Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Musée d’art de Pully
Pully : « Abstractions plurielles »

Compte-rendu

Article mis en ligne le 1er mai 2021
dernière modification le 21 novembre 2021

par Vinciane Vuilleumier

Le Musée d’art de Pully accueille jusqu’en novembre une collection d’œuvres de la Fondation Gandur pour l’art. Rarement présentées au public, ces dernières couvrent la période allant de 1950 à 1980 en offrant un panorama condensé de la diversité des expériences tentées par les artistes européens et américains.

Se libérer de la représentation – comment et en vue de quoi ? Applications au couteau bariolées, sobriété calligraphique et grattages, aplats méticuleux, jeux d’encre et de pochoirs… L’accrochage offre l’occasion propice de saisir la subtilité des nuances que recouvre le terme général de peinture abstraite – Abstractions plurielles, donc, car les reliefs de Riopelle et les touches de Francis proposent des expériences esthétiques toutes différentes.

Ambiance intimiste
Les salles ont cela d’agréable que leurs dimensions réduites offrent un véritable cocon au visiteur – loin des hauts plafonds du Kunstmuseum de Bâle – pour n’en citer qu’un – qui ouvrent un vaste espace autour des œuvres, l’ambiance intimiste du musée invite à se sentir au plus près de celles-ci, dans un face-à-face resserré. Quel privilège de rencontrer dans cette atmosphère des œuvres fraîches, inédites en somme : pour une habituée des collections permanentes, voir soudain, au détour d’une salle, l’œuvre de Rafael Canogar ou celle de Jean Degottex : non seulement les noms m’étaient inconnus, mais les propositions me soufflent au premier regard. C’est peut-être ce plaisir de la surprise qui manque aux espaces muséaux dévolus aux expositions permanentes – comme il serait agréable d’avoir chaque mois sur un pan de mur bien placé au détour d’un passage, une œuvre nouvelle à découvrir. Ce serait l’opportunité de feuilleter les collections dormantes et de renouveler l’effet de surprise qui participe tant au plaisir de l’art.

Une ode à la peinture
Ainsi, l’art abstrait propose un affranchissement : libérer le geste du peintre, libérer le médium, libérer les attentes attachées à un art mimétique. Oublier l’objet, la figure – ce qu’on développe d’immatériel au-dessus du médium, le virtuel émergeant de la matière – pour revenir précisément au médium lui-même, à la matérialité qu’on travaille de nos mains, aux outils dont on s’aide pour donner forme à la couche de peinture.

C’est l’immense exploration du peintre qui retire au support matériel la nécessité de représenter – que faire de la matière lorsqu’on ne lui assigne pas la forme d’un objet ? Le pinceau marque ses limites : quels outils prendre en main pour donner à la matière picturale une touche et un effet nouveaux ? Varier la taille des pinceaux comme Hans Hartung, sculpter au couteau comme Riopelle, racler ou entailler les couches épaisses, disperser délicatement les pigments, faire couler l’acrylique diluée, brouiller les unes avec les autres les couleurs à l’huile – l’art abstrait est une ode à la peinture comme activité profondément charnelle, une poétique de la main, du corps de la peinture, de l’outil.

Il ne s’agit pas tant de voir le tableau comme un produit fini, comme une image, mais de déplier les temporalités du corps à l’acte, la rythmique des gestes, les traces de l’outil. L’œuvre abstraite ne dit rien – elle ne propose pas de discours. Elle est le trait d’union entre le faire et l’imagination matérielle. Elle a ce rapport particulier au temps : incarnation immédiate d’un faire, elle place le spectateur devant le corps d’une temporalité qui dévoile dans les accidents de matière sa séquence rythmique, qui narre le geste créateur à son origine. Ce n’est pas le temps fictif qui se réfère à un imaginaire – comme lorsqu’on parle de l’espace fictif du tableau – c’est le temps prosaïque de l’activité humaine qui ne désigne rien d’autre que le corps en acte. Ainsi, la grande question qui me revient toujours : comment donc celui qui n’a jamais touché un pinceau, plongé ses mains adultes dans la matière pigmentée, fait-il l’expérience de telles propositions ? Cherche-t-il une image qui devrait communiquer un sens, ou est-il à même de percevoir qu’un tel tableau ne dit rien, rien d’autre que sa genèse – l’acte humain créateur ?

D’autant plus : quelle merveille de complexité dans le terme bateau de l’abstraction – rien de ce qui précède ne saurait s’appliquer aux abstractions géométriques d’un Vasarely. Ce n’est plus le temps et les corps, ici, ce serait plutôt une histoire de spatialités fictives, de fonds et de formes…

Les méditations n’ont pas de fin. Abstractions plurielles – un régal pour tous ceux qui aiment enrichir de nuances leur regard et leur sentiment.

Vinciane Vuilleumier

Jusqu’au 21 novembre 2021 (Pause estivale du 27 juin au 7 septembre)