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Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel
Neuchâtel : « Sur papier »
Article mis en ligne le 7 juin 2021
dernière modification le 29 septembre 2021

par Vinciane Vuilleumier

On avait prédit sa mort, mais le papier est bien vivant et profondément contemporain. Le Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel le met à l’honneur avec sa nouvelle exposition « Sur papier », à voir jusqu’au 5 septembre.

Quatre artistes ont pris possession des lieux : Mingjun Luo et sa sensibilité calligraphique, Francine Mury et Jiang Zuqing avec leurs grands formats à quatre mains, et Sivan Eldar qui fait trembler les pigments dans son installation sonore. Le papier, marouflé sur toile ou aimanté aux murs, offre une invitation tout en douceur aux beautés délicates de l’encre et à la richesse des touches de chacune des artistes.

Poésie et découverte
C’est une expérience puissante que de se tenir devant ces œuvres couvrant les murs, en long et en large, sur plusieurs mètres : on n’a pas l’habitude, au quotidien, de rencontrer des images d’une telle ampleur. Les peintures murales, peut-être, comme celles qui courent dans les petites rues du centre de Neuchâtel, ou alors ces très grandes affiches publicitaires qu’on voit toujours de loin – mais se tenir debout devant une œuvre qui ne laisse aucun échappatoire au regard, qui nous enveloppe et nous fait plonger dans les innombrables apparences de l’encre, touches précises, gestes amples, bavures et diffusions dans l’humide, dans les plis du papier, dans sa matière travaillée en profondeur par l’eau, par l’encre, par les outils qui l’ont sculpté en trois dimensions – c’est une expérience puissante, en effet.

Exposition poétique, exposition découverte : un extrait du film qui a été tourné sur le séjour en Chine de Francine Mury auprès de Jiang Zuqing nous fait découvrir des paysages étonnement semblables aux nôtres, les artistes au travail sur ces mètres de papier étendus sur le sol, la gamme des outils, la danse non seulement de la main qui tient le pinceau, mais de tout le corps autour de l’espace blanc du papier. Je ne peux m’empêcher lorsque je me fais visiteuse, de me faire enquêtrice, et c’est mon péché mignon que de creuser chaque œuvre pour lui faire révéler toutes les techniques, toutes les pensées qui ont présidé à sa création – et ces bavures si bien maîtrisées de Mingjun Luo, est-ce un travail dans l’humide ou une chorégraphie savante de la main qui, nonchalante en apparence seulement, vient étirer l’encre encore humide ? et ces auréoles bleues, violettes et vertes qui apparaissent dans le monumental Souei de Francine Mury – étendue de papier immense qu’elle a dû peupler seule, la situation actuelle ayant retenu en Chine sa partenaire Jiang Zuqing – d’où viennent-elles ? est-ce une encre d’une composition différente, qui révèle sa richesse dans une dilution maîtrisée ? est-ce que l’eau a laissé place à un autre solvant ? Les artistes des Mondes transversaux Pierre-Yves Diacon et Laura Belgrano, préparant leur performance devant Break up étoilé de Mingjun Luo lors d’une de mes visites, m’ont glissé avec un sourire : « c’est encore plus beau quand l’œuvre garde ses secrets, non ? » Le plaisir est double, en vérité, dans cette tension du vouloir comprendre et du vouloir être captivé : l’œuvre la plus riche est bien celle dont on s’ingénie à détisser les ressorts, qui résistera pourtant et ne confiera jamais l’entier de son énigme.

Merveille
L’art pose tant de questions quand on prend le temps de le regarder et Sur papier est un parcours délicieux à cet égard : la touche et la matière sont si minimalistes qu’elles offrent un espace immense à la curiosité. Il faut se déplacer très lentement, aller et revenir, s’approcher et s’éloigner, se pencher un peu, lever le regard, essayer à gauche et à droite : chaque touche d’encre, son apparence particulière, toute la richesse qu’elle présente avec si peu de moyens – c’est une école de sensibilité. Il n’y a rien à voir au premier regard – ou presque ! et donc tant de choses à explorer. La série Break the Chinese character de Mingjun Luo est une œuvre magnifique : un papier marouflé sur papier, des touches sûres et précises d’un noir profond, et ces bavures mystérieuses (sur quel papier se situent-elles exactement ?) qui créent un milieu entre le sombre de l’encre et le clair du papier, elles offrent à l’espace de l’image une profondeur incroyable et la sensation indéniable du mouvement – les touches s’élancent vers la droite, résistent à la gravité, s’ébattent dans un espace à trois dimensions.

Faire autant avec si peu d’ingrédients – quelle merveille que l’art !

Vinciane Vuilleumier