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Fondation Gianadda, Martigny
Martigny : De Courbet à Picasso

La Fondation Gianadda expose les toiles françaises du Musée Pouchkine.

Article mis en ligne le septembre 2009
dernière modification le 23 novembre 2009

par Sarah CLAR-BOSON

Pour la seconde fois, le Musée d’Etat des Beaux-Arts Pouchkine est à l’honneur à Martigny, cette fois à travers une sélection d’œuvres représentatives de la production française, allant de l’Ecole de Barbizon jusqu’à l’orphisme. Mais on ne peut s’empêcher cette fois de se reposer la question lancinante qui guette chaque exposition de la fondation Gianadda : les chefs-d’œuvre sauveraient-ils de la saturation visuelle ? La réponse, évidemment positive, est donnée avec brio par les toiles françaises du Musée Pouchkine, mais laisse planer quelques nuages critiques.

Si le visiteur a l’habitude des grands raouts et des coups d’éclat au regard des affiches toujours plus éclatantes les unes que les autres dont le maître des lieux, Léonard Gianadda, a le secret grâce à son incroyable réseau, on ne peut toutefois s’empêcher de se demander jusqu’à quelle déclinaison sur un même thème (les Impressionnistes et post-Impressionnistes) l’exercice peut être répété sans s’effilocher et perdre de sa cohérence malgré l’exceptionnelle qualité des œuvres, qui parle d’elle-même. Exposer des morceaux choisis d’un immense musée peut vous remplir une programmation sur des années et peut clairement apparaître comme une manière de céder à une certaine facilité. Mais est-ce là rendre vraiment justice à l’Art, en dépit de la vocation vulgarisatrice et grand public que la fondation Gianadda remplit à merveille ? La question demeure ouverte, et mérite au moins d’être posée non sans malicieuse provocation.

Un legs phénoménal
On s’étonnera tout autant de ne voir l’évocation de la source de cette prestigieuse collection que subrepticement, au point d’entendre de nom-breux visiteurs se demander quelle est la provenance des œuvres, et « pourquoi n’y a-t-il pas de mention sur les petits panneaux d’identification », comme je puis en témoigner en tendant l’oreille vers un nombre étonnamment élevé de spectateurs bruyants et incrédules le jour de ma visite. Tout le monde ne va pas se précipiter sur le catalogue, certes fouillé, commentant chaque œuvre, mais on regrette que l’aspect didactique de cette affiche soit aussi maigre, surtout si on le compare aux accrochages de musées concurrents. Et pourtant, combien y aurait-il à raconter sur l’épopée des collectionneurs qui ont constitué ce legs phénoménal dans l’histoire de l’art, comparable en importance au legs Caillebotte ou au rachat de la collection du banquier Jabach par Louis XIV… Enfin, s’agissant du catalogue, et peut-être teinté de l’amitié de très longue date qui unit Léonard Gianadda à la Russie, sa teneur aux relents de chauvinisme voire de propagande quasi soviétique un peu désuète prêtant à sourire (« le plus grand musée du monde », « la plus grande collection du monde », etc) devient vite irritante pour un lecteur scientifique.

Passion
En écho à l’actuelle exposition-anniversaire de la Fondation de l’Hermitage de Lausanne, au moins celle de Martigny donne-t-elle à voir l’importance primordiale du collectionneur privé et sa contribution vitale au patrimoine muséal.
L’affiche valaisanne met ainsi principalement à l’honneur trois passionnés d’art, ayant dédié toute leur vie à l’élaboration savamment construite d’une collection qui allait leur survivre : Sergueï Tretiakov (1834-1902), grand amateur de l’Ecole de Barbizon et de Corot, puis le légendaire duo Sergueï Chtchoukine et Ivan Morozov, tous deux magnats du textile, qui furent les mécènes de Matisse et Picasso et firent tant pour le rayonnement de ces deux monstres sacrés. Leur goût s’oriente clairement vers un art français d’avant-garde, qui fait la part belle à l’abstraction naissante, en miroir au foisonnement des pionniers constructivistes russes, aux formes géométriques et aux volumes bruts, parfaits vecteurs d’une ère d’industrialisation à marche forcée. Les deux collectionneurs acquièrent alors, sans discuter du prix, des toiles que la conformiste bourgeoisie parisienne rejette alors avec dégoût et incompréhension. Le prix de l’audace artistique s’apparente décidément aux très bons vins, et finit toujours par acquérir ses lettres de noblesses avec le temps.

Sarah Clar-Boson

« De Courbet à Picasso, Musée Pouchkine Moscou », Martigny, Fondation Pierre Gianadda, jusqu’au 22 novembre 2009.