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Fondation Gianadda, Martigny
Martigny : Rodin érotique

L’exposition de la Fondation Gianadda permet de mettre en évidence la complémentarité de la sculpture et du dessin dans l’œuvre de Rodin.

Article mis en ligne le mai 2009
dernière modification le 15 juin 2009

par Sarah CLAR-BOSON

Source d’inspiration majeure de tout temps, le nu féminin vu par Rodin n’a cessé d’alimenter sa quête d’exploration de la beauté du corps humain, aussi bien dans sa sculpture que, de manière moins connue, dans ses dessins et aquarelles. Si la réhabilitation et redécouverte de Rodin dessinateur n’est que relativement récente (une dizaine d’année tout au plus), le spectateur
s’étonnera de la différence d’approche entre sculpture en ronde-bosse et lignes graphiques nerveuses et spontanées.

L’exposition de la Fondation Gianadda permet d’embrasser cette complémentarité à travers quelque soixante-dix dessins et une trentaine de sculptures, tous sur pied d’égalité artistique. Elle donne surtout à voir une évidence encore méconnue : impossible désormais de réduire Rodin à un sculpteur qui dessine.

Jusqu’à l’extravagance
Tout au long de sa riche carrière, Rodin n’a inlassablement cessé de dessiner et son legs considérable (environ 10’000 œuvres, dont 7000 conservées au Musée Rodin de Paris) recèle encore des surprises. Cette production nourrit son œuvre sculpté dans la compréhension globale du corps humain et est loin de constituer un genre mineur. Le maître montre d’ailleurs volontiers au public ses dessins, et réserve les plus osés et pornographiques à son petit cercle de proches. Toutefois, le lien entre ces nus féminins offerts au voyeurisme du spectateur et les sculptures n’est pas direct, car il ne s’agit pas de dessins ni d’esquisses préparatoires mais d’œuvres autonomes. Le seul point commun, mais de taille, réside dans l’appréhension la plus diversifiée possible du corps de la femme, dont les poses touchent parfois un degré certain d’extravagance, Rodin n’hésitant pas à faire poser ses modèles dans des positions quasi acrobatiques.
A l’époque-charnière de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, l’érotisme est d’ailleurs un genre dans l’air du temps. Les artistes, particulièrement à Paris, découvrent dès la seconde moitié du XIXème siècle la puissance évocatrice et onirique des estampes japonaises à la créativité débridée que l’on partage sous le manteau ou dans les alcôves d’appartements de collectionneurs privés. Même les artistes de Salon, plus officiels, surfent sur la vague voyeuriste et redéclinent les sujets mythologiques (tel Alexandre Cabanel et sa kitschissime Naissance de Vénus en 1863, date d’un autre nu féminin célèbre et scandaleux à l’époque, l’Olympia de Manet). Plus proche de Rodin dans sa conception, on ne peut passer sous silence la monumentale Origine du monde de Courbet (1866), qui livre sa version audacieuse de la féminité réduite à son sexe, à la fois source de vie autant que de plaisir. On trouve chez Rodin cette même obsession pour la charge symbolique forte du sexe en tant qu’attribut de la Vie et rappel de la Mort. Plus tard, les Symbolistes reprendront le flambeau érotique et feront une place de choix au thème de la Femme fatale. Les dessins de Rodin s’inscrivent donc dans une lignée tout à fait contemporaine, et pourtant, leur modernité est incontestable.

Immédiateté et vivacité
En contemplant les dizaines de dessins de l’exposition, on est frappé par l’extraordinaire caractère d’immédiateté et de vivacité, pour ne pas dire de vie, de ceux-ci. Rodin applique sa méthode du dessin sans voir en faisant poser ses modèles et sans les quitter des yeux, en laissant sa main s’auto-guider sur le papier, un peu à la manière des dessins automatiques des Surréalistes. Le résultat, aussi fluide que dense, ne manque pas d’étonner. Quelques lignes à peine et les plis d’une chair offerte suggèrent une puissance érotique intrusive, mais jamais agressive. La manière de dessiner à l’aveugle permet de saisir un instant précis, de capturer la fugacité du corps et d’aller à l’essentiel des attributs féminins (fesses, plis du ventre, sexe offert jambes écartées).
Si ces dessins ne sont pas sans rappeler les contours minimalistes mais tout aussi féminins d’un Matisse durant sa période fauve, ils laissent transparaître une vision exclusivement masculine à la limite de la pornographie. Les nus de Rodin n’ont toutefois pas le même aspect cassant et dérangeant qu’un Egon Schiele et ses corps osseux, à la limite du répulsif. La femme chez Rodin n’est ni artificiellement magnifiée, ni méprisée et reléguée à un statut d’objet. L’artiste cherche à retranscrire l’essentiel de la féminité à travers son regard d’homme, à l’appétit sexuel insatiable bien connu de son vivant. Livrer sa propre vérité sur le corps féminin, sans fard mais avec une indéniable humanité voire une certaine affection mêlée de désir, tel est le souci de spontanéité de cette production graphique unique, et tant pis si elle dérange quelques âmes prudes.

Sarah Clar-Boson

« Rodin érotique », Martigny, Fondation Pierre Gianadda, jusqu’au 14 juin 2009