

Segantini : un hymne à l’harmonie de la nature

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 30 avril 2011

par Régine KOPP

Après Hodler et Anker, célébrés par deux rétrospectives en 2008 et 2010 au musée des Beaux-Arts de Berne, c’est au tour d’une autre fierté nationale de connaître un revival : Giovanni Segantini. Suisse d’adoption plus que de naissance, puisque né à Arco dans le Trentin, enclave alors autrichienne, l’artiste orphelin très jeune, sera ensuite recueilli par une demi-sœur à Milan, sans toutefois acquérir la nationalité italienne. Comble de l’ironie, lorsqu’il expose en 1889 à l’Exposition Universelle à Paris et obtient une médaille d’or pour ses Vaches à l’abreuvoir, il figure dans la section italienne.

Le projet d’une exposition Segantini avait déjà été caressé par Ernst Beyeler et a donc pu être concrétisé par l’actuel directeur, qui a fait appel pour cet événement à Diana Segantini, l’arrière petite-fille et à Guido Magagnano, un fin connaisseur et défenseur de l’œuvre de l’artiste, qui avait également signé en 1990, au Kunsthaus de Zurich, l’exposition sur le divisionnisme dont Segantini est le meilleur représentant suisse. Il faut encore mentionner l’exposition du centenaire organisée en 1999 au musée de Saint-Gall.

Revalorisation
Pour cet hommage que lui consacre la fondation Beyeler, le commissaire Magagnano ne cache pas vouloir profiter de cette opportunité pour revaloriser l’œuvre de Segantini et le faire passer » de la ligue nationale à la ligue des champions ». Et d’annoncer les couleurs, en argumentant œuvres à l’appui, que Segantini est un précurseur de l’art moderne et que sa place à côté des grands classiques modernes de la fondation n’est en aucun cas usurpée mais totalement légitimée. Une démonstration pour laquelle ont été réunies soixante-quinze œuvres (cinquante tableaux, vingt-cinq dessins) en provenance de musées suisses et étrangers mais aussi de collections privées, montrant pour certaines des œuvres inédites.
Le parcours colle aux étapes géographiques des déplacements de l’artiste. C’est ainsi que les premières salles s’attachent à montrer les années de formation à Milan, de 1879 à 1881, puis celles des années où il s’établit dans la région des lacs de la Brianza, de 1882 à 1886 , celles ensuite où il rejoint les Grisons à Savognin tout d’abord de 1886 à 1894 pour grimper finalement encore plus haut en Engadin, à Maloja , où il mourra en 1899, non sans être devenu un fou des montagnes, déclarant à ses habitants qu’il peindra leurs montagnes « pour que le monde entier parle de leur beauté ».

Les commissaires ont eu également la bonne idée de jalonner le parcours d’autoportraits surprenants, où se lit le talent de l’artiste comme dans l’Autoportrait à l’âge de vingt ans (1879/80), ou celui très fantasmagorique de 1882, ou encore ceux très sensibles de 1893 et 1895. Lors de ses années milanaises, après avoir suivi des cours à l’académie des Beaux-Arts du palais de Brera, il se lance dans la peinture, soutenu par le marchand Vittore Grubicy de Dragon. De ses années-là, plusieurs œuvres sont montrées, et il suffit de voir Naviglio sous la neige (1879/81), pour comprendre que la valeur n’attend pas le nombre des années. Dans Pinura sull’imbrunire (1883/85), l’artiste cherche à rendre une impression de soleil couchant et l’œuvre pourrait être de la main de Turner, qu’il n’a vraisemblablement pas connu. Il n’en est pas de même pour Courbet ou Millet, dont il a dû voir des reproductions et reprendra à son compte leur vision réaliste, comme dans sa célèbre toile Ave Maria a trasbordo (1886), où la fusion de l’univers rural et religieux rappelle L’Angélus de Jean-François Millet. Des affinités réalistes qui se retrouvent également dans La raccolta delle zucche (1884/86), prêté par l’Institut des Arts de Minneapolis, mais aussi l’Oca apesa (1886), où l’oie blanche suspendue est exécutée comme une symphonie monochrome, inachevée.

Traitement de la lumière
En se déplaçant à Savognin dans les Grisons, avec sa famille, l’artiste continue à s’intéresser au monde rural mais se concentre davantage sur le traitement de la lumière. C’est son marchand milanais, qui l’introduit au divisionnisme, cette technique qui consiste à juxtaposer des lignes de couleurs pures, appliquées sans mélange à l’aide d’un pinceau fin, au profit d’une plus grande luminosité. Il peint de grands tableaux, des paysages pour la plupart habités par des gens simples de la campagne et des animaux : I miei modelli (1888), Mezzogiorno sulle Alpi (1891), Alpe di maggio (1891), Ritorno dal bosco (1890) témoignent de la nouvelle orientation artistique de Segantini, qui s’enivre de couleur et de lumière. Obsédé par la recherche de la lumière, Segantini est attiré toujours plus haut et se fixe en 1894 avec sa famille à Maloja.

Il peut enfin vivre et peindre au plus près de la nature, car il travaille en plein air, se réfugiant l’hiver dans une cabane d’alpage, où le poêle installé servait plus à fluidifier ses couleurs qu’à le réchauffer. Son célèbre Triptyque des Alpes (la vie, la nature, la mort) qui n’a pu être exposé mais dont l’exposition montre quelques versions dessinées exceptionnelles, nous parle d’une intégration harmonieuse des hommes et des bêtes dans le cycle de la nature. Une nature hostile comme il l’évoque dans La raccolta del fieno (1889/98), et rappelle l’homme à un devoir d’humilité face à la nature. La mort prématurée de Segantini, à l’âge de quarante et un ans, mettra fin à une carrière qui avait pourtant très bien commencé et aurait pu se poursuivre, évoluant par exemple vers l’abstraction.
Une hypothèse soutenue par le commissaire de l’exposition, convaincu avec l’historien d’art Robert Rosenblum que Segantini « occupe une position absolument centrale même parmi les plus célèbres de ses contemporains ». Au visiteur de se prononcer en fin de parcours s’il partage ce jugement.

Régine Kopp

www.fondationbeyeler.ch
Du 16 janvier au 25 avril 2011