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Fondation Gianadda, Martigny
Martigny, Fondation Gianadda : Chagall
Article mis en ligne le septembre 2007
dernière modification le 2 octobre 2007

par Sarah CLAR-BOSON

Curieuse et heureuse coïncidence, en même temps que l’exposition Fantin-Latour, de la réalité au rêve, la grand-messe estivale de Martigny choisit de présenter Chagall, entre ciel et terre, lui rendant ainsi hommage pour la seconde fois…

Serait-ce à dire que les grands artistes doivent nécessairement avoir les pieds sur terre et la tête dans les nuages ? Dans le cas du peintre d’origine russe, si l’amour de sa patrie reste concrètement chevillée au corps et sa source première d’inspiration, son imagination vagabonde couronne et sublime cet attachement, tels ses personnages flottant au-dessus des toits de Vitebsk.
Affirmons-le d’emblée, la production de Marc Chagall reste une énigme pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’artiste est au cœur de la plus grande révolution picturale en ce début de XXème siècle où la Russie s’éveille à la modernité, de façon audacieuse et brutale, et où les Constructivistes commencent à rivaliser de dynamisme dans l’abstraction. Chagall n’a jamais été tenté, de près ou de loin, par l’abandon de la figuration ; pour lui, imaginer une expression poétique sans support visuel concret ne pouvait correspondre avec ses propres aspirations et recherches picturales. Et pourtant, avant de quitter sa terre natale pour Paris (dans un premier temps, entre 1909 et 1914, puis définitivement en 1923), il est indéniable qu’il en absorbât, peut-être malgré lui, certains apports : utilisation fréquente du blanc et arrière-plans dépouillés, affranchissement des couleurs, langage néo-cubiste, abandon de toute perspective. L’extraordinaire série de panneaux du théâtre juif Kamerny (1920) (dont la restauration fut financée par Léonard Gianadda himself en 1991 et l’œuvre présentée en première mondiale cette année-là) témoigne de ces influences disparates, mais affranchit déjà le peintre de toute filiation trop étroite.

Mise en scène dépouillée
Deuxièmement, la « Russitude » de Chagall contribue à alimenter l’énigme. En effet, mélange de culture juive très ancrée dans une forte tradition rurale (celle de Vitebsk, modeste petite bourgade biélorusse) et influence de peintres russes novateurs (même encore figuratifs tels les Gontcharova et Larionov du début du siècle) nourrissent l’onirisme du peintre, l’attachement à la Russie des moujiks et un caractère contemplatif qui marquera presque toute sa production. Osons même le rapprochement entre l’icône russe et les leçons qu’en tirera Chagall, redevable tout comme ses illustres confrères russes (Kandinsky, Jawlensky, Malevitch) : à l’instar des anciennes images pieuses de la Sainte Russie, les tableaux du peintre usent et abusent de couleurs libérées et volontairement détachées de toute réalité tangible, mettent en valeur une mise en scène savamment dépouillée et contribuent à créer un caractère proprement surnaturel dans leur rapport au sacré. Cette filiation, semble-t-il encore très peu étudiée à ce jour s’agissant de Chagall isolément, mériterait certainement une exposition à elle seule tant cette thématique demeure passionnante et encore relativement vierge. N’oublions pas que l’artiste s’est aussi très souvent représenté en Créateur (L’Apparition, 1917-1918, le grand panneau de l’Introduction au Théâtre d’Art Juif, 1920, ou encore L’Ange à la palette, 1927-1936), témoignant ainsi du caractère quasi saint de sa mission de peindre.

Exposition à Romont

Liberté renouvelée
Troisièmement, le style inclassable du peintre constitue un paramètre de plus à l’équation mystérieuse. Chagall fait évoluer sa touche néo-cubiste teintée de primitivisme des débuts vers une facture par petites touches frénétiques et légères et s’essaye avec bonheur à d’autres supports, telles l’estampe, différents techniques mixtes ou encore les projets de décors à mosaïque (La Cour Chagall, œuvre de 1966 reconstituée définitivement dans le parc de la Fondation, constitue en effet un parfait point d’orgue à la rétrospective). Cette liberté sans cesse renouvelée trouve même son épilogue vers la fin de sa vie à travers ces étonnants collages petit format, faits de morceaux de tissus récupérés insérés dans des esquisses à la gouache et encre de Chine, curiosités rafraîchissantes que donne à voir l’exposition octodurienne. Cette infinie déclinaison n’aurait été possible sans une certaine forme d’autarcie picturale, une fois les grands thèmes définis (Russie imaginaire et traditionnelle, couple d’amoureux, musiciens, bestiaire omniprésent). L’on touche ici à une petite partie de la réponse à l’énigme Chagall : grâce à cet onirisme différent de toute la production contemporaine, sa peinture parvient à s’auto-nourrir et s’auto suffire. Le spectateur reste évidemment libre de poursuivre l’investigation…

Sarah Clar-Boson

Chagall, entre ciel et terre, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, jusqu’au 19 novembre
Voir aussi : Chagall, le vitrail. La couleur de l’amour, VitroMusée de Romont, jusqu’au 18 novembre.